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Du mont Lozère au mont Bouquet

Le chasseur qui a gravi, dans le bois de chênes-verts, les pentes du mont Bouquet par des sentiers pierreux et atteint le sommet, tout baigné de sueur si c’est en été, sent soudain un air plus vif frapper son visage et se glisser dans l’ouverture de sa chemise. Certes, il ne vient pas de réaliser une ascension, mais tout de même, parti de 150 mètres, il s’est élevé à 600, et il domine alors de vastes étendues de bois, cependant que son regard parcourt tout un horizon de montagnes. Là-bas, après le Rhône, ce sont le Ventoux et les Alpes ; au nord, la montagne de Berg ; puis, en continuant le circuit vers l’ouest, ce sont le Tanargue, le mont Lozère, le massif de l’Aigoual. Vers le sud-est, au contraire, il sent, malgré des éminences rocheuses, que la terre s’abaisse, car ses yeux devinent la garrigue nîmoise, les vignes, la Camargue et la mer. À ses pieds, à l’aplomb des rochers, les bois de chênes-verts, de buis, de genévriers, étalent leur étendue terne et sombre et participent à l’abaissement général du sol. Vers le mont Lozère, par contre, les collines s’élèvent, deviennent montagnes, et la végétation change avec l’altitude.

Des pentes abruptes des Cévennes, la végétation des montagnes, fayards, sapins, châtaigniers, dévale à toute vitesse à la rencontre des arbustes méditerranéens, les chênes-verts, les oliviers et une profusion de plantes aromatiques. La démarcation ne se fait pas par une ligne nette et définie, mais, au hasard des vallées et des abris, la montagne ou les collines gagnent du terrain.

Le mas de la Barque, maison forestière située sur le plateau du mont Lozère, est à 1.400 mètres d’altitude. On peut de là-haut reconnaître le mont Bouquet là-bas, au loin.

Les sangliers, bêtes erratiques, trouvent dans les régions qui vont de l’un à l’autre de ces massifs un habitat qu’ils affectionnent. Au mont Lozère et dans ses abords, les fayards leur procurent la provende et le gîte. Ils aiment aussi à se gîter dans les genêts, qui font, comme à Gourdouze, un couvert à peine pénétrable. Plus bas, ils ont des forêts de pins sous lesquels croissent des buissons. Les châtaigniers, tout au long de la pente, à partir de 1.000 mètres, se partagent le sol avec les autres essences. Ils étendent leurs branches jusqu’aux collines, où se rencontrent les végétations méditerranéennes et celles de la montagne. Mais, en abordant le mont Bouquet, les châtaigniers ont disparu, le calcaire forme l’ossature du paysage et le chêne-vert domine sans limite. Il ne cède une partie du terrain qu’au chêne-kermès en se rapprochant de Nîmes. Les erres des sangliers finissent à la mer, où les roseaux de la Camargue les accueillent.

Certes, les hardes ont leurs cantons de prédilection. Il est rare par exemple que les bois de Seyne soient vides d’animaux. Mais il apparaît fort probable que les sangliers se déplacent depuis la mer jusqu’au mont Lozère. Le pied des animaux venant de Camargue n’est pas usé comme ceux qui ont vécu dans les calcaires de la zone du mont Bouquet. L’hiver, lorsqu’une forte couche de neige couvre le Lozère, les sangliers descendent vers des lieux plus cléments. Inversement, lorsque l’été brûle les bois de chênes-verts et tarit toutes les eaux, ils remontent vers l’altitude.

Actuellement la région de Bouquet est peu peuplée. Les chênes sont dévorés par une chenille qui détruit fleurs et feuilles. IL n’y a plus de glandée, nourriture essentielle, surtout en hiver.

Mais, depuis les roseaux de Camargue, en passant par les chênes-verts, jusqu’aux fayards du mas de La Barque, combien de fois les voix du vautrait des lieutenants de louveterie Soulier et Agniel ont fait retentir les bois ! Combien de magnifiques journées de chasse où nous avons connu tous les temps, la chaleur torride, le froid glacial, la pluie et surtout cet ennemi du chasseur, le vent, ce mistral qui souffle en rafales violentes durant la fin de l’hiver et le printemps !

Nous avons connu les succès, les demi-échecs, les échecs, les heures passionnantes des bien-aller comme celles ternes des buissons creux.

Voici quelques notes prises parmi bien d’autres :

13 janvier. — Dès l’attaque, les chiens lancent un sanglier qui trouve un trou dans la ligne des tireurs et qui va se faire battre au loin. Un chasseur étranger à la battue, entendant la meute, se pose et le tue. Il est trois heures. On attaque en descendant, mais on ne trouve rien. Le soir tombe. Finaud reconnaît une voie. On cerne malgré l’heure le bois où nous supposons que l’animal s’est remis. Alors, dans la nuit venue, c’est un fermé roulant où le sanglier se déplace lentement. Les abois farouches et les craquements du bois prennent dans l’obscurité une grandeur sauvage, cependant que le lieutenant de louveterie Soulier donne des ordres de prudence et fait coupler les chiens à grand-peine.

14 février. — Finaud, depuis 8 heures du matin, rapproche lentement, mais sans une erreur. Il suit des terres travaillées, traverse des vignes, descend dans des vallons, perce les bois les plus épais, lorsque, à 11 heures, il trouve sa bête de chasse. Lancé, le sanglier franchit un chemin où il essuie un coup de fusil pour rien. Toute la meute a rallié Finaud. La chasse s’éloigne, revient, s’éloigne encore et tombe sur deux chasseurs qui y mettent un point final. On cerne un bois. Un beau sanglier est aussitôt lancé à grands récris et sons de trompe. Il se fait battre dans le fourré, tient tête aux chiens pour son malheur : un chasseur perce au fort et le tue d’une balle.

3 mars : — Nous chassons dans un magnifique terrain où abondent bois de châtaigniers, bois de pins et remises. Malheureusement, le temps est glacial, et le vent souffle avec violence. Des flocons de neige papillonnent dans l’air. La meute ne tarde pas à lancer des sangliers qui essuient quelques coups de fusils sans mal ou qui passent à des postes sans être repérés, tant le vent est assourdissant. Après-midi sans histoire où beaucoup de feux s’allument pour réchauffer les tireurs glacés.

28 mars. — Temps frais et vent fort. Dans la terre humide, les voies de la nuit sont visibles. Première traque le matin. Les chiens poursuivent des marcassins. Ralliés, ils lancent un gros sanglier qui sort de la chasse. Ralliés à nouveau, on attaque dans la Duchesse. Le soleil et le déjeuner m’ont rendu somnolent à mon poste, lorsqu’un coup de fusil et la voix des chiens me mettent en éveil. La meute est à peine à trois cents mètres et dévale sur moi. Pourvu qu’ils n’aient pas passé ! Non, les voilà ! Il y a une laie, quatre marcassins et deux bêtes de compagnie, ils filent par le travers à trente mètres. La balle de mon coup droit manque son but. J’épaule à nouveau sur une des deux bêtes de compagnie, qui fait une superbe culbute.

28 avril. — Le temps est menaçant. Nous occupons nos postes, mais des ondées continuelles tombent. Il faut sonner la retraite sous la pluie.

19 mai. — Le matin, en foule, les bois de Masmegean. Les chiens lancent aussitôt une harde. Deux sangliers en sont les victimes. Tard l’après-midi, nous attaquons les bois d’Altefage au pied de la montagne de Bougés. Nous sommes à peine postés que les chiens poussent à pleine gorge et la fusillade commence. A ... roule un sanglier qui se relève et s’échappera à cause de la nuit, pendant qu’à travers les fayards il tire et manque un second. M ... loge une balle dans la tête à un autre, pendant qu’au même instant deux en profitent pour s’éclipser. P ... tire un gros trop loin. Nous partons plus haut vers d’autres postes pour couper sa route. Le sanglier bondit dans le chemin devant S ..., qui, venant à notre rencontre, a son fusil à l’épaule. Néanmoins les traces des chevrotines dans les branches laissent juger qu’il n’a pas dû s’en tirer gratuitement. La meute mène toujours, et on ne la ralliera que dans la nuit.

Jean GUIRAUD.

Le Chasseur Français N°611 Décembre 1946 Page 328