L’installation d’une artillerie de gros calibre a été
suspendue du fait des hostilités ! ... N’en soyez pas étonnés, il
s’agit de ces canons pacifiques que les astronomes, gens calmes, ont coutume de
diriger vers le ciel.
En effet, en France et en Amérique, avant 1939, de grands
progrès se réalisaient ; à Saint-Michel-de-Provence, région de calme
atmosphérique remarquable, sous l’impulsion du regretté savant et ministre Jean Perrin,
et grâce aux fonds de la Recherche scientifique, un observatoire national digne
du passé de l’astronomie française allait être doté d’instruments modernes et
puissants, permettant de « décentraliser » l’Observatoire de Paris,
aux instruments désuets, étouffé dans le tourbillon de la capitale, et de
donner à nos chercheurs un matériel digne d’eux.
Déjà, depuis quinze ans, un instrument d’essai de 0m,80
de diamètre a permis la réussite de splendides photographies (amas, spectres,
nébuleuses) obtenues par l’habile M. de Kérolyr, ancien violoniste
oublieux d’Euterpe et soudain épris d’Uranie.
En 1943, malgré l’occupant et bien des difficultés, un
ancien télescope de 1m,20 de l’Observatoire de Paris, retaillé,
modernisé, fut mis en service, en attendant que, grâce à des jours meilleurs,
le disque de 1m,92, qui attend la taille, puisse être installé. Cet
objectif gigantesque, coulé à Saint-Gobain au début de la guerre, n’est dépassé
dans le monde que par ceux des observatoires Mac Donald du mont Locke
(États-Unis), à 2.200 mètres d’altitude (diamètre 2 m., poids 43 t.,
coupole 19 m.) ; par celui de l’observatoire Détroit, à Ann Arbor, de
2m,17 ; par le fameux Hooker de 2m,50 du mont Wilson,
coulé à Saint-Gobain en 1911, poli et monté en 1917 par G.-W. Ritchey, qui
avait déjà réussi, auparavant, un excellent miroir de 1m,52 et pris
avec cet instrument les plus belles photographies sidérales, non encore
égalées ; et enfin par le gigantesque 5 mètres du mont Palomar
(Californie, altitude 1.700 m.).
Ici ouvrons une parenthèse : jusqu’en 1856, les miroirs
de télescopes ou réflecteurs étaient en bronze, métal lourd et fragile,
oxydable, exigeant des polissages longs et délicats ; aussi le télescope
était-il délaissé au XIXe siècle au profit des lunettes (1).
Malgré cela, lord Rosse, en Angleterre, et Lassell, à Malte, il y a cent ans,
observaient avec des disques d’imposantes dimensions : 1m,82 et
1m,22, mais, dès que le physicien français Foucault eut préconisé
l’usage du verre et indiqué les méthodes de travail et de contrôle, de nombreux
télescopes se montèrent un peu partout, et surtout en Amérique, pays des
mécènes, des grandes réalisations.
L’Amérique possède à ce jour les onze plus grands télescopes
du monde, allant de 1m,52 à 2m,50 de diamètre. Consciente
des résultats obtenus (2) avec ces grands instruments astro-photographiques
dans l’étude des lointains univers et désireuse d’aller toujours de l’avant,
elle possédait déjà, en 1934, après divers essais et une coulée manquée, un
disque de 5 mètres de diamètre en pyrex (20 t.) destiné à
l’observatoire du mont Palomar. Une technique nouvelle, tant pour la monture
que pour la fonte du verre a été mise en œuvre : recuit et refroidissement
de la masse ont duré une année, des appareils électriques entretenant
automatiquement une baisse de chaleur de 1° par jour ; le miroir, au lieu
d’être plein, est cellulaire et cloisonné ; l’idée, très ancienne, avait
été reprise en cours d’essais, en 1926-1927, en France, par G.-W. Ritchey et la
Compagnie de Saint-Gobain, qui était alors la seule maison ayant fourni les
plus grands disques pour télescopes existant dans le monde.
Lors de la taille du disque de 5 mètres, en
1936, les essais ont nécessité la construction d’un autre miroir plan de 3 mètres
et de quatre autres de 1 mètre ; 5 tonnes de verre furent
enlevées par 20 tonnes d’abrasif, et le polissage, pendant des mois,
entraîna la consommation de 22 kilogrammes de rouge optique à l’heure.
Actuellement, au mont Palomar, la monture « en
berceau » est prête : tube de 6m,60 en treillis et de 17 mètres
de long (125 t.) ; le pointage vers le nord est permis grâce à
l’emploi d’un fer à cheval de près de 14 mètres de diamètre (175 t.)
reposant sur deux sabots huilés sous pression ; ce film gras permet le
déplacement très lent et doux exigé d’une masse de 450 tonnes, par
un moteur de 1/4 de cheval ! Les astronomes sont emportés dans une
nacelle à la cardan, solidaire du télescope, et le suivent dans ses mouvements.
La coupole qui abrite cet instrument rivalise avec le dôme
du Panthéon de Paris : 42 mètres de diamètre, tôle de 0m,075,
poids 1.000 tonnes.
Les promoteurs de cet œil géant, bientôt ouvert sur
l’infini, pensent qu’il permettra d’étudier les univers et nébuleuses situés à
1 milliard d’années-lumière (9.500 milliards de milliards de
km.) ; sur la lune, deux points situés par une distance de 9 mètres
seront séparés par l’œil humain. Neuf mètres ! ... Des terriens
audacieux trouvent leur globe trop petit pour des jeux guerriers : ainsi,
les calmes astronomes seront à même de corriger le tir, si les fusées à
réaction de leurs remuants collègues viennent ajouter quelques excavations aux
32.000 cratères déjà connus.
R. MIETTE.
(1) Celle de lm,02 de Yerkes (É.-U.), objectif
coulé en France, tube 17 mètres de long, n’a jamais été dépassée et ne le
sera pas, car le télescope reste l’instrument de l’avenir.
(2) Les connaissances des astronomes sur les divers états de
la matière au sein de l’univers ou des étoiles, sur les densités stellaires,
les novæ, ont eu leur répercussion dans les recherches relatives à la bombe atomique.
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