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L’ombre commun

Dans notre causerie précédente, nous avons parlé de l’omble-chevalier, poisson des lacs profonds, parfois confondu avec celui qui va faire l’objet de notre présent entretien, et vous pourrez voir que ces deux salmonidés ne se ressemblent guère.

L’ombre commun (Thymallus vexillifer) est un poisson habitant des rivières claires, en général peu profondes, aux eaux très pures, courantes et aérées ; il ne vit pas dans les lacs.

Moins rare, en France, que l’omble-chevalier, il n’est cependant pas très répandu et se rencontre seulement dans quelques cours d’eau de l’Est, du Centre, du Sud-Est, parmi lesquels on peut citer : le Doubs, le Rhône, la Loire, l’Isère, la Loue, l’Ain, l’Allier, les deux Lignon, l’Allagnon et quelques autres.

C’est un poisson de forme allongée, point massif, svelte et de proportions élégantes. Il se reconnaît, entre tous les habitants de nos rivières, à l’ampleur exceptionnelle de sa nageoire dorsale, haute et large, ornée de bandes sombres, que l’on a comparée à un étendard déployé, d’où son nom.

Les nageoires inférieures sont rougeâtres ; l’adipeuse et la caudale, qui est fourchue, sont grises.

La livrée est fort seyante ; chez les jeunes, le dos est bleu d’acier, les flancs et le ventre d’un blanc très brillant. Les écailles, petites et argentées, sont piquetées de taches noires ; des bandes grises, plus ou moins accusées, se dessinent sur les côtés du corps. Les vieux ombres ont des couleurs plus sombres, plus ternes.

La natation de ce poisson est puissante, rapide, vertigineuse même quand, effrayé, il s’enfuit comme l’éclair.

Sa bouche est petite, curieusement encadrée de deux cartilages ; aussi sa nourriture ne se compose-t-elle guère que de proies infimes : larves, crustacés, mollusques aquatiques, mouches diverses, en particulier éphémères et phryganes. Il s’attaque, dit-on, aux œufs de truites, mais pas aux petits poissons, comme le fait l’omble-chevalier. Jamais je n’ai vu d’ombre commun prendre les vérons vivants ou les devons avec lesquels je péchais la truite.

Le temps du frai, plus tardif que chez cette dernière, se situe habituellement en mars. Les œufs, pondus sur le gravier ou dans la pierraille, sont assez nombreux et mettent environ vingt jours à éclore. Certaines années, ils réussissent presque tous, et il n’est pas possible de lancer un coup d’épervier-goujonnier sans ramener de petits alevins de cette espèce.

La chair de l’ombre est ferme, blanche, jamais saumonée ; elle est égale en excellence à celle de la truite, avec, parfois, un parfum spécial de thym, assez fugace. L’ombre doit être mangé très frais, au sortir de l’eau si possible.

En pêchant au printemps, j’ai pris parfois des ombres au ver, à l’asticot ou au caset, mais ces prises ont été relativement rares. Il en a été tout autrement en me servant des mouches artificielles, et c’est pourquoi je me bornerai, ici, à l’exposé de ce mode spécial de pêche.

L’ombre commun se tient, d’ordinaire, dans des courants dont la profondeur varie de 0m,80 à 1m,50, plus rarement dans ceux qui sont plus creux. Il n’aime guère ceux qui sont très rapides et surtout bouillonnants ; il leur préfère ceux d’allure uniforme, coulant sur fonds pierreux ou graveleux.

Les gros se cantonnent souvent aux coudes des rivières, aux endroits où le courant vient buter contre une berge excavée avant de repartir au large. Quand nous disons gros ombres, n’exagérons pas. Chez nous, ce poisson ne dépasse guère trois livres, et ceux que les pêcheurs capturent le plus souvent varient entre 100 et 600 grammes environ.

La plupart de nos lignards pêchent l’ombre à la mouche noyée, en fixant de trois à six mouches-araignées sur un long et fin bas de ligne, à l’aide de très courts avançons perpendiculaires au fil central.

Ils emploient, le plus souvent, des cannes en roseau ligaturé, de cinq à six mètres de longueur, fines et flexibles. D’autres préfèrent la canne courte en bambou refendu, plus maniable et plus agréable à la main ; affaire de goût.

Le corps de ligne est en soie émaillée de faible grosseur ; le bas de ligne en refina, en fin cat-gut, en crins japonais ou en racines anglaises 2 X à 4 X, suivant la clarté de l’eau.

Le moulinet est utile, non indispensable.

Les mouches sont du type « araignée », très peu fournies en hackle ; le genre dénommé « mouche Jourget » est très recommandable ; ces mouches sont montées sur de très petits hameçons.

Leur couleur ? ... J’ai entendu discuter à ce propos pendant des heures, sans que les adversaires se missent d’accord.

Celles qui m’ont le mieux réussi ? ... Eh bien ! voilà : en juin, juillet, août, celles de teintes rougeâtre, violette, jaune paille, verdâtre, saumon, rose vif ; en automne, celles de couleurs rousse, grisâtre, vert mousse, gris bleu, beige, fauve, noire.

Quand on pêche avec canne longue, comme le fait la majorité de nos pêcheurs, on déploie une ample bannière ; on lance en travers du courant ; la ligne bien partie au large, on la tient aussi tendue que possible pour mieux sentir les touches et ferrer à temps.

L’ombre, qui se tient sur le fond, derrière les pierres, monte vers la mouche, se retourne légèrement sur le côté, la saisit et redescend aussitôt. Il ne saute pas hors de l’eau pour la prendre ; c’est à peine si, dans le courant, l’œil distingue le petit cercle fugitif résultant de la touche en surface.

Le plus souvent même, l’ombre s’attaque à la mouche d’extrémité, entièrement noyée ; ce n’est que par la brusque tension du fil qu’on s’en aperçoit.

Si la ligne est bien tendue, l’assaillant se prend seul ; dans le cas contraire, il faut ferrer avec une rapidité extrême, sans quoi le poisson est manqué.

Certains jours, cela arrive si souvent qu’on abandonnerait volontiers la partie. On laisse les mouches décrire le quart de cercle traditionnel, puis on les relance quand elles sont arrivées au bord. Il ne faut pas hésiter à exécuter plusieurs jets successifs à la même place, car il se peut que l’ombre boude et ne se décide que si la mouche passe plusieurs fois au-dessus de lui, imitant une éclosion d’éphémères en dérive.

On pêche ainsi en descendant lentement la rivière. Les touches ont lieu plus souvent en plein courant que sur les bords. Le voisinage des roches émergées et autres obstacles doit être consciencieusement exploré.

Le poisson étant ferré, la ligne ne doit plus se détendre ; le pêcheur ramène sa canne en arrière de l’épaule et oblige le captif à remonter légèrement en amont de lui, puis, lui tenant la tête hors de l’eau, il le laisse redescendre dans l’épuisette tenue un peu au-dessous de la surface, l’empoche, le tue et le met au panier.

Tant que les eaux restent fraîches, la mouche noyée donne des résultats assez satisfaisants, surtout le matin et, le soir, à partir de dix-sept heures. Il n’en est plus de même par les grosses chaleurs, quand les eaux sont basses et d’une limpidité de cristal.

Il faut alors recourir à la mouche flottante, mode de pêche dont je ne vous dirai rien, car de savants ouvrages, écrits par des maîtres, ont traité la question avec une autorité tout autre que la mienne ; permettez-moi donc, chers confrères, de vous y renvoyer.

R. PORTIER.

Le Chasseur Français N°610 Octobre 1946 Page 288