Le statut du fermage a accordé au fermier le droit de
chasse, sans pourtant interdire l’exercice de la chasse au propriétaire et à
ses ayants droit, alors que le droit de chasse accordé au preneur est personnel
et incessible, sauf au propriétaire de la chasse.
Dans les pays d’exploitation familiale, les exploitations
atteignent rarement 50 hectares : si le fermier veut chasser
sérieusement et qu’aucune règle précise, outre le droit commun, ne lui
interdise la destruction du gibier, il peut, sans aucun doute, tuer, par des
moyens légaux et pendant la période d’ouverture, tout le gibier raisonnablement
tuable, sinon tout le gibier existant sur la chasse : on sait en effet
combien plus meurtrière est la méthode du petit tour de chasse matin et soir
que celle de la chasse une ou deux fois par semaine : quand cette méthode
est pratiquée par l’homme qui vit continuellement sur la terre et sait la
remise habituelle du gibier, elle équivaut à l’extermination complète. C’est
d’ailleurs au moins 40 hectares qu’il faut à un chasseur hebdomadaire pour
pouvoir chasser sans arrière-pensée en pays giboyeux ; pour le chasseur
quotidien, c’est un minimum de 200 hectares qu’il faudrait.
La nouvelle disposition légale est donc menaçante pour le
gibier de plaine ; il conviendrait, par conséquent, soit de limiter le
droit du fermier en spécifiant qu’il ne pourra user de son droit plus souvent
que le propriétaire ou ses ayants droit et dans leur compagnie ; soit
d’admettre, parmi les griefs graves qui permettent au propriétaire de rompre le
bail, la destruction du cheptel gibier par la chasse inconsidérée du preneur ou
le braconnage de sa famille ou de ses employés ; pourraient être admises
comme fautes du preneur : l’entretien de chiens non attachés ou enfermés,
les faits de braconnage dûment constatés et l’exercice quotidien du droit de
chasse en période d’ouverture (par exemple constatation par le garde de vingt
ou trente séances de chasse, outre les dimanches et fêtes, en période
d’ouverture), cet exercice désordonné d’un droit ne donnant pas droit à des
réparations, puisque non délictueux, mais constituant un commencement de
preuve, qui pourrait suffire à justifier la rupture du bail en cas de baisse
très importante du cheptel gibier, constatée par expert.
Ces dispositions ne pourraient, bien entendu, exister que
dans le cas de chasses régulièrement gardées par le propriétaire ou louées par
lui : il ne s’agit pas de priver le preneur d’un droit reconnu par la loi,
mais de l’empêcher de pouvoir annuler les dispositions conservatrices du
propriétaire par un exercice inconsidéré de ce droit.
Il serait, à mon sens, préférable de dissocier complètement
le droit de chasse du droit de propriété, la plus grande partie des propriétés
françaises étant trop petites et trop morcelées pour permettre un exercice
normal de la chasse ; il y aurait lieu de procéder à un remembrement des
chasses en lots raisonnables, loués avec cahier des charges tous les cinq ou
tous les neuf ans à des particuliers ou des sociétés : il suffit, pour
cela, de transformer la notion de res nullius en richesse nationale.
Pourrait, sans inconvénients majeurs, être considéré comme res nullius
le gibier des eaux maritimes, baies, estuaires et rivages, qu’un permis spécial
autoriserait à poursuivre dans toutes les eaux territoriales et le long des côtes.
Les chasses gardées existantes dépassant 300 hectares
d’un seul tenant pourraient échapper à la loi, moyennant un impôt spécial, dont
elles pourraient s’acquitter par la mise en réserve intangible d’une partie de
leur superficie. La même possibilité de réserve devrait être accordée aux
étangs de 10 hectares et plus.
Une part importante des ressources produites par la location
des lots et par les permis de chasse, dont le prix serait aligné, devrait être
employée à alimenter un budget de la chasse consacré au repeuplement et à la
création d’un corps de gardes-chasse nationaux, l’expérience prouvant
l’inefficacité des gendarmes.
Sur cette base, la chasse pourrait se perpétuer en France,
distraction saine et traditionnelle, ressource non négligeable pour le budget,
industrie prospère des armes et des munitions ; la poursuite des errements
actuels aboutira inéluctablement à détruire le gibier non migrateur, sauf dans
les parties du pays ou le terrain est très difficile et la population très
clairsemée : les lois qui nous régissent actuellement datent de défunt
Louis-Philippe ; à cette époque, 150.000 chasseurs armés de fusils à
piston ; actuellement, 1.200.000 chasseurs avec des armes à percussion
centrale ; les grandes propriétés disloquées le plus souvent ; le
braconnage motorisé et les gendarmes indulgents : faut-il que les perdrix
aient la vie dure pour qu’il en reste ! Mais cela ne peut durer
indéfiniment, et je crois le nouveau statut du fermage sans correctif capable
de les faire disparaître de la plus grande partie du territoire.
U.M.
|