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Les grandes épreuves hippiques

Le souhait que nous exprimions en terminant notre dernière chronique s’est fort heureusement réalisé, et dans des conditions si probantes et si flatteuses pour la réputation de notre élevage hippique que nous pensons devoir rassembler, dans une revue d’ensemble rétrospective, les noms de tous les « bons ouvriers », hommes et chevaux, qui ont contribué à ces brillants résultats.

Ceux que nous avons enregistrés chez nous, sur nos hippodromes, ont, autant qu’on pouvait l’espérer, apporté au renouveau de ce qu’on est convenu d’appeler la « Saison de Paris » la participation d’un public de plus en plus nombreux, se montrant toujours passionné de beau sport, en même temps que fervent de manifestations d’élégance, dont, après plus d’un lustre de privations, nous avions presque perdu le souvenir.

Mais c’est surtout à l’étranger que nos représentants sont allés cueillir les lauriers les plus glorieux, avec des victoires prestigieuses, dépassant presque nos espérances, et dont la répétition, en supprimant l’influence favorable de la capricieuse plus que glorieuse « incertitude du turf », a fait, entre autres, l’étonnement d’abord, puis l’admiration de tous les sportsmen anglais, dont on connaît la prédilection, la science et l’expérience pour tout ce qui concerne l’élevage et le sport hippique.

Cette année, aucun de nos chevaux n’a tenté sa chance dans ce fameux « Derby d’Epsom ! » —lien entre tous les Anglais, sur toute la surface du globe. — cette épreuve capitale des compétitions anglaises, devenue une véritable institution nationale, dont la liste des vainqueurs, depuis sa fondation, en 1780, où triompha Diamed, à sir C. Bambery, suscite l’envie et l’émulation de tous les grands propriétaires d’écuries de courses du monde entier. Par contre, depuis 1860, époque à laquelle remonte notre première tentative, nos représentants y ont maintes fois figuré, avec les fortunes diverses, souvent malencontreuses, mais qui n’ont pas empêché, en 1865, la facile et très impressionnante victoire de Gladiateur, le crack célèbre du comte de Lagrange, puis celle de Durbar, en 1914, et enfin de Bois-Roussel, en 1938, deux dates mémorables qui, chaque fois, hélas ! se trouvèrent associées au souvenir de rivalités et de luttes moins pacifiques.

Absents de la grande épreuve d’Epsom, les chevaux français semblent avoir été réservés pour le meeting d’Ascot, également classique et populaire, et tout spécialement pour la « Gold Cup » (Coupe d’Or), où ils remportèrent le plus brillant et le plus significatif des succès en s’adjugeant les trois premières places de cette course de fond (4.000 mètres), dotée d’une allocation de 5.000 livres sterling.

Un chroniqueur anglais consignait à ce propos, dans un compte rendu particulièrement élogieux : « Ce triomphe complet des chevaux français, quoique attendu ( ?) — sans doute, mais pas tant que ça ! — plongeait dans la consternation les Britanniques, qui sont encore à se demander quelles étaient les raisons de cette ... catastrophe ( ?). »

De leur meilleur côté, tâchons de voir les choses et contentons-nous de marquer d’une pierre blanche ce jour trois fois heureux du 20 juin 1946 où, en présence du roi et de la famille royale, la « Gold Cup », réunissant sept concurrents, dont Kingstone, le cheval du roi, fut gagnée, moins facilement qu’on s’y attendait peut-être, mais de deux longueurs pourtant, par Caracalla, monté par C. Elliot, à M. Marcel Boussac, devant Chanteur (G. Bridgland), à M. Magot, et Basileus (C. Bouillon), à M. J. Couturie, à cinq longueurs.

La durée de la course, sur un terrain alourdi par des orages successifs, fut de 4’41’’1/5 ; entraîneur du gagnant : H. Semblat.

Et, comme il n’y a pas de belle fête sans lendemain, le 21 juin, quatrième et dernier jour du meeting, nous n’avons pas, à nouveau, remporté une triple victoire, mais bel et bien trois victoires différentes, également honorables et méritoires. Tant et si bien que le chroniqueur déjà cité a pu écrire :

« Mais le véritable « massacre » des champions anglais par les étrangers intervint à la dernière réunion, celle du vendredi. » Dans la première course, les « Jersey Stakes », pour trois ans, sur 1.555 mètres, la tâche quasi impossible de rendre dix livres à la meilleure classe anglaise a été néanmoins tentée par Mme Joseph Lieux avec le cheval Sayani, confié au jockey Poincelet, qui, dans une arrivée chaudement disputée avec le crack jockey E. Smyth, montant Wayward-Bell, gagnait d’une tête sur le poteau, à la cote rémunératrice de 16 1/2 contre un.

Priam, à M. Marcel Boussac, gagnait ensuite les « Hard-wicke Stakes » en battant plusieurs bons trois ans anglais auxquels il rendait deux stones, soit 28 livres, sur un parcours de 2.400 mètres.

Enfin, dans le « Prix de la reine Alexandra », distance et parcours de la Coupe d’Or, réunissant cinq partants, Marsyas, encore un pensionnaire de la formidable écurie Boussac, gagna de bout en bout, en semblant se jouer de ses adversaires, la seconde place étant prise, aussi facilement, par Urgay, autre cheval français, devant Rising-Light, un cheval du roi. À la rentrée du vainqueur au pesage, une très sympathique et très sportive ovation fut faite à l’excellent jockey C. Elliot et à son heureux propriétaire, qui trouvait, une fois de plus, motif à persévérer dans les efforts, voire même les sacrifices, dont il s’est fait une loi, pour le bon renom et la prospérité de notre élevage de pur sang, si durement éprouvé, au cours de ces dernières années, par la convoitise des Barbares !

Le 23 juin, le « Grand Prix de Bruxelles », 400.000 francs — 2.200 mètres, se courait sur l’hippodrome de Boitsfort, avec dix partants appartenant à trois nationalités différentes : deux Anglais, trois Français, cinq Belges, et comprenant sept poulains et trois pouliches. Là encore notre succès fut complet et, bis repetita placent, nos représentants enlevèrent les trois premières places de cette belle épreuve, le quatrième étant le cheval belge Saint- Ghislain, à distance respectueuse devant les autres concurrents, qui, en cours de parcours, avaient abandonné toute espérance de suivre le train. Le vainqueur fut Bouton-Rose, monté par le jockey E. Mantelet, appartenant à M. Migeon, battant d’une courte encolure, après une fin de course mouvementée, Diesel (H. Signoret) et Superlinet (J. Braekeeler) à plus de trois longueurs.

Nos amis bruxellois applaudirent sans réserve ce nouvel exploit de nos trotteurs et se montrèrent d’autant mieux disposés à accepter leur défaite qu’ils n’ambitionnaient rien de plus que des accessits et qu’il leur suffisait, en guise de consolation, d’avoir fourni le gagnant, grâce aux bons offices de l’étalon Prince-Rose, son père, un des reproducteurs les plus recherchés par les éleveurs de Belgique.

Le « Grand Prix de Milan », pour chevaux de trois ans et plus, sur la distance de 3.000 mètres, avec une allocation de deux millions de lires ( ?), fut aussi couru le 23 juin. Nous y avions deux représentants, Micipsa, à M. M. Boussac, et Lackland, à M. Anguenot, mais ni l’un ni l’autre n’y ont figuré honorablement, résultat de péripéties et tribulations d’un voyage mouvementé et pénible où ils avaient laissé leur forme et leur chance. Le gagnant de l’épreuve fut le grand favori Gladiolo, monté par le jockey en vogue Caprioli, qui domina constamment tous ses concurrents, battant le second Fante de sept longueurs et Campello, troisième, à cinq longueurs ; Micipsa et Lackland, auxquels un terrain détrempé et très lourd imposait encore un handicap supplémentaire, se classaient respectivement quatrième et cinquième sur six partants.

La durée du parcours : 3’23’’4/5, alors que le record est de 3’8’’1/5, fait ressortir les conditions anormales de la course et plaide en faveur de nos chevaux, dont l’échec provoqué par les circonstances ne saurait porter atteinte ni à la qualité de leur origine, ni à la valeur de leurs références et performances sportives.

Du reste, le passage des Alpes ne fut jamais aussi favorable à nos couleurs que celui du Channel, et une fois seulement, en 1931, fut enregistrée la victoire française de Guernanville, de l’écurie Olvy-Rœderer, qui gagna brillamment, cette fois, devant un lot imposant de quinze concurrents.

Dans le même temps qu’avaient lieu ces manifestations sportives à l’étranger, les grandes épreuves hippiques se succédèrent aussi en France, durant tout le mois de juin, en débutant par la « Grande Semaine de Chantilly » (Prix de Diane : 800.000 francs — 2.100 mètres ; Prix du Jockey-Club : 1.500.000 francs — 2.400 mètres, qui, par exception, ont été, cette année, courus à Longchamp), et se terminant par l’épreuve capitale du « Grand Prix de Paris » : 2 millions de francs — 3.000 mètres, dont l’éclatant succès laissera un souvenir inoubliable dans la mémoire de tous les turfistes qui auront vécu l’émotion d’une arrivée palpitante à souhait. Le favori, Prince-Chevalier, fut battu de la plus courte des têtes par un outsider à plus de 50 contre 1, Souverain, mais sa défaite n’est pas sans appel ; la troisième même, la jument Pirette, peut aussi y prétendre, et il faut souhaiter que ces excellents chevaux se retrouvent en compétition, le 6 octobre, dans le « Prix de l’Arc de Triomphe », où ils sont appelés à rencontrer aussi plusieurs des chevaux vainqueurs à l’étranger et dont la présence donnerait au succès de nos couleurs un très grand et très heureux retentissement dans l’opinion des éleveurs et sportsmen du monde entier.

J.-H. BERNARD.

Le Chasseur Français N°610 Octobre 1946 Page 296