Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°611 Décembre 1946  > Page 323 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Causerie juridique

À propos des dégâts de gibier

La matière des dégâts causés par le gibier n’a pas, au cours de la période que nous venons de traverser, été l’objet de modifications législatives importantes, ni donné lieu à des décisions de jurisprudence d’un grand intérêt. Si nous croyons devoir revenir aujourd’hui sur ce sujet, c’est en raison de l’apparition d’un texte relativement récent (l’ordonnance du 30 octobre 1945) qui apporte une innovation de détail dans la législation antérieure.

Il ne s’agit pas ici du point de savoir dans quels cas les propriétaires de bois servant de repaire aux animaux malfaisants sont responsables des dommages causés par ces derniers ; à cet égard, aucun changement n’a été apporté aux principes que la jurisprudence applique depuis de longues années et que nous avons bien souvent exposés dans cette revue. Ce qui nous retient aujourd’hui, c’est la question de la procédure à suivre quand la victime des dégâts veut obtenir par la voie judiciaire la réparation du dommage qui lui a été causé.

Nous avons, en son temps, parlé ici même de la loi du 24 juillet 1937 relative à la réparation des dommages causés aux récoltes par le gibier ; c’est, encore aujourd’hui, ce texte qui règle la procédure et la compétence en matière de poursuites pour dégâts de gibier. Nous nous bornerons donc à rappeler que l’objet essentiel de la loi a été d’étendre, avec quelques modifications de détail, à toute espèce de gibiers une procédure spéciale, organisée par une loi antérieure (loi du 30 mars 1930), pour les actions en réparation des dégâts causés par les seuls lapins de garenne.

Au lieu de faire citer par un huissier devant le juge de paix le propriétaire jugé responsable des dégâts, comme on le fait dans les affaires ordinaires, la personne, ou les personnes ayant à se plaindre des dégâts doivent déposer entre les mains du juge de paix une requête sur papier timbré faisant connaître les noms et adresses des personnes estimées responsables et l’étendue des dégâts subis. Toutes les parties sont ensuite convoquées, au moyen de lettres recommandées avec avis de réception envoyées par le greffier de la justice de paix, pour comparaître devant le juge de paix. Ce magistrat doit alors désigner un ou plusieurs experts auxquels il donne la mission de constater l’état des récoltes endommagées, l’importance du dommage subi, de préciser quelle en paraît être la cause et d’indiquer d’où provient le gibier qui l’a causé.

À la suite du dépôt au greffe de la justice de paix du rapport des experts, les parties sont de nouveau convoquées par le greffier, dans la même forme indiquée ci-dessus, pour une audience du juge de paix. Ce magistrat peut alors, selon le cas, soit statuer sur le litige, soit ordonner un complément d’instruction (enquête, visite des lieux ou continuation de l’expertise). En ce dernier cas, une fois terminée la nouvelle instruction, l’affaire revient encore une fois devant le juge de paix, suivant le même procédé, pour qu’il soit statué sur le procès.

Comme on le voit, dans la législation actuelle, c’est toujours le juge de paix qui est appelé à statuer sur les procès pour dégâts de gibier, quelle que soit l’importance de la somme demandée comme dommages-intérêts. Il en est ainsi depuis la loi du 19 avril 1901 : avant cette loi, le juge de paix ne pouvait être saisi des demandes pour dégâts de gibier que si le montant des indemnités demandées n’excédait pas le chiffre de sa compétence dans les affaires ordinaires. Notons en passant que le juge de paix qui doit être saisi du litige est celui de la justice de paix du lieu où sont situées les cultures ayant subi les dégâts.

Les décisions des juges de paix en cette matière ne sont pas toujours souveraines : elles peuvent être frappées d’appel et déférées au tribunal civil lorsque l’indemnité demandée dépasse un certain chiffre.

En raison, d’une part, du principe qui tend à donner aux juges de paix une compétence de plus en plus grande, d’autre part, de la perte de valeur de notre monnaie, le chiffre jusqu’auquel les juges de paix ont le pouvoir de statuer souverainement et sans appel a été majoré d’une façon continue ; de 100 francs, ce chiffre est passé successivement à 300, puis à 600 francs, ensuite à 1.000, puis, depuis la loi du 24 juillet 1937, à 1.500 francs. Une ordonnance du 30 octobre 1945 l’a porté à 10.000 francs.

Ainsi, à l’avenir, en matière de demandes en dommages-intérêts pour dommages causés aux récoltes par le gibier, la décision du juge de paix n’est susceptible d’appel que si la somme demandée excède 10.000 francs, ou si la valeur de la demande est indéterminée.

Paul COLIN.

Le Chasseur Français N°611 Décembre 1946 Page 323