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La Camargue

J’aime la Camargue, ses vieux mas, ses bastides, certaines de ses vieilles villes, qui, si souvent au cours des siècles, ont connu l’invasion et, avec une foi ardente, se sont maintenues. J’aime la Camargue pour ses déserts solitaires, pour ses rièges, pour ses teintes variées, pour l’eau saumâtre des sansouires, pour ses eaux douces, pour ses mirages, je l’aime aussi pour son mistral et pour son devant, qui sont les bons vents de passée. Je l’aime, enfin, pour sa faune magnifique, pour ses oiseaux inconnus dans nos pays, guêpiers d’Afrique, rolliers d’Europe, geais bleus de l’Extrême-Orient, flamants roses, ibis, gibiers d’outre-mer dont certains sont, à juste titre, protégés, comme le flamant rose.

Oui, la Camargue est un pays très spécial dont la faune et la flore ne ressemblent que peu à celle de la métropole, mais bien plutôt à celle de la brousse africaine. Pays de chasse admirable. J’ai eu entre les mains les tableaux de cinq années sur le meilleur secteur de la région. À sept fusils, les tableaux ont varié, le jour de l’ouverture, entre 458 et 745 pièces, surtout des albrans et des souchets. Les chasses d’hiver à la passée sont évidemment moins formidables, étant donnée la qualité de vol des oiseaux ; les tableaux sont néanmoins exceptionnels. Je préfère ces dernières aux chasses d’été.

J’ai envoyé les records de Camargue à la si intéressante publication anglaise Record Bags and Shooting Record, où figurent tous les records cynégétiques. Je pense que les chasses de canards de cette région figureront en très bonne place, lors de la réimpression de ce volume. Je ne parle des ronds de judelles que pour les mentionner : les tableaux en sont énormes, mais le vol de ces oiseaux au point blanc sur le bec favorise ces hécatombes.

J’ai pris un bien grand plaisir à relire un livre édité avant la guerre par mes soins. Toute la Camargue, écrit et illustré, peut-on dire, par deux hommes qui n’en font qu’un, tant leurs descriptions sont de même charme, tant leur amour des sites de Camargue et des bêtes de cette admirable région est de même passion : Tony Burnand et Joseph Oberthur.

Ils aiment la Camargue pour tout ce qu’elle a de mystérieux, pour la variété de ses paysages, pour sa flore et sa faune si spéciales, pour le vent camarguais lui aussi, marqué d’une influence mistralienne. Si les Landes ont eu leur chantre enthousiaste, cet admirable pays a été aussi chanté de bien des façons.

Après Toute la Camargue, pour la grande joie du chasseur, des amateurs de folklore et des bibliophiles, M. Albert Ganeval vient de nous offrir un livre charmant Camargue, mon tendre amour. Comme il est beau l’amour passionné que l’on porte à certaines régions ! La Brière, les Dombes, la Brenne, les Landes et la Camargue, mêmes émotions sentimentales. Le printemps et ses promesses, l’été brûlant de moustiques, l’automne et l’hiver aux tornades brutales, les belles passées de canards de toutes sortes avec Moussu Guigues, cette vie de la grande région camarguaise a été décrite en patois et en français par M. Ganeval, avec une simplicité et une émotion qui ont un grand charme.

Ce livre sent le marais ; il est illustré par mon ami Joseph Oberthur, le peintre du mouvement ; l’œil extraordinaire de cet artiste semble retenir et fixer l’attitude si fugace des oiseaux les plus rapides. On peut féliciter les éditeurs d’avoir réussi à sortir un volume aussi bien présenté à une époque aussi difficile pour l’édition des livres de luxe. On comprend que la Camargue puisse inspirer tant de tendresse et tant de talent.

Jean de WITT.

Le Chasseur Français N°611 Décembre 1946 Page 326