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L’enseignement primaire au Maroc

Nous avons toujours ouvert nos écoles aux enfants africains, mais les musulmans n’en profitaient que dans une bien faible mesure. Quelques enfants de chefs, de notables, ou de rares fils d’Arabes à notre service, qui s’étaient faits remarquer par leur intelligence et leur désir d’apprendre, furent pourvus de bourses et poussés par leurs maîtres.

Peu à peu, des écoles primaires pour enfants musulmans furent créées. On répondait aux demandes, mais on ne poussait pas beaucoup pour décider les parents à envoyer leurs enfants à l’école.

Quant à l’enseignement féminin, il existait, mais à l’état d’embryon. Il fallait dissiper tant de préjugés qu’on ne savait trop comment agir. Cependant, là aussi, les résultats obtenus avec les trop rares élèves de nos enseignements des divers ordres montraient qu’il suffisait de vouloir et d’agir avec des moyens suffisants pour arriver au but, l’instruction générale des populations, la formation de tout le personnel pouvant permettre d’activer l’évolution des musulmans, que leur brillante civilisation du moyen âge, tant à Cordoue, à Grenade qu’au Maroc même, montrait prête à renaître.

L’administration française l’a compris depuis longtemps, particulièrement au Maroc, où son action prudente se développe de plus en plus. À la fin de 1945, les écoles comptaient 42.000 élèves, soit 10.000 de plus que l’année précédente. Les cours d’adultes voyaient tripler le nombre de leurs auditeurs.

Le corps enseignant est augmenté chaque année par du personnel en grande partie recruté dans la métropole, pour les enseignements primaire, professionnel, secondaire et supérieur, et, dans la mesure du possible, parmi les éléments locaux ; notons, en passant, que, le 19 mai dernier, l’école musulmane de filles de Fez fêtait les premières lauréates au « certificat d’aptitude à l’enseignement primaire ». L’augmentation du personnel n’est limitée que par les locaux disponibles et les crédits budgétaires.

Cependant, des centaines de milliers d’enfants d’âge scolaire restent sans instruction aucune. Dans certaines écoles, des places ont dû être refusées.

Pour lutter contre l’analphabétisme, sous l’énergique impulsion du résident général, l’ambassadeur Eirik Labonne, un effort massif a été tenté ; un appel fut adressé par les chefs d’administration et les contrôleurs civils chefs de régions à toutes les personnes de bonne volonté qui consentiraient à consacrer une dizaine d’heures par semaine à apprendre à lire, à écrire et à compter, en français ou en arabe, à des enfants marocains, fillettes ou garçons. L’idée essentielle est de susciter, en faveur d’un enseignement élémentaire des masses musulmanes, un élan généreux analogue à celui qui a groupé, autour de la Croix-Rouge, tant de dévouements infatigables.

Il ne s’agit point de créer une nouvelle catégorie de fonctionnaires donnant un enseignement au rabais : il s’agit avant tout de repérer, de rassembler, de mettre en action des bonnes volontés qui pourront certes être récompensées par des lettres de félicitations, des distinctions honorifiques, des gratifications même substantielles, mais dont l’élan initial proviendra surtout du désir de participer à une œuvre généreuse.

Puis la question des locaux fut résolue : un coin de hangar, un local abandonné, même, par beau temps, un coin d’ombre sous un arbre, tout cela avec le moins de dépenses possible.

Enfin le matériel : un certain nombre d’ardoises et de tableaux fournis par le service de l’enseignement. Chacun des maîtres ou maîtresses enseignant en français fut pourvu d’un syllabaire, d’un exemplaire du livre de langage de Frété-Magne, d’un fascicule intitulé : Quelques conseils pratiques à l’usage des écoles foraines.

Des documents analogues pour ceux qui enseigneront en arabe sont en préparation.

Dans chaque région, un instituteur est spécialement chargé de guider et d’aider de ses conseils les maîtres des écoles foraines.

Dans une récente inspection, le résident général constatait le succès de son appel pour l’enseignement des écoles foraines et remerciait les très nombreux maîtres qui apportaient leur concours à cette œuvre française par excellence.

D’autre part, les bureaux de placement signalent que, si les ouvriers qualifiés de 1re et 2catégorie sont très recherchés, les ouvriers des autres catégories, demi-spécialisés et manœuvres, par contre, sont fréquemment en chômage. Cette situation confirme la nécessité de développer, pour les Européens et les musulmans, un enseignement professionnel de qualité.

La foire-exposition de Rabat a montré les résultats obtenus par l’école musulmane d’apprentissage de Salé en ébénisterie d’art ; l’atelier de reliure de Marrakech, pour la maroquinerie fine. Les écoles de Rabat, Salé, Fez, pour les broderies, d’Oujda, pour les dentelles, soutiennent la comparaison avec celles de France. Les tapis de Casablanca, Rabat, du moyen Atlas et des Ouled Bousbâa sont toujours remarquables. L’école industrielle de Casablanca, pour les européens et les musulmans, présente des machines-outils, de l’équipement et du montage électrique. Les écoles de la Ferme-Blanche et Camille-Martin forment des plombiers-zingueurs ; celle de Beauséjour, des horlogers et mécaniciens de précision ; l’école nautique de Casablanca, des travaux de filin, nœuds et filets. Le collège des Orangers de Rabat se spécialise dans la lingerie et broderie. Les écoles professionnelles Israélites participent à l’exposition ; l’école Y Semach a envoyé des travaux de couture remarquables.

La création d’une école hôtelière est décidée. Des écoles professionnelles vont être créées à Taza et à Oujda. Une école de formation de mineurs sera installée à Djérada, avec l’aide de la direction des charbonnages.

Victor TILLINAC.

Le Chasseur Français N°610 Octobre 1946 Page 315