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Un conte populaire

Marcalou, le fin chasseur

Il y avait une fois un certain homme qu’on appelait Marcalou, le plus fin chasseur qui se fût jamais vu dans nos petits pays.

C’est une belle humeur d’aimer la chasse. Cela apprend à aimer la liberté, la belle liberté dès le matin, dans le coton, quand les branches pendent encore, pleines de nuit ; puis, plus tard, quand l’air chaud qui sent la fougère mouillée monte en tremblant sur le lointain. Et tu vas, tu pourras aller tant et tant d’heures à l’aventure ! Devant toi, ces buissons, ces garennes, ces bois, et ce bon goût du vent, ce large de l’espace. N’est-ce rien que d’apprendre à aimer le grand air, à la fraîche, qui emporte les mauvais soucis et abonnit, le cœur ? Quand on voit un chasseur marcher sur la bruyère, délibéré, ne voulant que du bien à tous ceux qu’il rencontra, comment ne pas se dire : « C’est un brave homme ! »

Le Marcalou était un chasseur, et il avait dû être un brave homme ; mais, en dehors de la chasse, il aimait trop la ribote : un mangeur ! Il aurait fait passer les maisons par les fenêtres. Ne sachant que brediner, rire et boire. De sorte que s’ensuivaient de grandes âneries. Quand il ne battait pas le pays, il fallait qu’il battît sa femme. La pauvre ! en avait-elle vu ! L’oreille du curé aurait été bien crottée, si Marcalou était allé tout y verser, à son guichet. Mais Marcalou n’usait guère le pavé de l’église : il n’avait pas plus de religion que son chien n’avait de bottes. Dîtes ce que vous voudrez : trop peu, c’est trop peu. Vous verrez comme il lui en prit.

Lui qui se croyait si malin sur ce chapitre, il manqua un peu de prudence.

— Allons, chantait-il, je ne suis pas près de mourir encore ! je me porte comme un petit bœuf. Et au bout le bout !

Bon. Il allait dégagé, chauffé d’un bon sang rouge. Il se croyait bon pied, bon œil. La chasse conserve ; mais les ribotes, conservent-elles ? En tout cas, il prenait de l’âge, et l’âge lui prenait de sa vivacité. Le jour de ses quatre-vingts ans, pour la première fois de sa vie, à trente pas il manqua son lièvre ... Voilà qui est arrivé à beaucoup d’autres — c’est large, à côté des lièvres ! Mais ce ne lui était jamais arrivé. Lorsqu’il s’en rendit compte, il eut un coup de sang. Il tomba, le nez dans le serpolet bâtard, au bord de la pâture. Et lui arriva ce qui est arrivé aussi à quelques autres : il mourut.

Il se réveilla en un autre pays, noir comme le derrière du loup et froid à geler les pets du diable.

Que faire ? Il se tourne, se détourne, se retourne. Mais tourne que tourne, le voilà perdu. Crier : « Au marri ! », comme on fait l’hiver, dans la tourmente, quand on enfonce au plus épais de la neige ? Il sentait bien que personne ne viendrait à son secours, qu’il était là tout seul, battu de bise et de ténèbres au milieu d’étendues et d’étendues désespérantes.

Ce qu’il eut pour lui, précisément, ce fut de ne pas désespérer.

« Allons ! Il s’agit seulement, même dans cette poix, de bien prendre mon chemin : c’est le diable si je n’arrive pas au bout de la route ! Il n’y a que si le loup me croque ? Mais, maintenant que je suis mort, qu’est-ce ça peut me faire d’être croqué par le loup ? Marchons, vive la chance ! »

Qui dira comme il le démêla ? Mais il sut démêler de quel côté se tenait le Paradis. Il avait tant de remarque ! Dites qu’il connaissait le canton et la chasse, celui-là. Non pas seulement ce que les enfants savent de naissance, chez nous : que les lièvres se couchent la tête au levant ; que, si on leur arrive au-devant, il se tapissent dans leur gîte ; que, si c’est au derrière, ils se sauvent, et les habitudes et les comportements de chaque bête : mais tous les tours et toutes les astuces.

La finesse même. Peut-être un flair, aussi. N’avait-il pas fait croire aux gens qu’il flairait les lièvres comme un chien ? Ainsi, un matin d’ouverture, avant que le soleil eût levé la rosée sur les trèfles ; il rencontre trois compagnons chasseurs. « Il y a du lièvre, par là, je le sens ! » Il fait mine de humer l’air. Le drôle savait que c’était un coin à lièvres ; il se dit que le capucin ne pouvait pas être dans le mouillé, qu’il avait dû aller se sécher sur le curalier, le tas de pierres, au regard du midi. Il fait dix pas, il ajuste, et, devant eux, tout ébaubis, il tue son lièvre.

— C’est vrai ! disaient les autres, le soir, à l’auberge : il les flaire mieux que son corniaud ! Vrai comme voilà mes deux souliers ! Je te le dis, nous l’avons vu faire.

Donc, il avait dit : « Marchons ! » Plein de confiance en sa finesse, il marche, il marche. À s’user les jambes jusqu’aux genoux, si ses jambes avaient encore pu s’user. Il avait bien entendu dire que c’est un beau bout de chemin, l’éternité, mais il n’aurait pas cru que le chemin fût si long. « Allons toujours et nous verrons le jour ! »

En allant, en allant, il finit par le voir. Il arrive devant un enclos, une maison, ah ! plus château que tous les châteaux : essayer de dire comme c’était, quel rafraichissement, quelles odeurs, quelle lumière en venaient, on ne le pourrait.

Lui qui marchait depuis tant de jours, tant de nuits, sans boire et sans manger, eût-il soif, pour le coup, d’entrer en cet enclos ! Plus qu’il n’avait jamais eu soif d’entrer dans une auberge. Dieu sait quelles centaines de bouteilles il avait été ainsi amené à vider, et ce qui s’en était ensuivi ... Mais, devant ce Paradis, c’était une soif plus furieuse encore qui le séchait. Il sentait bien son âme un peu crottée, comme l’oreille du curé l’aurait été, oui, s’il avait pu tout y verser avant de partir, ou comme elle doit l’être au moment de Pâques. Il se disait pourtant qu’il trouverait bien quelque tour de finesse. Habile, mais habile à faire tomber les buses du ciel ! ...

Il se présente-donc à la porte, trois petits coups frappant.

— Qui est là ?

— Moi, le Marcalou.

— Marcalou le fin chasseur ?

— Si vous voulez.

— Je le veux, mais ici on ne veut pas de lui. Sais-tu où tu es et à qui tu parles ?

— Je le saurai quand vous l’aurez dit.

— Eh bien ! c’est ici le Paradis, et ...

— Je ne pouvais pas mieux tomber, alors !

— Je crois qu’où tu vas tomber, c’est plus bas. Je suis saint Pierre. Ton compte est tout réglé sur mon grand livre. Veux-tu que je te mette le nez dessus ? Alors, file !

— Une minute, bon grand saint Pierre ... J’aurais voulu entrer pour donner le bonjour à mon oncle le sacristain ...

— Ton oncle ! Lui aussi s’est trop arrosé à l’auberge ! Il faut qu’il se sèche en purgatoire. Il en a pour cent ans.

— À ma tante, alors, la béate ?

— Ta tante, elle est en enfer. Elle y cuit sa malice. Et toi, va la retrouver. Si le bon Dieu me voyait en propos avec un gaillard tel que toi, les grives chanteraient comme les merles.

— Allons, bon grand saint Pierre ! Dire que je suis là, à votre porte ... Laissez-moi profiter de l’occasion : seulement mettre le bout du nez en Paradis ?

— De fait, je me demande comme tu t’y es pris pour trouver le-chemin ! ... Le bout du nez ? Évidemment, ce n’est pas beaucoup ... Le bout du nez, enfin soit.

Là-dessus se présente une bonne âme, lavée, réconciliée, administrée, celle-là. Saint Pierre s’empresse. Il ne veut pas la faire attendre. Toute grande, il lui ouvre la porte. Et mon Marcalou, ma foi, use de la permission qui vient de lui être donnée. Il met le bout du nez en Paradis.

Seulement, pris de honte, sans doute, il plie l’échine, tourne l’épaule, entre à reculons.

Et voilà ! Il est dans le Paradis, et il y est tout entier ! Chopine à qui le fera sortir.

Saint Pierre ne s’en avise que quand, le bout du nez, après tout le reste, est de l’autre côté de la porte. Et il voit sur le champ, le pauvre saint Pierre, en quel cas il s’est mis avec un chenapan de ce poil. Comment sortir de là ? Ou plutôt, ce Marcalou, comment le faire sortir ?

Saint Pierre essaie, faisant de grands bras, de le pousser dehors. Mais pas de nouvelles.

— Voyons, voyons, repasse-moi cette porte, et un peu vite !

Marcalou fait seulement signe qu’il n’est pas si pressé de partir.

Saint Pierre ne vit plus. Et que le bon Dieu aperçoive maintenant ce sacripant dans son Paradis ? ... Oui, qu’en sera-t-il, s’il vient à passer par là, tout à l’heure !

Celui qui passa, ce fut un ange, quasi fait comme un enfant, un angelot la lèvre riante et l’œil vif. Devant un saint Pierre si entrepris, si tracassé, il s’arrêta, gentiment, et voulut s’enquérir.

— Oui, bon saint Pierre, c’est un peu taquinant. Un finaud, votre Marcalou. Mais le moyen peut se trouver de brider sa finesse. Ne soyez pas en peine.

Et allant où ses affaires l’appelaient, il continue son chemin, sort par la porte ouverte.

Saint Pierre, lui, continuait ses objurgations. Marcalou, lui, le laissait continuer. S’applaudissant de son adresse, il se sentait content de soi, comme sur terre à sa troisième ou quatrième chopine. Dans ce Paradis, on pouvait se trouver bien. Alors ? Repasser la porte ? Tiens, non ! Et de ce non, saint Pierre comprenait que le particulier ne voudrait pas sortir, que du Paradis il ne sortirait plus jamais.

On en était là, donc, lorsqu’il se fit un peu de bruit au dehors. Tout à coup en vint, comme une fanfare, la voix d’un chien courant qui menait le lièvre.

Oh ! alors ! Ce fut plus fort que lui. Il avait trop la chasse dans le sang, ce Marcalou. Il se précipite vers la porte. Il sort sur la pelouse. Il cherche des yeux ce chien, le lièvre aussi.

Tout ce qu’il voit, c’est un ange, quasi un enfant. Et Marcalou comprend soudain la feinte, à n’en pas douter : c’est cet ange qui, d’une voix plus chantante que celle d’une cloche, s’est amusé à lancer la fanfare. Voici, du reste, devant le chasseur ahuri, qu’il part à rire ...

— Il n’est si fin qui ne trouve encore plus fin pour l’affiner, Marcalou !

Dans l’instant, la porte s’est refermée comme un tonnerre, et Marcalou se voit, selon le mot de chez nous, fermé dehors.

— Écoute, Marcalou, reprend l’ange : ta place n’est pas au Paradis. Tu resteras hors de la porte. Tu auras pourtant cette campagne, et des lièvres, et ton chien. Ton éternité, tu aurais dû la faire en un lieu assez chaud ; mais Dieu est la bonté même, et tu la feras à la chasse !

Henri POURRAT.

Le Chasseur Français N°610 Octobre 1946 Page 283