Nous avons vu, ici, que la moitié environ du parc automobile
de tourisme a survécu à la tourmente. Peu à peu, après six ans de léthargie,
les voitures commencent à reprendre la route. Il est maintenant permis
d’escompter, dans un avenir prochain, le retour tant désiré à la liberté en
matière automobile.
Mais nous voici devant notre véhicule dont la vie a été
suspendue pendant de nombreuses années. Mettons-nous dans le cas le plus
défavorable, et malheureusement le plus général, où tous soins ont été suspendus
pendant la même durée.
Il nous faudra tout d’abord faire tourner le moteur. Ce
n’est pas là une petite histoire. La première chose à entreprendre, avant tout
essai, sera de « déculasser ». On procédera à un rodage soigné des
soupapes. Quelques-unes seront à changer certainement. Les autres devront être
rectifiées ainsi que leur siège. On décollera les pistons en tournant le moteur
à la main, chose facile si ceux-ci ne sont pas gommés et vu l’absence de
compression. Dans le cas où les pistons sont gommés dans les cylindres, on
injectera de l’huile fluide d’abord, puis du pétrole si le résultat tarde un
peu trop. On peut profiter de l’occasion pour changer les segments, si
toutefois on peut en trouver de bonne qualité.
On portera ensuite ses regards sur l’équipement électrique
d’allumage. C’est lui qui aura souvent le plus souffert. Il cause les pires
ennuis et les pannes les plus fantasques. Les vis platinées seront à changer,
le système de rupture à remplacer, car il sera certainement rouillé. On réglera
l’écartement des vis avec soin. Nous savons qu’un espace de 4/10 de millimètre
est normal. Le condensateur ne remplit plus son rôle et est à remplacer neuf
fois sur dix. La bobine défaillera probablement. L’isolement des fils, par
suite du dessèchement des caoutchoucs isolants, sera, dans ce cas, à
incriminer. Changeons donc la bobine. Enfin vient le gros morceau de
résistance : la batterie ; malgré toutes les précautions qu’on aura
pu prendre au début de la guerre, charges suivies de vidange, il y a beaucoup
de chance pour que celle-ci vous claque au premier coup de démarreur. Une
batterie de tourisme est très difficile à trouver en ce moment. Mais supposons
que vous êtes très débrouillard et que vous arriviez, à force d’astuce et sans
trop regarder au prix, à dénicher cet oiseau rare. Mettez donc la nouvelle
venue en place. Un coup d’œil sur les bougies, une courte vérification aux fils
d’alimentation de celles-ci, et vous voici paré de ce côté-là. Mais reste le
démarreur et la dynamo. Démontez-les et portez-les chez un spécialiste. Faites
des prières, tout le long du chemin, pour que, de ce côté, tout aille bien, ce
que nous ne croyons guère. La sueur de mécanicien est de nos jours hors de
prix, mais celle d’électricien en voiture, c’est bien autre chose. Supposons
que cette vérification ne tarde pas quelques semaines, et remettons tout en
place. Remontons soupapes et culasse. N’oublions pas de changer les
joints : culasse, carburateur, échappement et admission, etc. Au point où
nous en sommes, nous ne pouvons plus lésiner. Penchons-nous sur le carburateur.
Démontage, nettoyage, remontage général. Voyons de près la pompe à essence.
Découvrez, avec bon, sans bon, marché noir ou blanc, comme
vous le pourrez, les dix litres d’essence nécessaires aux essais. Si vous êtes
un garçon qui aimez bien faire les choses, ou ne regardez pas à la dépense,
faites enlever le réservoir et la tuyauterie. Vous y ferez de curieuses
découvertes. L’essence à base d’alcool qui y aura séjourné aura corrodé et
attaqué les tôles et formera une boue qui aurait eu beaucoup de mal à être
digérée par votre moteur. Tout est en place et propre maintenant. Appelez
l’essence. Armez-vous de votre manivelle. Peut-être le moteur daignera-t-il
tousser ! Ce qui est certain, c’est que vous attraperez un tour de reins.
Vous aurez la ressource d’avoir recours à une autre voiture, et, en remorque,
vous arriverez plus facilement à vos fins. N’oubliez pas que vous avez vidangé
l’eau du moteur et qu’il sera grand temps de vous précipiter sur l’arrosoir pour
faire le plein. Laissez tourner une demi-heure ou une heure, réglez votre
carburateur. Mais vous n’êtes décidément pas veinard. Au cours de cette mise en
route, vous vous êtes aperçu de désastres insoupçonnés. Ceux-ci varient d’un
type de voiture à un autre. Ici, c’est l’embrayage qui reste obstinément collé.
Injections de pétrole, d’huile, et ... rien à faire. Il n’est pas rare
d’être obligé de procéder à un démontage de cet organe. Alors vous commencez
sérieusement à vous émouvoir, et reconnaissons qu’il y a de quoi. Parfois,
surtout chez les « hydrauliques », vous constatez que, si votre chère
voiture roule bien, il n’y a plus moyen de l’arrêter. La commande de freins est
morte. L’étanchéité du piston du maître cylindre n’est plus qu’un souvenir,
Comme ce dernier, bien entendu, est toujours placé à un endroit inaccessible,
vous frémissez aux « heures » qui s’allongent.
Il y a maintenant les surprises plus douces qui
apparaissent. Votre pot d’échappement, que l’on fabriquait avec des tôles d’une
épaisseur de papier à cigarettes, rouillé par la condensation des gaz, fait
harakiri à la première explosion.
Voici la boîte de vitesses dont les commandes, rouillées, ne
veulent plus faire passer les vitesses. Mais votre chance vous protège, à moins
que ce ne soit saint Christophe qui est à remercier. Vos ennuis se sont
envolés, vous n’y pensez déjà plus. Vous roulez. Ah ! cet instant béni,
l’avez-vous assez attendu ! Vous voilà de retour de votre essai. Votre
femme est près de vous. Elle se lamente sur les coussins, tapis, moquettes qui
ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes par suite de l’appétit insatiable des
mites. Évidemment, une belle peinture donnerait une nouvelle jeunesse à votre
auto. Vous vous enquerrez des possibilités. Un devis vous fixe bientôt. Il vous
en coûtera pour une peinture exactement ce que vous avez déboursé, en 1938,
pour l’achat de votre véhicule neuf. Un bon lustrage, et, après tout, sa robe
n’est pas si laide. Qu’importe tout cela ! Devant vous, la route est
belle.
G. AVANDO,
Ingénieur E. T. P.
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