La vie est le grand mystère, le seul que la science n’ait
absolument pas réussi à élucider. Nous savons capter les ondes, transmettre des
images par télévision, descendre à 900 mètres sous la mer, voler en piqué
à 1.000 kilomètres à l’heure, analyser la composition chimique de Sirius,
photographier des nébuleuses à une distance de cinq cent millions
d’années-lumière, fabriquer des engrais avec l’air atmosphérique ... mais
ce petit morceau de chair vivante, les plus puissants laboratoires du monde ne sauraient
pas le créer. Cet œil perdu, fussiez-vous milliardaire, nul savant ne pourra
vous le remplacer.
L’extraordinaire tentative de Stéphane Leduc.
— Un beau jour de l’année 1905, les quotidiens
lancèrent en caractères d’affiche une nouvelle sensationnelle : un savant
français, Stéphane Leduc, avait réussi à créer des plantes artificielles, de
véritables êtres vivants.
Dans de hautes éprouvettes de verre, des photographies
montraient, en effet, la première plante créée de main d’homme, analogue à la
plante aquatique naturelle nommé antennuaris ramosal : dans le bas,
une gerbe de tiges minces comme de la paille, bientôt divisées en branches,
puis en fines brindilles ; l’ensemble se balançait dans le liquide,
imitant les flexibilités de la vie ; l’organisme artificiel croissait et
se développait, se nourrissant des substances chimiques dissoutes dans le
liquide ... Ce fut un beau scandale qui mit aux prises les matérialistes
triomphants et les « vitalistes » partisans d’une force spirituelle supérieure
présidant aux phénomènes de la vie.
Comment procédait Stéphane Leduc ? Voici. Dans une
éprouvette, on verse tout d’abord une solution de ferrocyanure ; dans ce
« milieu » chimique peu propre en apparence à la vie, on
« sème » une graine non moins diabolique : une boulette formée
de sulfate de cuivre et de sucre.
Sous l’action du liquide, la boulette s’entoure d’une
membrane de ferrocyanure de cuivre, dans laquelle l’eau pénètre par pression
osmotique, sous l’influence du sucre. La membrane se distend, s’allonge, se
hérisse d’épines, de vrilles et d’étranges feuilles, s’arrondit en grappes de
fruits comme une plante véritable. Des substances convenables, ajoutées au bain
nutritif, donnent à cette végétation artificielle les plus étranges couleurs.
Marions le vivant et l’artificiel.
— Dire que les « plantes » au ferrocyanure vivent
serait une exagération scientifique : elles ne meurent point ...
preuve qu’elles n’ont jamais vécu ! En outre, elles n’ont pas de forme
propre comme un chrysanthème ou un pommier ; leur silhouette dépend
exclusivement de la composition chimique du liquide. Un fragment microscopique
d’algue, transporté dans une eau claire, l’envahit de millions d’algues
semblables, tandis qu’un fragment de « plante artificielle » se
désagrège misérablement.
Le biologiste Raph Lillie obtint des résultats suggestifs en
mélangeant au ferrocyanure des produits naturels tel que le blanc d’œuf.
Plongée dans ce milieu hybride, une lame de fer se couvre d’une toison de tubes
minuscules qui croissent rapidement et rappellent la chevelure ou
« thalle » des champignons. On constate ici encore que la
pseudo-plante se « nourrit » en empruntant au liquide des substances
qu’elle choisit. Si l’on coupe l’extrémité d’un filament, celui-ci repousse,
comme la patte d’une araignée, et l’on s’aperçoit qu’il y a dans ce tube une
véritable circulation, analogue à celle de la sève. Mieux encore, touchons la
plaque de fer qui forme notre terrain de culture avec un métal
« noble », tel que de l’or ou du platine : la croissance s’accélère :
elle se ralentira, au contraire, si nous touchons le terrain avec un métal
vulgaire, tel que du zinc. Il y a là une curieuse ressemblance avec les fameux
« poinçons » d’or, de cuivre et d’argent utilisés dans l’
« acupuncture » chinoise. Les plantes « semi-artificielles »
se rapprochent ici curieusement des organismes les plus compliqués, tels que
ceux des animaux et de l’homme.
Les désordres de la vie.
— Un savant suisse, M. Pfeiffer, du laboratoire
biologique du Gœthéanum-Dornach, a pu aller plus loin encore.
Nous connaissons tous ces « fleurs de givre » qui
croissent sur les vitres de nos fenêtres par un matin glacial d’hiver. Vous
seriez sans doute fort surpris si l’on vous démontrait que ces élégantes
arborescences traduisent fidèlement l’état de santé, le tempérament de la
personne qui dormait dans cette chambre. C’est pourtant à des résultats
hautement équivalents qu’est parvenu M. Pfeiffer au bout d’une série
d’expériences de huit années.
Sur une lame de verre, déposons une goutte d’eau contenant
en dissolution de l’acétate de plomb ou du chlorure de cuivre. Abandonnée à
l’abri de la poussière, notre goutte va sécher en laissant un
« givre » cristallisé. Si le corps chimique ci-dessus est employé
pur, le givre présentera un aspect « désordonné ». Il en sera tout
autrement si nous avons mélangé à la solution une minuscule quantité de sang ou
un extrait de graine ; on constatera alors que, sous l’influence de cet
élément vital, toute la cristallisation s’est merveilleusement polarisée en
figures régulières.
Mais le plus curieux est que, si nous avons utilisé un
extrait de graine ou de racine provenant d’un arbre rabougri, qui aura poussé,
contrefait, sur un terrain marécageux, la cristallisation sera également
difforme. Elle sera éclatante, solaire comme une rosace de cathédrale, si nous
avons prélevé le suc sur un arbre droit et de belle venue. Quelque chose
d’individuel, de particulier à l’arbre est donc venu conditionner également la
forme cristalline. Comment ne pas songer ici à ce « guide invisible »
dont parle Claude Bernard, à cette « âme » (entéléchie)
d’Aristote qui vient pétrir, organiser, la matière vivante pour créer des
êtres ? Comment ne pas évoquer les extraordinaires substances vitales, les
« organisateurs », dont la découverte valut à Spemann le prix Nobel
et qui se chargent, dans un embryon de poulet ou d’homme, de faire pousser un
membre, une tête, un œil ?
Créer la vie, fabriquer des « hommes en fiole »,
ce rêve des alchimistes ! des animaux fabuleux qui volettent sur les
pelouses, nous n’en sommes pas encore là, et, du reste, ces amusettes
spectaculaires sont-elles souhaitables ? Un but plus élevé nous attend. En
démontant le mécanisme régulier de la cellule vivante, nous commençons à
comprendre le mécanisme atrocement déréglé des « cellules folles »,
le tragique bourgeonnement des néoplasmes, et peut-être arriverons-nous, comme
Pasteur, à force d’ascétisme d’esprit et de patience, à vaincre ce chancre de
la vie, le cancer.
Pierre DEVAUX.
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