Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°610 Octobre 1946  > Page 301 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

L’avenir des industries du bois

Les causeries précédentes ont exposé la situation actuelle de la forêt française et les moyens envisagés pour la restaurer. Elles ont fait ressortir la pénurie en bois de toute catégorie, due :

    — à la diminution des ressources, d’une part, résultant des prélèvements et des dévastations subis par le patrimoine forestier et de l’arrêt des importations ;
    — d’autre part, à l’augmentation des besoins en bois pour le rétablissement de la vie économique et pour la reconstruction.

La forêt française doit satisfaire seule à ces besoins considérables, après plusieurs années de guerre où il fallut la ruse et souvent même le sacrifice de beaucoup pour empêcher l’occupant de détruire nos massifs boisés.

Quels moyens, le forestier, l’exploitant, le scieur et l’industriel peuvent-ils mettre en œuvre pour remédier à la pénurie actuelle en bois ?

Deux remèdes théoriques existent pour pallier l’insuffisance des ressources :

    — augmenter la production du produit recherché ;
    — diminuer sa consommation.

Peut-on augmenter la production de bois ?

— Il faut d’abord espérer que le rythme des importations s’accroîtra rapidement et qu’en particulier l’Allemagne pourra nous envoyer les bois résineux qui nous font défaut, en remplacement des prélèvements massifs faits dans notre pays par ses troupes.

Peut-on augmenter la production des forêts françaises ?

Il ne semble pas que, dans un avenir proche, de nouveaux sacrifices puissent être demandés à la forêt, sous peine de voir ruiner le capital générateur de bois. De nouveaux sacrifices exigés maintenant correspondraient pour demain à une diminution considérable de la production. On ne coupe pas du blé en herbe parce qu’on a besoin de foin. Peut-être certains massifs situés loin des routes, sur des versants peu accessibles, pourront-ils être davantage exploités en y amenant de la main-d’œuvre, en mécanisant et en rendant possible la vidange des produits par le câblage. Encore faut-il penser que ces massifs sont souvent des forêts de protection dans lesquelles les exploitations doivent être prudentes.

Il faut, plutôt qu’au présent, songer à. l’avenir. Il existe encore en France de grandes surfaces incultes qu’il est possible de boiser : landes, friches, marais.

Il existe des forêts dégradées ou pauvres qui sont susceptibles d’être améliorées par plantation, en particulier par enrésinement, le bois de résineux étant celui qui nous manque le plus. Il est également possible de changer l’orientation de la production de certaines forêts, de remplacer par exemple la production de bois de chauffage, dont la consommation paraît avoir peu d’avenir, par une production de bois de papeterie, de bois de mines ou de grumes, en convertissant les taillis en futaie. Ce travail incombe aux propriétaires de forêts et aux forestiers. Il importe de leur donner les moyens de l’exécuter, quelque lointain que puisse paraître le résultat pratique et économique. La forêt se détruit vite, mais elle se fait lentement.

Il y a lieu, en même temps, de penser à la conservation de la main-d’œuvre forestière. Mal payé et travaillant dur, le bûcheron a toujours été pris dans les fables pour symboliser la misère humaine. Dans l’évolution sociale, le bûcheron doit acquérir le rang auquel il peut prétendre ; faute de cela, cette profession risque de disparaître. Payer un juste salaire, rendre le travail moins pénible en le mécanisant, améliorer les logements ruraux, tels sont les problèmes à résoudre. Il faut aussi songer à l’avenir du débardage et du transport des produits forestiers. Leur motorisation diminuera le prix de revient et la rigueur de ces travaux, et augmentera leur rendement, en même temps qu’elle résoudra les problèmes posés par la raréfaction des débardeurs et des animaux de trait. L’utilisation de tracteurs, treuils à chenilles, de voies Décauville, de câbles, augmentera les possibilités des exploitants. Nous reviendrons sur cette question dans un prochain article.

Le second grand moyen pouvant être envisagé pour remédier à la pénurie de bois est l’économie de ce matériau. Ceci est le rôle du scieur, de l’artisan et de l’industriel.

Le scieur s’efforcera d’améliorer le rendement de ses châssis multiples et de ses rubans à grumes en diminuant les pertes en sciure par le choix des lames les plus perfectionnées et les plus minces et en diminuant les pertes en dosses et en délignage par la fabrication de petits débits. La récupération des moindres déchets et leur vente augmenteront les ressources de la scierie et fourniront à l’industrie des matériaux pour la fabrication d’agglomérés et de panneaux. L’amélioration du prix de revient devra être recherchée également par la diminution et la mécanisation des manutentions. Il y aura lieu enfin, et ceci est très important, de diminuer les pertes de bois dues aux altérations mycologiques et aux attaques d’insectes, par l’amélioration de la protection des chantiers.

Le rôle de l’industriel consistera en la modernisation de l’emploi du bois : remplacement des lourdes charpentes d’antan, consommant une grande quantité de bois, par des charpentes modernes, utilisant de faibles équarrissages de petites longueurs et des volumes faibles, amélioration de l’industrie du meuble et des collages permettant aux meubles légers modernes de rivaliser en solidité et en esthétique avec les meubles anciens, qui exigeaient de grosses quantités de bois, fabrication de panneaux de revêtement avec les sciures, les fibres, les copeaux, etc.

Ces économies rendront possible l’augmentation des débouchés du bois et la lutte contre des matériaux concurrents. Le bois a acquis un rôle indispensable dans l’industrie des matières plastiques, dans l’industrie chimique de la cellulose, dans les industries d’hydrolyse et de distillation, dans la fabrication des bois améliorés pour l’aviation, la carrosserie, l’industrie électrique. Il importe que ce rôle soit conservé et même augmenté.

Cette modernisation des emplois du bois est indispensable pour maintenir économiquement l’activité des industries du bois et lui permettre de rivaliser avec les autres matériaux. Elle correspond d’ailleurs à une utilisation du bois économique, en volume et en prix, qui cadre bien avec le but général d’économie qu’on se propose.

Nous reviendrons dans quelques articles sur chacune des questions énumérées ci-dessus et en particulier sur celles relatives aux emplois modernes et futurs du bois. Quel sera l’avenir ? Verrons-nous augmenter considérablement l’industrie des placages et des bois améliorés, c’est-à-dire la consommation des bois de qualité exceptionnelle ? Verrons-nous, au contraire, croître les industries d’agglomérés, de panneaux, de bois coulés et les industries chimiques, c’est-à-dire la consommation de bois non précieux ? Il serait nécessaire d’être fixé dès maintenant afin de connaître l’impulsion à donner à notre production ligneuse. Nous nous efforcerons de donner des éléments pour répondre à cette question, non pas en cherchant à prophétiser, mais en étudiant simplement les avantages, les inconvénients et, par suite, les chances respectives de ces deux tendances.

LE FORESTIER.

Le Chasseur Français N°610 Octobre 1946 Page 301