La matière des dégâts causés par le gibier n’a pas, au cours
de la période que nous venons de traverser, été l’objet de modifications
législatives importantes, ni donné lieu à des décisions de jurisprudence d’un
grand intérêt. Si nous croyons devoir revenir aujourd’hui sur ce sujet, c’est
en raison de l’apparition d’un texte relativement récent (l’ordonnance du 30 octobre
1945) qui apporte une innovation de détail dans la législation antérieure.
Il ne s’agit pas ici du point de savoir dans quels cas les
propriétaires de bois servant de repaire aux animaux malfaisants sont
responsables des dommages causés par ces derniers ; à cet égard, aucun
changement n’a été apporté aux principes que la jurisprudence applique depuis
de longues années et que nous avons bien souvent exposés dans cette revue. Ce
qui nous retient aujourd’hui, c’est la question de la procédure à suivre quand
la victime des dégâts veut obtenir par la voie judiciaire la réparation du
dommage qui lui a été causé.
Nous avons, en son temps, parlé ici même de la loi du 24 juillet
1937 relative à la réparation des dommages causés aux récoltes par le
gibier ; c’est, encore aujourd’hui, ce texte qui règle la procédure et la
compétence en matière de poursuites pour dégâts de gibier. Nous nous bornerons
donc à rappeler que l’objet essentiel de la loi a été d’étendre, avec quelques
modifications de détail, à toute espèce de gibiers une procédure spéciale,
organisée par une loi antérieure (loi du 30 mars 1930), pour les actions
en réparation des dégâts causés par les seuls lapins de garenne.
Au lieu de faire citer par un huissier devant le juge de
paix le propriétaire jugé responsable des dégâts, comme on le fait dans les
affaires ordinaires, la personne, ou les personnes ayant à se plaindre des
dégâts doivent déposer entre les mains du juge de paix une requête sur papier
timbré faisant connaître les noms et adresses des personnes estimées
responsables et l’étendue des dégâts subis. Toutes les parties sont ensuite
convoquées, au moyen de lettres recommandées avec avis de réception envoyées
par le greffier de la justice de paix, pour comparaître devant le juge de paix.
Ce magistrat doit alors désigner un ou plusieurs experts auxquels il donne la
mission de constater l’état des récoltes endommagées, l’importance du dommage
subi, de préciser quelle en paraît être la cause et d’indiquer d’où provient le
gibier qui l’a causé.
À la suite du dépôt au greffe de la justice de paix du
rapport des experts, les parties sont de nouveau convoquées par le greffier,
dans la même forme indiquée ci-dessus, pour une audience du juge de paix. Ce
magistrat peut alors, selon le cas, soit statuer sur le litige, soit ordonner
un complément d’instruction (enquête, visite des lieux ou continuation de
l’expertise). En ce dernier cas, une fois terminée la nouvelle instruction,
l’affaire revient encore une fois devant le juge de paix, suivant le même
procédé, pour qu’il soit statué sur le procès.
Comme on le voit, dans la législation actuelle, c’est
toujours le juge de paix qui est appelé à statuer sur les procès pour dégâts de
gibier, quelle que soit l’importance de la somme demandée comme
dommages-intérêts. Il en est ainsi depuis la loi du 19 avril 1901 :
avant cette loi, le juge de paix ne pouvait être saisi des demandes pour dégâts
de gibier que si le montant des indemnités demandées n’excédait pas le chiffre
de sa compétence dans les affaires ordinaires. Notons en passant que le juge de
paix qui doit être saisi du litige est celui de la justice de paix du lieu où
sont situées les cultures ayant subi les dégâts.
Les décisions des juges de paix en cette matière ne sont pas
toujours souveraines : elles peuvent être frappées d’appel et déférées au
tribunal civil lorsque l’indemnité demandée dépasse un certain chiffre.
En raison, d’une part, du principe qui tend à donner aux
juges de paix une compétence de plus en plus grande, d’autre part, de la perte
de valeur de notre monnaie, le chiffre jusqu’auquel les juges de paix ont le
pouvoir de statuer souverainement et sans appel a été majoré d’une façon
continue ; de 100 francs, ce chiffre est passé successivement à 300,
puis à 600 francs, ensuite à 1.000, puis, depuis la loi du 24 juillet
1937, à 1.500 francs. Une ordonnance du 30 octobre 1945 l’a porté à 10.000
francs.
Ainsi, à l’avenir, en matière de demandes en
dommages-intérêts pour dommages causés aux récoltes par le gibier, la décision
du juge de paix n’est susceptible d’appel que si la somme demandée excède
10.000 francs, ou si la valeur de la demande est indéterminée.
Paul COLIN.
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