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Scoutisme

L’aventure

C’est dans la possibilité donnée par le scoutisme aux enfants de connaître les rudes joies qui les tentent qu’il faut chercher les raisons de son prestige incomparable auprès d’eux.

Car tous les enfants aiment l’aventure. S’ils sont en bonne santé, ils ne goûtent que le bruit, la lutte, l’agitation. Ils cherchent la « bagarre ». Pour s’en persuader, assistez à la projection d’un film « du Far-West », où les cow-boys se lancent à la poursuite des Peaux-Rouges, puis, réunis dans une auberge, se battent entre eux, à grands coups de poings, de chaises, de tables et de revolvers ... Le public juvénile, alors, crie, trépigne, applaudit.

Or, livrés à eux-mêmes, les enfants pratiquent quels jeux ? À part les jeux sportifs qui ne font pas appel à l’imagination, ils ne connaissent que des jeux sans couleur, sans âpreté : les billes, cache-cache, le saute-mouton, les barres, les gendarmes et les voleurs ...

Que survienne un garçon audacieux, alors, derrière lui se forme une bande. On construit une cabane en planches dans la banlieue, ou une hutte dans la campagne. On y tient des conciliabules. On part pour des raids nocturnes, l’hiver, à la recherche de sonnettes à tirer ou de clapiers à dévaliser. Surtout — surtout — on essaie de trouver une bande adverse avec qui échanger des coups.

Qui n’a lu la délicieuse Guerre des boutons ou vu le film qui en est tiré, La Guerre des gosses ? Qui n’a ri aux batailles rangées qui opposent les gamins de deux villages voisins, après lesquelles les vainqueurs s’accordent le droit de couper les boutons retenant la culotte de leurs adversaires ?

Mais, trop souvent, ces mirifiques exploits ne durent pas. D’une part, les parents essaient d’y mettre bon ordre ; d’autre part, les « bandes » se révèlent instables : le manque de discipline s’y fait sentir, le chef n’a pas assez d’expérience, ni d’autorité.

Alors, rien ne va plus ... Ah ! si le grand frère de Pierre, qui a dix-huit ans, voulait se mêler à ces jeux et commander ! Cela marcherait ...

Mais le grand frère de Pierre ne veut pas, car il rougirait de jouer avec les « gosses ».

Et c’est ici qu’apparaît le chef éclaireur, l’arbitre, le magicien de l’aventure.

Lui s’impose à tous sans difficultés, lui connaît des histoires que l’on peut jouer, lui dispose de moyens pour faciliter la réalisation des jeux.

Il puise ses thèmes dans les livres qui exaltent le mieux l’imagination, dans ceux de Jules Verne, de Curwood, de Jack London, de Fenimore Cooper ; dans la vie des conquérants ; dans les bons romans policiers ; dans l’actualité enfin, où les belles aventures ne manquent pas : explorations de Byrd, Lhote, Victor, tentatives de savants.

Sans exposer ses éclaireurs à de véritables périls (et on conviendra que les accidents n’arrivent pratiquement jamais dans les troupes scoutes), il leur fait cependant surmonter des obstacles difficiles. Écoutez-les ensuite raconter, comment leur patrouille a franchi une rivière sur un pont de cordes hâtivement construit, ou comment, par une nuit noire, elle a découvert le lieu de retraite d’une patrouille adverse et fait prisonniers tous ses membres.

Sous une direction à la fois hardie et prudente, les garçons « vivent vraiment » de belles aventures.

Mais, direz-vous peut-être, quel intérêt à favoriser ainsi chez les enfants leur instinct d’évasion, à donner raison, en quelque sorte, à leur exubérante imagination ? Ne vaudrait-il pas mieux détourner leur goût romanesque, leur apprendre à travailler tranquillement, régulièrement ?

Raisonner ainsi serait méconnaître absolument les besoins de l’âme juvénile. Quoi qu’on fasse, les enfants garderont au fond de leur cœur le goût du combat. Si on cherche à brimer ce goût (telle est trop souvent l’ambition de la famille et de l’école), on ne réussit qu’à le refouler passagèrement. Dès qu’il a quelques moments de liberté, l’enfant prend sa revanche, et c’est ainsi que naissent les « bandes noires », spécialisées dans les mauvaises farces ou le vol.

Le scoutisme a eu le grand mérite de comprendre à fond le caractère du garçon. Loin d’étouffer ses qualités de lutteur, il les favorise, mais il les canalise vers un but noble : la préparation au métier d’homme. Au cours de ces jeux ardents, d’allure presque héroïque, que le scout exécute à travers monts et forêts, il développe son initiative, son habileté, son audace ... Il s’entraîne à la vie, parce qu’il s’entraîne à la lutte. Adulte, il prouvera qu’il est plus fort que les autres. Rien n’est aussi éducatif que l’aventure.

Fernand JOUBREL.

Le Chasseur Français N°610 Octobre 1946 Page 295