Le sport sélect qu’est la pêche à la mouche,
particulièrement à la mouche sèche, est parfois si décevant qu’il faut avoir
vraiment le feu sacré pour persévérer.
Nous ne parlons pas de ces journées désespérantes où la
rivière paraît morte, absolument vidée de ses occupants habituels.
Elles sont, hélas ! fréquentes, au grand désespoir des
débutants ; les initiés sont moins sensibles à ces sombres heures, car ils
savent bien que, d’un moment à l’autre, la Situation peut se retourner
favorablement.
Nous ne faisons pas non plus allusion à ces minutes
affolantes où la truite, sautant de tous côtés, moucheronnant jusque dans nos
bottes, culbute l’artificielle d’un coup de tête ou de queue, nous faisant
croire à une attaque, alors qu’il ne s’agissait que d’un jeu ; les
pêcheurs disent alors : « Elles tapent à noyer. »
Dans ce cas, il vaut mieux ne pas insister, nous perdrions
notre temps ; peut-être réussirions-nous à accrocher une truite dans une
partie quelconque du corps, en ferrant sec, mais ce n’est plus du sport.
Heureusement, le pêcheur à la mouche connaît des journées
idéales : un crépuscule lourd, une lumière voilée ou une matinée pluvieuse
de printemps ; la truite monte bien, trouant à peine la surface de l’eau,
gobant une à une les éphémères aux ailes vibrantes qui descendent le courant.
Votre artificielle bien choisie, bien lancée, a trompé la belle
mouchetée ; elle l’a happée franchement, et votre léger coup de poignet a
répondu à l’attaque.
Manquée ! ... À peine un choc insignifiant, et
votre mouche est partie en arrière, sans accrocher le poisson.
Plusieurs fois, vous avez éprouvé la même déception ;
pourtant, votre hameçon pique bien, vous en avez affûté la pointe
minutieusement, et la goutte de sang qui perle à votre doigt est un sûr garant
de son acuité. Alors ?
C’est clair, net, irréfutable : votre hameçon est
mauvais. Pardon ! il est d’une bonne marque, il a fait ses preuves.
Certainement pas dans la pêche à la mouche, vous avez
l’ennui de le constater.
J’affirme donc que, dans le cas que nous examinons, il est
seul la cause de vos insuccès.
Vous n’ignorez pas que, souvent, surtout au début de la
saison, la truite prend l’artificielle du bout des lèvres, comme à regret.
« Elles mordent mal », avons-nous dit.
C’est parfaitement exact ! Ou elles n’ont pas faim,
comme à la suite d’une éclosion abondante pendant laquelle elles se sont
gavées, ou elles se méfient, ayant déjà été piquées, ou ... je ne sais pas
quoi, mais le fait est là.
Dans de telles conditions, la truite ne saisit que la
courbure de l’hameçon du bout des lèvres, redis-je.
Si la partie portant la pointe est trop longue, celle-ci se
trouvera hors de la bouche, et, inévitablement, un raté s’ensuivra, lors du
ferrage.
Les figures ci-contre seront plus explicites que des lignes
de texte.
Pour que le no 1 accroche la truite, il faut
qu’il soit engamé presque entièrement ; il n’en est pas de même avec le no 2,
qui peut assurer une prise, même saisi peu profondément.
Certains hameçons ont même la pointe presque à hauteur de
l’œillet : ils sont franchement mauvais pour la pêche à la mouche, car
seules les truites affamées, qui se jettent sur la mouche avec avidité, l’engamant
tout à fait, seront accrochées ; toutes les autres, et surtout les
mijaurées de tout à l’heure, ne sentiront pas la plus légère piqûre.
Il est d’ailleurs facile de contrôler mon affirmation en
employant, au cours d’une même séance de pêche, des mouches montées avec les
deux sortes d’hameçons que nous venons d’envisager.
Les prises seront doublées avec le no 2.
Au cas où vous seriez dans l’impossibilité de vous procurer
des hameçons correspondant à mes indications, vous pourrez essayer d’en
détremper quelques-uns d’une forme quelconque ; vous les modifierez
ensuite à la pince, et les retremperez dans l’huile ; vous les polirez,
les appointerez soigneusement, et vous serez en possession d’hameçons à votre
convenance.
Bien que ces opérations diverses n’améliorent pas la qualité
de vos « crochets », vous arriverez rapidement à obtenir de bons
résultats.
Il est souhaitable que les fabricants s’inspirent de
ces idées, ils rendront de réels services aux pêcheurs à la mouche.
Une objection pourrait cependant être soulevée : le
poisson pourra se décrocher plus aisément avec une courbure aussi peu
accentuée, ou plutôt aussi courte.
Ce serait sans doute exact, si on n’y trouvait un remède
assez simple : on compensera cette diminution de la longueur par un
écartement un peu plus accentué de l’ardillon.
On peut même employer le double ardillon, mais je n’en vois
pas l’utilité : la pointe s’enfoncerait peut-être moins aisément dans les
chairs de la bouche.
En tout cas, je parle toujours par expérience et non sur la
foi de racontars plus ou moins fantaisistes : ce sont des essais
personnels tout à fait concluants qui m’ont amené à choisir de tels hameçons.
Je sais bien que de bons pêcheurs emplissent parfois leur
panier avec des hameçons quelconques, mais il leur arrive souvent, à eux aussi,
d’encaisser de noires bredouilles, dues aux ratés.
Ils trouveront une excuse, évidemment, incriminant le vent,
le courant, la truite, que sais-je encore, alors que seul l’hameçon est fautif.
Enfin, essayez, soyez confiants, et, si le résultat ne
répond pas à ce que je vous fais espérer, vous reviendrez à l’ancien système en
maudissant celui qui aura essayé de vous faire évader de la routine.
Je vous demande simplement de ne pas juger a priori.
Marcel LAPOURRÉ,
Délégué du Fishing-Club de France.
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