S’il est une question qui puisse intéresser nombre de vos
lecteurs, c’est bien celle du remplacement des armes de chasse réquisitionnées
par les Allemands durant l’occupation et non rendues.
J’ai saisi le ministre de l’Intérieur de cette affaire. Il
me répond « qu’elle ne lui a pas échappé », mais que son collègue de
la Reconstruction « estime que les dispositions en vigueur en matière de
dommages mobiliers ne concernent pas les biens dont le caractère principal est
moins d’utilité que d’agrément ».
En d’autres termes, les Allemands nous ont volé, ils
conservent nos fusils, tant pis pour nous ! Pas une minute on n’envisage
de profiter de ce que les Allemands sont battus pour leur faire rendre gorge.
Telle est la façon 1946 de comprendre la justice ! Les voleurs chasseront
à notre place, voilà tout !
Je suis certain que vos abonnés apprécieront à sa valeur la
réponse ministérielle.
Elle refuse, pour les armes de chasse à remplacer, tout
crédit de l’État. Mais nous ne demandons pas de crédits : nous demandons des
armes. Nous ne demandons pas des indemnités, nous demandons qu’on reprenne aux
Boches autant de fusils qu’ils nous en ont volés et qu’on nous les distribue
selon la valeur de ceux qu’ils nous ont pris.
Tout ce que nos gouvernants envisagent, c’est de donner un
bon prioritaire d’achat aux sinistrés de notre espèce. Quelle équité, n’est-ce
pas ? On nous a pris des fusils de 3.000 francs qui en valent
30.000 ... Nous n’avons qu’à faire cadeau de ces fusils aux Boches
détrousseurs et à ouvrir nos portefeuilles ! On croit rêver ! On
croit d’autant plus rêver que, voici un an, un grave organisme qui fonctionne à
Paris, l’Office des Biens et Intérêts privés, 146, avenue de Malakoff,
nous a fait remplir des imprimés compliqués, aux fins de nous rendre nos armes.
Deux dossiers à mon nom ont, de plus, été ouverts à la mairie et à la
préfecture de Rouen. Nous pouvions espérer avoir satisfaction, non peut-être
par le retour d’armes qu’il est aussi difficile de trouver qu’une épingle dans
un char de foin, mais du moins par la juste dation de fusils équivalents.
Vain espoir ! M. le ministre nous avertit que
l’éponge est passée et que nos fusils sont très bien en Allemagne !
En vain l’Assemblée nationale a voté, le 26 mars 1946,
une résolution proclamant le droit intégral aux réparations. Le gouvernement ne
fait rien, ne demande rien, ne profite pas de notre présence à la Conférence de
la paix pour exiger ces réparations intégrales, qui sont tout simplement
normales, même pour ceux qui, comme moi, n’ont pu obtenir des toutes-puissantes
autorités allemandes de 1940 le récépissé qu’on réclamerait volontiers pour
prouver le vol, comme si les volés devaient pâtir de ce que le voleur a refusé
la preuve écrite de son larcin ! En pareille occurrence, la bonne foi doit
être admise par des témoignages valables ; il n’y a pas besoin de la
signature du voleur ... à ce qu’il semble !
Marcel AUTHIER,
docteur en droit.
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