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Sports nautiques

Nouveautés

Les bureaux d’étude anglais et américains ont accompli, pendant les hostilités, un gigantesque effort qui, heureusement, portera ses fruits pour les fabrications d’après guerre. Certaines de ces nouvelles techniques intéressent la marine en général et le yachting en particulier. L’emploi de matériaux nouveaux, notamment, est appelé à révolutionner la construction navale.

Une des premières conséquences de ces techniques nouvelles est la réhabilitation du bois, qui devient un matériau de résistance, alors qu’il semblait devoir être éliminé progressivement par les métaux légers. Des résultats remarquables ont été obtenus par le façonnage à chaud du contre-plaqué sous pression. Une nouvelle gomme résine synthétique, très adhérente, permet de souder plusieurs feuilles de bois en un seul morceau. Le produit obtenu ayant donné toute satisfaction au point de vue résistance et légèreté, on l’utilisa pour la construction des barges de débarquement.

Un autre procédé est celui de la comprégnation, par lequel le bois est imprégné de résine synthétique ou de métal à bas point de fusion, chauffé et soumis à la compression. Le bois ainsi traité résiste à l’altération, à la contraction et au feu. Une usine anglaise a fait pour l’amirauté des bateaux de sauvetage en bois moulé. Ces embarcations, de 9 mètres de long, devaient être parachutées. Le bordé de la coque avait 1 centimètre d’épaisseur, et le poids total était de 172 kilogrammes. Pour obtenir ces coques, on utilise un moule à la forme exacte du bateau. Ce moule est recouvert de minces feuilles de bois collées avec une colle du type bakélite ou du type urée-formol. Le tout est passé à l’autoclave à 120 ou 140° pendant vingt à soixante minutes suivant l’épaisseur du bois. Une fois refroidie et démoulée, la coque ne demande qu’un ponçage. On voit les avantages de ce procédé : diminution de poids (donc accroissement de la vitesse), similitude de toutes les unités pour les séries de monotypes, étanchéité parfaite, pureté de lignes impeccable, diminution du prix de revient.

Par ces mêmes techniques, une usine fabrique des panneaux de contre-plaqué destinés à la construction navale. Ces panneaux ont 15 mètres de long, 19 millimètres d’épaisseur et pèsent 250 kilogrammes. On annonce aussi qu’un ingénieur de l’Institut de Brooklyn a mis au point un procédé pour fabriquer des plaques avec de la sciure et d’autres déchets du bois. Ces plaques ont les mêmes qualités qu’un bois de pin, et elles résistent d’une façon satisfaisante aux termites, à la pourriture, à l’humidité, au gauchissement, au gondolage et au rétrécissement. On peut aussi les mouler comme du plastique aux formes désirées, et on a commencé la construction de bateaux en une seule pièce.

Pour le yacht de course comme pour l’avion, le poids, c’est l’ennemi. Tout le monde connaît le magnésium ; pas celui du photographe, mais le métal extra-léger (quatre fois plus que l’acier) qui permet de fabriquer une machine à écrire d’un kilogramme et des pièces d’avion plus légères que le duralumin. Des alliages au magnésium sont déjà employés pour certaines pièces à bord des yachts de course. Mais, pour la mer, les qualités demandées aux nouveaux alliages, c’est l’inoxydabilité. Là aussi, amélioration sensible sur la qualité et les prix. Éviers et lavabos de type standard sont en métal inoxydable. Quant aux moteurs, les progrès réalisés sont connus du grand public. Signalons en passant l’utilisation croissante du Diesel aux États-Unis, où la production est passée de 14.000 unités, en 1937, à 250.000, en 1944. D’autre part, la Cooper Bessemer Corporation a mis au point un nouveau Diesel où le liquide combustible est transformé en gaz par un simple jeu de valves. On peut ainsi utiliser une grande variété de combustibles : essence, gaz naturel, gaz de coke, etc., sans modifier la disposition du moteur, qui donnera, dans chaque cas, le même rendement. Mais un nouveau moteur à turbine, plus récent encore, semble devoir apporter à la propulsion mécanique, aussi bien pour la route que pour l’eau, une révolution sensationnelle.

Pour notre gréement, nous aurons des filins plus légers, plus résistants et imputrescibles. Plus de voiles piquées. Les tissus de coton imperméable, destinés aux aviateurs exposés à des amerrissages forcés, seront les bienvenus pour les gens de mer. Les tentures et tapis seront en tissus de laine de verre ininflammables et indestructibles. Les vapeurs de silicon seront appliquées sur toutes les surfaces à imperméabiliser. Ces vapeurs forment une pellicule invisible qui ne dénature même pas le toucher. Les vêtements, chaussures, papiers, parois vitrées, métaux ... passés aux vapeurs de silicon seront insensibles à l’eau. Si vous retrouvez vos cigarettes baignant dans l’eau au fond de votre bateau, ne vous désespérez pas. Si elles ont été traitées au silicon, elles seront aussi sèches qu’en sortant des rayons de votre buraliste. Vous connaissez depuis peu la fameuse poudre D. D. T., la terreur de nos petits parasites. Mélangée à la peinture, elle foudroie les tarets, ces sinistres destructeurs de coque.

Le problème du ravitaillement à bord est devenu grandement simplifié (quand j’écris « est », il s’agit de l’Amérique ; pour nous, tout est au futur ...) : frigidaires réduits et pratiques étudiés spécialement pour le yachting ; innovations en matière d’emballage permettant de conserver, sous un faible volume, un stock de légumes déshydratés et compressés dans des feuilles d’aluminium scellées à chaud ; emballages hermétiques, imputrescibles, imperméables solides ; fabrication courante d’excellents concentrés : quelques gouttes dans une tasse d’eau chaude, et vous avez un délicieux café. Le moulin du même nom a vécu ... et, personnellement, je ne le regretterai pas, car j’ai toujours éprouvé une antipathie profonde pour cet ustensile, qui ne m’a pourtant jamais rien fait, mais qui prenait à mes yeux, à bord, me place hors de proportion avec son usage limité.

Mais si, en général, les yachtmen ne regrettent pas cet instrument, certains, par contre, verseront des pleurs sur la mort prochaine du sextant.

Le fameux problème du point est instantanément résolu par le « decca navigator » ou D. N., qui rend les mêmes services en navigation maritime qu’en navigation aérienne. Le decca peut être branché sur batterie, sur pile ou sur le courant du bord. Nous renvoyons nos lecteurs, pour son principe et son fonctionnement, à l’article que consacre à cette invention notre confrère Avronsart dans l’article ci-dessus. Le D. N. équipait les bateaux de débarquement en Normandie, et il a fait ses preuves dans des conditions parfois très dures, donnant la position avec une grande précision et par tous les temps, alors que le sextant ne peut rien contre la brume.

« C’est très beau, tout cela, diront certains yachtmen qui ont eu des difficultés avec leur estomac, mais contre le mal de mer ? » Eh bien ! on y a pensé. Les Services de santé de la R. A. F. ont étudié les possibilités de le prévenir. Le problème était d’importance. Le mal de l’air est semblable au mal de mer. Les troupes aéroportées arrivaient sur le terrain avec des malades bien mal en point pour combattre. On a trouvé un antidote à base de scopotamine, grâce auquel 75 p. 100 des cas ont pu être prévenus ou guéris. Nous voilà donc 75 p. 100 rassurés pour les croisières futures.

Il resterait beaucoup à dire sur une foule de petites améliorations techniques. Mais la série que nous venons de voir est déjà impressionnante. Certains de ces matériaux et de ces techniques sont déjà connus depuis longtemps de nos usines et de nos chantiers. Si j’ai intitulé cet article « Nouveautés », je précise que ce qui est nouveau, ce sont les transformations, les perfectionnements apportés par la guerre, quand ce n’est pas l’invention elle-même.

Souhaitons que le premier résultat de ces améliorations et de ces découvertes soit un abaissement sensible des prix de revient ; car ce yacht en bois moulé, étanche, léger, imputrescible et confortable qu’on nous promet au pays des dollars et que nos chantiers construiront bientôt, il faudra le payer avec les pauvres petits francs de chez nous.

A. PIERRE.

Le Chasseur Français N°610 Octobre 1946 Page 294