On donne trop facilement le nom de méthode à un
ensemble quelconque de mouvements de gymnastique, tantôt analytiques, tantôt
synthétiques, ou bien encore statiques, dynamiques, sportifs, naturels ;
assez souvent même, la prétendue méthode groupe, sans ordre ni choix motivés,
des exercices de nature et d’effets bien différents.
Quand on prétend que l’inapaisable querelle des systèmes et
des doctrines est responsable de la confusion qui règne en éducation physique,
on ne se trompe guère ; mais la question de « la meilleure
méthode » serait vite tranchée si l’on se bornait à juger entre des
ensembles de mouvements à caractères bien définis et à technique précise.
Un mouvement de culture physique, même s’il apparaît très
rationnel, n’a pas en soi grande efficacité. Son effet dépend essentiellement
de la façon dont il est exécuté, énergiquement ou mollement, vite ou lentement,
isolément ou encadré d’autres mouvements, et surtout du nombre de fois qu’il
sera répété. Ainsi, avec une même série d’une trentaine de mouvements
analytiques, on peut constituer une douzaine de « méthodes »
véritablement différentes, suivant la cadence de l’exécution, la prédominance
du statisme ou du dynamisme, le nombre et la durée des pauses, la quantité des
répétitions.
Insistons sur l’importance de la « répétition »,
qui est un élément essentiel d’efficacité en toute éducation ; car elle
crée l’habitude, c’est-à-dire transforme en geste facile et réflexe ce qui
exigeait au début attention, volonté, effort sur soi-même.
En général, les mouvements de gymnastique ne sont pas assez
répétés. Confiant dans leur efficacité propre, on les exécute cinq à dix fois
de suite, après avoir pris, aussi correctement que possible, l’attitude qu’ils
exigent. Puis on se repose un peu et on passe à un autre mouvement, que l’on ne
répète à son tour que cinq ou six fois. C’est tout à fait insuffisant pour
obtenir du meilleur mouvement tout ce qu’il peut et doit donner. Il faut
atteindre vingt à vingt-cinq répétitions de chaque mouvement, quitte à diminuer
le nombre des mouvements de la « série ».
Considérons, en effet, que le but de la culture physique est
de développer et tonifier toutes nos régions corporelles dont l’inaction
relative à laquelle nous condamne la vie moderne laisse s’atrophier la musculature.
Nos gestes de la vie courante sont trop étriqués, trop rares et trop faibles
pour fournir à cette musculature l’activité nécessaire à sa nutrition. Aussi la
moitié des éléments qui la composent — les cellules ou fibres musculaires
— dépérissent, retournent presque à l’état embryonnaire. La très grande
majorité des gens sont atteints « d’insuffisance musculaire », ce
qui, avec le manque évident de vigueur, détermine les mauvaises attitudes, dos
rond, reins creux, épaules tombantes, ventre mou, et, en somme, pauvre santé.
Mais les muscles, qui s’atrophient si facilement par
l’inaction, se développent aussi très aisément par le travail, et à tout âge.
Or, l’insuffisance musculaire résultant du dépérissement de certaines fibres,
c’est surtout à celles-là qu’il faut imposer de l’exercice ; et c’est par
la répétition assez poussée du mouvement que l’on y parvient.
En effet, la contraction des muscles est commandée,
déclenchée par le système nerveux, qui leur envoie, sous forme d’influx, un
courant excitateur assez analogue au courant électrique. Les muscles réagissent
à cet influx plus ou moins bien suivant qu’ils sont plus ou moins développés et
entraînés ; c’est-à-dire qu’une bonne fibre musculaire se contractera vite
et bien sous une excitation de faible intensité, tandis qu’une fibre atrophiée
et engourdie ne réagira qu’à une excitation beaucoup plus forte.
Les premières répétitions d’un mouvement de culture physique
se font facilement parce que ce sont les parties du muscle encore développées,
les bonnes fibres, qui suffisent à l’exécuter, en réagissant à un faible influx
qui n’a aucune action sur les fibres atrophiées.
Après dix répétitions, les bonnes fibres commencent à se
fatiguer ; et toute fibre fatiguée réagit moins bien à l’influx. Pour
continuer l’exercice, il faut augmenter l’intensité de l’influx, ce qui se fait
tout simplement par un effort de volonté qui surmonte la lassitude. Mais cette
excitation plus forte a une action sur certaines fibres un peu engourdies qui
ne réagissaient pas à l’intensité précédente. Aux répétitions suivantes, elles
se contracteront donc un peu, venant en aide aux premières fibres fatiguées. Et
ainsi, à mesure que les répétitions se poursuivront, l’intensité de l’influx
devra croître pour soutenir l’effort des fibres déjà au travail et pour appeler
en aide à ce travail les fibres que leur faiblesse a rendues peu excitables. En
résumé, c’est la répétition du mouvement qui oblige à y participer les éléments
musculaires qui ont le plus besoin d’être régénérés ; et c’est là, ne
l’oublions pas, un des plus grands éléments d’efficacité de toute gymnastique
de développement.
Dr RUFFIER.
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