Les causeries précédentes ont exposé la situation actuelle
de la forêt française et les moyens envisagés pour la restaurer. Elles ont fait
ressortir la pénurie en bois de toute catégorie, due :
— à la diminution des ressources, d’une part, résultant
des prélèvements et des dévastations subis par le patrimoine forestier et de
l’arrêt des importations ;
— d’autre part, à l’augmentation des besoins en bois
pour le rétablissement de la vie économique et pour la reconstruction.
La forêt française doit satisfaire seule à ces besoins
considérables, après plusieurs années de guerre où il fallut la ruse et souvent
même le sacrifice de beaucoup pour empêcher l’occupant de détruire nos massifs
boisés.
Quels moyens, le forestier, l’exploitant, le scieur et
l’industriel peuvent-ils mettre en œuvre pour remédier à la pénurie actuelle en
bois ?
Deux remèdes théoriques existent pour pallier l’insuffisance
des ressources :
— augmenter la production du produit recherché ;
— diminuer sa consommation.
Peut-on augmenter la production de bois ?
— Il faut d’abord espérer que le rythme des
importations s’accroîtra rapidement et qu’en particulier l’Allemagne pourra
nous envoyer les bois résineux qui nous font défaut, en remplacement des
prélèvements massifs faits dans notre pays par ses troupes.
Peut-on augmenter la production des forêts françaises ?
Il ne semble pas que, dans un avenir proche, de nouveaux
sacrifices puissent être demandés à la forêt, sous peine de voir ruiner le
capital générateur de bois. De nouveaux sacrifices exigés maintenant
correspondraient pour demain à une diminution considérable de la production. On
ne coupe pas du blé en herbe parce qu’on a besoin de foin. Peut-être certains
massifs situés loin des routes, sur des versants peu accessibles, pourront-ils
être davantage exploités en y amenant de la main-d’œuvre, en mécanisant et en
rendant possible la vidange des produits par le câblage. Encore faut-il penser
que ces massifs sont souvent des forêts de protection dans lesquelles les
exploitations doivent être prudentes.
Il faut, plutôt qu’au présent, songer à. l’avenir. Il existe
encore en France de grandes surfaces incultes qu’il est possible de boiser :
landes, friches, marais.
Il existe des forêts dégradées ou pauvres qui sont
susceptibles d’être améliorées par plantation, en particulier par enrésinement,
le bois de résineux étant celui qui nous manque le plus. Il est également
possible de changer l’orientation de la production de certaines forêts, de
remplacer par exemple la production de bois de chauffage, dont la consommation
paraît avoir peu d’avenir, par une production de bois de papeterie, de bois de
mines ou de grumes, en convertissant les taillis en futaie. Ce travail incombe
aux propriétaires de forêts et aux forestiers. Il importe de leur donner les
moyens de l’exécuter, quelque lointain que puisse paraître le résultat pratique
et économique. La forêt se détruit vite, mais elle se fait lentement.
Il y a lieu, en même temps, de penser à la conservation de
la main-d’œuvre forestière. Mal payé et travaillant dur, le bûcheron a toujours
été pris dans les fables pour symboliser la misère humaine. Dans l’évolution
sociale, le bûcheron doit acquérir le rang auquel il peut prétendre ;
faute de cela, cette profession risque de disparaître. Payer un juste salaire,
rendre le travail moins pénible en le mécanisant, améliorer les logements
ruraux, tels sont les problèmes à résoudre. Il faut aussi songer à l’avenir du
débardage et du transport des produits forestiers. Leur motorisation diminuera
le prix de revient et la rigueur de ces travaux, et augmentera leur rendement, en
même temps qu’elle résoudra les problèmes posés par la raréfaction des
débardeurs et des animaux de trait. L’utilisation de tracteurs, treuils à
chenilles, de voies Décauville, de câbles, augmentera les possibilités des
exploitants. Nous reviendrons sur cette question dans un prochain article.
Le second grand moyen pouvant être envisagé pour remédier à
la pénurie de bois est l’économie de ce matériau. Ceci est le rôle du scieur,
de l’artisan et de l’industriel.
Le scieur s’efforcera d’améliorer le rendement de ses châssis
multiples et de ses rubans à grumes en diminuant les pertes en sciure par le
choix des lames les plus perfectionnées et les plus minces et en diminuant les
pertes en dosses et en délignage par la fabrication de petits débits. La
récupération des moindres déchets et leur vente augmenteront les ressources de
la scierie et fourniront à l’industrie des matériaux pour la fabrication
d’agglomérés et de panneaux. L’amélioration du prix de revient devra être
recherchée également par la diminution et la mécanisation des manutentions. Il
y aura lieu enfin, et ceci est très important, de diminuer les pertes de bois
dues aux altérations mycologiques et aux attaques d’insectes, par l’amélioration
de la protection des chantiers.
Le rôle de l’industriel consistera en la modernisation de
l’emploi du bois : remplacement des lourdes charpentes d’antan, consommant
une grande quantité de bois, par des charpentes modernes, utilisant de faibles
équarrissages de petites longueurs et des volumes faibles, amélioration de
l’industrie du meuble et des collages permettant aux meubles légers modernes de
rivaliser en solidité et en esthétique avec les meubles anciens, qui exigeaient
de grosses quantités de bois, fabrication de panneaux de revêtement avec les
sciures, les fibres, les copeaux, etc.
Ces économies rendront possible l’augmentation des débouchés
du bois et la lutte contre des matériaux concurrents. Le bois a acquis un rôle
indispensable dans l’industrie des matières plastiques, dans l’industrie
chimique de la cellulose, dans les industries d’hydrolyse et de distillation,
dans la fabrication des bois améliorés pour l’aviation, la carrosserie,
l’industrie électrique. Il importe que ce rôle soit conservé et même augmenté.
Cette modernisation des emplois du bois est indispensable
pour maintenir économiquement l’activité des industries du bois et lui
permettre de rivaliser avec les autres matériaux. Elle correspond d’ailleurs à
une utilisation du bois économique, en volume et en prix, qui cadre bien avec
le but général d’économie qu’on se propose.
Nous reviendrons dans quelques articles sur chacune des
questions énumérées ci-dessus et en particulier sur celles relatives aux
emplois modernes et futurs du bois. Quel sera l’avenir ? Verrons-nous
augmenter considérablement l’industrie des placages et des bois améliorés,
c’est-à-dire la consommation des bois de qualité exceptionnelle ?
Verrons-nous, au contraire, croître les industries d’agglomérés, de panneaux,
de bois coulés et les industries chimiques, c’est-à-dire la consommation de bois
non précieux ? Il serait nécessaire d’être fixé dès maintenant afin de
connaître l’impulsion à donner à notre production ligneuse. Nous nous
efforcerons de donner des éléments pour répondre à cette question, non pas en
cherchant à prophétiser, mais en étudiant simplement les avantages, les
inconvénients et, par suite, les chances respectives de ces deux tendances.
LE FORESTIER.
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