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Causerie vétérinaire

Tumeurs mammaires de la chienne

Nous avons reçu d’un de nos lecteurs, la lettre suivante :

Vous m’obligeriez beaucoup en me donnant votre opinion sur le cas suivant : je possède une chienne Setter-Laverak âgée Se sept ans et qui est atteinte d’un sarcome à deux mamelles. Actuellement, l’un de ces sarcomes a augmenté de volume et il atteint la grosseur du poing. Il est composé de plusieurs noyaux que l’on perçoit au toucher. L’autre sarcome est de la grosseur d’une noisette.

Certains vétérinaires m’ont conseillé l’ablation, d’autres m’ont fit de ne rien faire. Je suis très indécis, et c’est la raison pour laquelle je m’adresse à vous pour que vous me donniez une opinion objective. Je comprends que l’ablation débarrasserait ma chienne des sarcomes. Mais, en supposant que l’ablation ne réussisse pas à extirper complètement les adhérences, quels sont les risques que court ma chienne dans ce cas-là ? Souffrira-t-elle d’avoir été opérée ? Risque-t-elle d’avoir sa vie abrégée ? ...

Au point de vue histologique, les tumeurs portent différents noms selon leur constitution, leur gravité, etc. Nous ne décrirons que les principales ou les plus fréquentes.

Les tumeurs ou néoplasmes sont des néoformations persistantes, à évolution progressive et sans tendance à la guérison. On les constate chez tous les animaux domestiques, et plus particulièrement chez les sujets âgés, où elles sont fréquentes, plus rares à la période moyenne de la vie et pendant les premières années. Elles peuvent naître en tous les points de la peau et des muqueuses, ainsi que dans les appareils glandulaires qui leur sont annexés, les viscères et les organes les plus divers (centres nerveux, œil, etc.) et dans les différents tissus.

Leur étiologie est encore obscure et leur cause efficiente inconnue. Indépendamment de l’influence que l’espèce et l’âge peuvent exercer sur leur développement, on incrimine le régime alimentaire défectueux, l’arthritisme, les irritations traumatiques, en particulier les frottements, les pressions, les contusions légères et répétées, l’hérédité, etc. Le Dr Vincent, à qui l’on doit le sérum contre la fièvre typhoïde, a présenté, en 1923, à l’Académie des Sciences, une étude très intéressante du Dr Bazin sur la propagation du cancer.

L’auteur, ayant prélevé un lot de vingt puces sur une chienne morte du cancer, les déposa sur le pelage de deux chiens sains, âgés respectivement de onze et de douze ans.

L’un de ces animaux présenta, un an après cette opération, un cancer du rectum. D’autre part, le Dr Bazin a remarqué que, dans les « maisons à cancer », on rencontrait fréquemment des animaux porteurs de tumeurs malignes quand les habitants étaient atteints du cancer, et réciproquement. L’auteur cite 10 exemples sur 95 cas de cancer. Si l’on admet que le cancer est transmis par des parasites, l’hypothèse de la transmission de ces parasites par les chiens, les chats, les souris et les rats se présente d’elle-même. Cette hypothèse expliquerait l’existence de maisons ou villages à cancer.

D’autres auteurs croient à l’intervention d’agents infectieux (microbes, sporozoaires, champignons). Les analogies qui existent au point de vue de l’évolution entre les tumeurs cancéreuses et certaines maladies infectieuses ont suscité de nombreuses recherches en vue d’établir le parasitisme des premières ; mais toutes les investigations sont restées, à notre connaissance, jusqu’à présent infructueuses. On sait seulement que certaines variétés de tumeurs sont transmissibles par inoculation, ou, plus exactement, par greffe, voire par le suc provenant de leur broyage, les verrues par exempte. Il semble donc vraisemblable qu’elles soient dues à un virus, invisible ou microscopique, qui parasite les cellules de l’épiderme. Avec un peu d’imagination, certains médecins pensent que, si quelque jour la contagiosité du cancer est démontrée, son virus sera apparenté à celui des verrues. Mais la verrue vulgaire n’a jamais, ni de près, ni de loin, la gravité du cancer.

Revenons aux tumeurs des mamelles de la chienne. Au point de vue de la gravité, on les classe en tumeurs bénignes, en malignes et en mixtes, ces dernières tenant, par la nature des éléments qui les composent, des deux précédentes. Les tumeurs bénignes ont une évolution lente, ne sont pas douloureuses, ne s’accompagnent pas de fièvre et demeurent stationnaires ; tels sont les kystes, les tumeurs graisseuses (lipomes) et les lésions fibreuses de mammite chronique. Les tumeurs malignes, au contraire, se propagent aux ganglions lymphatiques voisins, causent des souffrances, retentissent sur la nutrition, provoquent l’amaigrissement et se généralisent plus ou moins rapidement. On les désigne, suivant leur constitution histologique, sous les noms de sarcomes ou de carcinomes ; elles sont de nature cancéreuse. C’est le cas du sarcome de la chienne de notre correspondant. Dès qu’elles atteignent les viscères, elles entraînent fatalement la mort à plus ou moins longue échéance. Aucun traitement ne saurait en arrêter la marche. Tout ce que l’on peut faire, si l’on n’intervient pas chirurgicalement, c’est de soutenir l’organisme par une bonne alimentation et d’augmenter la résistance de la chienne à l’envahissement des éléments morbigènes par l’administration quotidienne de toniques ferrugineux ou arsenicaux, ou l’huile de foie de morue.

Quoi qu’il en soit, le seul traitement rationnel des tumeurs en général est l’ablation précoce et totale. On la pratique fréquemment chez la chienne. Quand les tumeurs sont nettement délimitées, c’est-à-dire quand leur tissu propre ne se confond pas avec les tissus voisins, l’opération est facile, et, avec de l’antiseptie, on arrive à une cicatrisation rapide. Mais, quand les tumeurs sont enveloppées d’une zone d’infiltration, ou lorsqu’elles ont poussé des ramifications, des traînées dans les régions qui les entourent, l’opération exige de larges extirpations sous peine de récidive immédiate ou prochaine. Enfin, la chienne qu’on se propose d’opérer doit être dans un état de santé, d’entretien et de force tel qu’elle puisse supporter vaillamment les suites de l’opération (perte de sang et effort réactionnel en vue de la cicatrisation des plaies).

On conçoit que l’opération sera très aléatoire dans ses résultats quand les animaux seront très âgés ; après dix-douze ans, il faut être très prudent, car les sujets sont moins résistants ; ce sont les vieillards de l’espèce, et ils supportent plus ou moins bien les actes chirurgicaux. Par contre, certains cancers de la mamelle opérés hâtivement sont susceptibles de disparaître radicalement. Enfin, on devra protéger la région opérée par un pansement ouaté et un bandage de corps. Si la chienne cherchait à se débarrasser du pansement, on lui mettrait une muselière.

MOREL.

Le Chasseur Français N°610 Octobre 1946 Page 306