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Le gibier disparaît

Sus aux pies

Nous avons montré, dans notre précédente causerie, que chasseurs et cultivateurs ont grand intérêt à voir diminuer les effectifs dévastateurs des pies.

On aura des résultats positifs lorsqu’on accordera une prime raisonnable — mettons dix francs — par oiseau présenté : jeune ou adulte. La société de chasse verserait immédiatement cinq francs, et l’autre moitié serait payée par la commune, le département ou les associations agricoles.

En cette période de restrictions, on cherche de toutes parts les moyens d’augmenter la production ; les pouvoirs publics ne peuvent rester indifférents devant les méfaits de ces indésirables. Pour rendre ces dégâts plus tangibles, prenons un petit exemple.

Admettons que, dans le courant de l’année, une pie consomme ou détruise deux kilos d’amandes — c’est un minimum ; à vingt francs le kilo, voilà quarante francs d’envolés. Multiplions par mille bêtes malfaisantes : quarante mille francs ... et nous ne comptons pas les fruits, les céréales, les légumes engloutis sur le même territoire. La destruction totale de ces voleuses nécessiterait seulement 6.000 francs de primes.

Dix francs par pie présentée et des sous qui, bientôt, tinteront dans la poche ... il y a là de quoi encourager nos gamins. Nous les verrons escaladant les arbres, à l’assaut de ces paniers aériens, abri des « agassons ». Je me revois — quelque trente ans en arrière — terrible destructeur de ces volatiles.

Dès mars, je repérais soigneusement les nids avant qu’ils ne soient dissimulés sous les feuilles nouvelles. Des visites de politesse indiquaient le contenu : 5 à 7 œufs, parfois 8, même 9 ... ; enfin, quand la majorité des jeunes étaient à point — quelques plumes suffisaient, — on procédait au ramassage. Près de cent bêtes nuisibles, cueillies en une matinée, furent un jour présentées à la gendarmerie. Le département versait alors quinze centimes par oiseau. Sous l’œil du représentant de la loi, on coupait une patte, sinon de trop débrouillards polissons eussent été capables de les présenter à nouveau le lendemain.

Un garnement s’amusa à ce jeu peu honnête et « roula » plusieurs fois un gendarme. Ce dernier, très « service », fumait tranquillement la pipe pendant que le dénicheur mutilait ses oiseaux. L’opération finie, il s’approchait et comptait les pattes ; autant de pattes que de pies déclarées, c’est parfait, pensait-il. Un jour, miracle ou catastrophe, il en trouva deux de plus.

Comme un dénicheur est capable d’augmenter ses prises, mais ne les diminue jamais, notre homme, prévoyant quelque chose de louche, se mit à examiner les victimes. Quelle histoire ! Au lieu de trouver des « agassons » unijambistes, il aperçut des culs de jatte et des oiseaux intacts. Comme on l’avait « eu » ! ... Quant à l’étourdi chirurgien — cette fois il avait opéré trop vite ou mal compté, — il n’en menait pas large, pensant que seule la prison était capable de punir de semblables forfaits ...

Revenons au dénichage. Peut-être on objectera le côté dangereux de l’entreprise. Il existe … mais les petits audacieux qui se risquent à ces escalades ont — ou acquièrent vite — des qualités d’agilité, de prudence et de sang-froid. Mon expérience personnelle me permet de conclure que les chutes sont rares ; sans accident, j’ai affronté des centaines d’arbres ; chênes rugueux, poiriers sauvages garnis de piquants, interminables peupliers, saules fragiles, énormes bouleaux au tronc lisse étaient vaincus. Évidemment, accrocs aux habits, jambes et bras écorchés n’entrent point en compte.

Les nids inaccessibles seront gratifiés d’une cartouche. De cette façon, la majorité des jeunes pies disparaîtront. Il s’agira, alors, de diminuer les effectifs adultes.

Comme peu de chasseurs voudraient sacrifier leurs munitions, la société locale fournira gratuitement des cartouches aux gardes, même à des volontaires, et contrôlera leur emploi.

Pour passer la nuit, les bavardes se groupent sur les peupliers, pins, chênes ; c’est là qu’il faudra les atteindre au soleil couchant ; on peut, en période de pleine lune, les descendre aisément si elles ont élu domicile sur des branches dépourvues de feuilles.

Le jour, un grand-duc empaillé ou vivant, fixé sur un piquet, à proximité d’un affût, amènera sur les arbres voisins une foule d’indésirables. Enfin, l’hiver venu, par grand froid ou neige, les rescapés — il en restera toujours — pourront subir une nouvelle diminution en usant du piège à ressort et du poison.

Le premier procédé donnera des résultats si on a eu soin d’attirer les pillardes sur un emplacement préparé en semant maïs, graines de courge, orge. Deux jours après, on placera les engins amorcés avec un de ces appâts. Recouvrir de terre sèche, débris de paille ; attacher solidement. Il est préférable de disperser les tendues ; une compagne prise qui se débat éveille leur méfiance.

.Plus efficace, l’empoisonnement exige des précautions multiples.

Voilà le procès des coupables terminé. Pas de circonstances atténuantes, pas de sursis ... exécutez-les au plus tôt. Si une lutte intelligente, méthodiquement conduite, est entreprise partout, d’une façon continue, vous aurez accompli votre devoir de chasseur consciencieux et prévoyant. Ces efforts seront récompensés, dès l’ouverture, par une augmentation sensible du gibier. Et vous, cultivateurs, jardiniers indifférents à la vibrante bourrasque d’une compagnie de perdreaux bien fournie, vous aurez moins de récoltes abîmées.

A. ROCHE.

Le Chasseur Français N°610 Octobre 1946 Page 278