Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°611 Décembre 1946  > Page 324 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Migrations des oiseaux

Hauteur de vol

Toute l’année, mais pas tous les jours, soit la nuit, soit le jour, surtout la nuit, quelquefois nuit et jour, exceptionnellement à l’époque où ils nichent ou encore par tempête pour la plupart, des milliers d’oiseaux rasent la terre, frôlent les buissons et les haies, frisent la cime des arbres ou rasent la surface des mers, les parcourant, tantôt nageant tantôt volant ; d’autres espèces farouches, arrivées au-dessus des terres, prennent alors progressivement de la hauteur ; d’autres oiseaux traversent le ciel à des hauteurs variables, franchissant les montagnes même très élevées ; certaines espèces passent aussi bien au delà des limites de notre perception visuelle.

L’altitude des oiseaux en migration dépend des espèces et aussi de leur plus ou moins grande sauvagerie, parfois de la force et de la direction des courants aériens par rapport à la route à suivre, du but plus ou moins éloigné du voyage ; elle dépend aussi de l’état de l’atmosphère chaud, sec, humide ou pluvieux, du voisinage ou de l’éloignement des lieux d’attraction (solitude, couvert, nourriture).

Les oiseaux qui volent peu ordinairement s’élèvent, lorsqu’ils sont en migration, au-dessus des plus hautes montagnes et voyagent aussi de nuit contrairement à leur habitude.

Un seul chasseur qui observe ne peut avoir ni tout vu ni tout entendu ; alors, pour se documenter, il est obligé de questionner, de faire des recherches sur ce qui a été écrit à ce sujet ; mais tous les écrivains et les auteurs qui ont écrit sur le vol des oiseaux n’étaient ni des chercheurs ni des observateurs.

La présence subite d’oiseaux, par pluie et par vent debout, la constatation d’une descente d’oiseaux en entonnoir, à perte de vue, venant des hautes régions, les observations faites par des aviateurs nous prouvent l’existence de passages d’oiseaux à grande altitude, migrateurs le plus souvent invisibles.

« La hauteur du vol en migration, peut-on lire dans divers ouvrages, a été beaucoup exagérée ; on admettait jadis que ce vol s’élevait à des hauteurs de 6.000 à 10.000 mètres, sans tenir compte de la diminution de pression de l’air et de l’abaissement énorme de la température, qui peut aller de -20 à -50°. À une pression d’une demi-atmosphère et avec une température de -20° et au-dessous, qui rend plus faible la résistance de l’organisme à la diminution de pression, un oiseau ne peut être en état de développer la force musculaire indispensable pour produire l’effort énorme (?) que nécessite le vol ... »

Cependant, près du sommet du Chimboraza (6.253 mètres), Humboldt a vu un condor planer au-dessus de lui à une hauteur incommensurable ; il ne paraissait qu’un point noir sur l’azur du ciel ; il semblait se mouvoir avec autant de facilité que dans les régions les plus basses.

Continuons nos emprunts :

« Des observations plus précises prouvent que le vol dans les plaines est loin d’atteindre 1.000 mètres de hauteur, donc les oiseaux se tiennent toujours au-dessous des nuages ( ?), donc à une hauteur faible par temps humide et nuageux.

» Les petits oiseaux chanteurs se tiennent souvent très bas et évoluent d’arbre en arbre, de buisson à buisson ... »

Cependant M. Laneyrie écrit :

« Il m’a été donné de suivre d’un œil navré, allongé d’une puissante lorgnette, d’innombrables alouettes ou grives, d’immenses bandes de linots qui passaient à plusieurs centaines de mètres en l’air, et cela durant plusieurs jours. »

Et, dans une ascension en ballon, le lieutenant autrichien Casella, se trouvant à 1.900 mètres de haut, se vit rapidement dépassé par une bande d’alouettes communes.

« Pour ce qui concerne la hauteur à laquelle volent les migrateurs, celle-ci est très variable et dépend beaucoup des conditions météorologiques : parfois très près du sol, le plus souvent de 30 à 300 mètres de hauteur, rarement au-dessus de 500 mètres et tout à fait exceptionnellement au delà, jusqu’à 2.000 ou 3.000 mètres. Jadis la hauteur fut fortement exagérée. »

Parlant de la hauteur, une station ornithologique écrit :

« On l’a beaucoup exagérée ; les milliers de mètres dont on parle quelquefois se réduisent à un maximum de 300 mètres. À 300 mètres tout au plus, se trouvent les oiseaux quand ils apparaissent comme de petits points noirs ; les corneilles passent à une hauteur de 3 mètres à 50 mètres. C’est entre 3 mètres et 300 mètres que se trouve comprise la zone normale fréquentée par les migrateurs. »

Disons tout de suite qu’il s’agit là d’observations absolument locales.

Et, en effet : « Un jour, vers 4 heures de l’après-midi, dit M. Darviot, j’ai assisté à l’arrivée d’une bande nombreuse de corneilles ; il en descendait toujours des hauteurs du ciel, et on voyait constamment sortir du bleu des corneilles qui étaient poussière, ensuite moineaux, ensuite étourneaux, enfin corneilles ; et, malgré tous mes efforts, je ne pouvais arriver à apercevoir les plus hautes. »

L’aéronaute de Lucanus constate des passages de corneilles à des altitudes de 700 à 900 mètres.

Des aviateurs anglais qui opéraient dans le Nord-Est de la France, durant la Grande (?) Guerre, ont constaté la présence d’oiseaux à 1.000, 1.500, 2.000, 3.000 et 4.000 mètres ; la plupart des espèces des oiseaux migrateurs étaient rencontrées à une altitude d’environ 1.000 mètres.

Des oiseaux qui volent peu ordinairement s’élèvent en temps de migration au-dessus des plus hautes montagnes.

« Certaines espèces, écrit l’ornithologiste bien connu G. de Burg, s’élèvent haut en l’air bien avant d’avoir rejoint les Alpes et passent au delà à une hauteur considérable. Il y a d’autres espèces qui passent à travers les Alpes à quelques milliers de mètres au-dessus des pics les plus élevés. »

M. le vicomte Edmond de Poncins, grand explorateur, dans ses pérégrinations autour du monde a vu :

Au sommet du mont Blanc, des corbeaux passer au-dessus de lui à plus de 4.800 mètres ; sur les lacs du Pamir, des oies à plus de 4.000 mètres ; sur les bords d’un petit lac de l’Indoukoush, un chevalier-gambette à 5.400 mètres ; en Turkestan, des vautours, des corbeaux, à 5.000 mètres, descendre dans la plaine ou gagner les sommets indifféremment, monter et descendre tranquillement, sans efforts apparents.

Et de nombreux coloniaux ont pu voir des pélicans, venant d’on ne sait où, descendre de hauteurs fantastiques en décrivant, durant des heures, des cercles de plus en plus grands à mesure qu’ils s’approchaient de terre, pour finalement se poser dans les marigots.

D’après toutes ces observations, on ne saurait parler de règle comme hauteur de vol en migration.

Mais ne nous arrêtons pas là et continuons à monter.

On a constaté le passage d’oiseaux à des altitudes telles, soit la nuit, soit le jour, qu’on ne pouvait les apercevoir depuis terre qu’avec des instruments d’optique et encore, dans ce cas, grâce à un concours heureux de circonstances ; les oiseaux passant entre la lune (ou le soleil) et la lunette.

Donc, un certain jour de l’année 1881, à l’observatoire de Princeton (U. S. A.), on remarqua le passage d’un très grand nombre d’oiseaux de grosseur moyenne (piverts, pinsons, merles, etc.) dans le champ de la lunette. D’après les calculs, le gros de la bande passait à une hauteur de 3.000 mètres environ, les oiseaux observés le plus bas étaient à 1.500 mètres au-dessus du sol, ceux le plus haut à 5.000 mètres.

Le 30 novembre 1881, à 8h.30 du matin, à l’observatoire de Palerme (Italie), M. Ricco vit un vol de grues traverser le disque du soleil ; d’après ses calculs, le vol se trouvait à une altitude de 9.000 mètres.

Observation de l’amiral anglais Lynes d’un passage de cigognes blanches dans la Méditerranée orientale : « Au mois de septembre 1906, écrit cet officier de marine, le navire de guerre Scylla était mouillé au large d’Alexandrette, dans le golfe d’Iskauderun, à l’extrême pointe nord-est du Levant. Plusieurs jours de suite, durant une heure, entre 10h.30 et 11h.30 si j’ai bonne mémoire, il y eut près du bateau un passage considérable de cigognes blanches ; il y en avait de 8 à 10 par 100 yards (90 mètres) se dirigeant vers le sud-est. Elles paraissaient voler à leur convenance de 10 à 50 feet (3 à 15 mètres) au-dessus de l’eau et, de toute évidence, traversaient par la route la plus courte la bouche du golfe large d’environ 25 miles (40 kilomètres). En atteignant le rivage le plus éloigné du golfe, où nous étions, elles ralentissaient leur allure de façon à se grouper, tournoyaient pour permettre aux retardataires de rejoindre le gros de la troupe, puis elles tournaient en cercle, montant de plus en plus haut jusqu’à atteindre une altitude aux environs de 5.000 forts (8.000 mètres). C’était un spectacle impressionnant. Elles s’éloignèrent graduellement en décrivant toujours des cercles et prenant de plus en plus de la hauteur, jusqu’à ce que finalement, peut-être une demi-heure après, la dernière cigogne eût dépassé le bateau et que toute la bande fût perdue de vue à une hauteur immense au-dessus des collines dans la direction d’Alep (Bird Migration, by Landsborough. Thomson, 1936). »

Certains auteurs ayant traité des migrations des oiseaux ne désespèrent même pas de voir constater la présence d’oiseaux dans la stratosphère !

Jusqu’à de nouvelles observations, descendons prudemment des hautes régions de cette deuxième zone et restons, comme hauteur de vol des oiseaux, dans la troposphère, dont la partie supérieure est déjà inhabitable pour l’homme.

Concluons :

Les facultés ascensionnelles des oiseaux dépassent de beaucoup tout ce que l’on croit généralement.

Tous les oiseaux, ou la plupart tout au moins, peuvent, s’il leur plaît, monter à de grandes altitudes, et le fait que nous ne les apercevons pas ne peut être invoqué comme une preuve qu’ils ne passent pas bien au delà des limites de notre perception visuelle ou auditive.

Il y a probablement chez les oiseaux une accoutumance héréditaire qui leur permet de monter à de grandes altitudes sans paraître en être incommodés, sans efforts apparents, ou d’en descendre sans paraître affectés par les différences de pression atmosphérique, mais cette accoutumance a des limites.

Pour revenir à terre, et ce, suivant les espèces, leur hauteur et les lieux d’atterrissage, les oiseaux descendent, les uns en décrivant de grands cercles, les auteurs en suivant un plan incliné, et d’autres, enfin, tombent un par un, comme des pierres semblant descendre du ciel.

C. AUBERT.

Le Chasseur Français N°611 Décembre 1946 Page 324