Le problème forestier se pose d’une façon angoissante pour
les propriétaires : faut-il maintenir les peuplements dans leur forme
actuelle et risquer la mévente des produits au cours des années à venir ? ou
faut-il, en engageant des frais qui ne sont pas négligeables, transformer ces
peuplements de manière à en tirer plus tard des produits rémunérateurs ?
Nous écarterons sans trop nous y arrêter la première
solution, qui n’a pour elle que sa gratuité. La perspective de dépenses à
engager pour l’amélioration d’un capital qui rapporte peu (sauf en période de
crise) n’est certes pas tentante. Mais un propriétaire qui raisonne de la sorte
oublie que les mêmes frais généraux courront, que les bois se vendent ou ne se
vendent pas.
Il faut donc chercher, coûte que coûte, un produit que le
marché absorbe et paie bien. Ce ne seront évidemment ni la charbonnette, ni les
petits bois de chauffage. Il faut donc réduire la proportion de ces produits,
augmenter le pourcentage en bois d’industrie, qui ont un débouché permanent
(bois de mines et de papeterie), et, si possible, accroître le volume de bois
d’œuvre.
Nous examinerons successivement les différents aspects de ce
problème.
1° Réduction de la proportion des petits bois.
— Elle n’est possible qu’en allongeant la révolution du
taillis. Les particuliers ont dû rapprocher leurs coupes de plus en plus pour
fournir au marché, et notamment aux impositions, les bois nécessaires. De vingt
et vingt-cinq ans, les âges d’exploitation sont tombés à quinze et dix-huit,
parfois même douze ans. Les coupes qui viennent en tour ne portent plus que de
la charbonnette et des fagots. Mais revenir aux révolutions antérieures, ou
pousser à trente ans, représente une dizaine ou une douzaine d’années sans
revenus qu’un propriétaire ne peut envisager sans hésitation. Mieux vaut
cependant ne pas fermer les yeux sur ce problème et préparer l’avenir plutôt
que vivre au jour le jour et se leurrer en croyant à l’éternité des marchés du
bois conditionné pour gazogènes.
Un moyen terme est offert aux propriétaires dans les
circonstances présentes : il consiste à renoncer à une coupe sur deux,
c’est-à-dire à n’exploiter qu’une coupe tous les deux ans ou une demi-coupe
tous les ans. Ainsi, un taillis fournira, en 1946, moitié de la coupe âgée de quinze
ans et, en 1947, moitié de la même coupe, qui aura alors seize ans. En 1948,
moitié de la coupe de 1947, âgée de seize ans, et, en 1949, la moitié de la
même coupe, qui atteindra dix-sept ans. Et ainsi de suite jusqu’en 1965, où le
rythme d’une coupe annuelle pourrait être repris avec une révolution de
vingt-cinq ans, ou jusqu’en 1975 pour un âge d’exploitation de trente ans.
Ceci ne représente qu’un demi-sacrifice au propriétaire
pendant vingt ans, ou trente ans, pour avoir ensuite un revenu régulier et accru
en gros bois.
2° Augmentation du pourcentage de bois d’industrie.
— Cette opération consisterait à faire grossir plus
vite les brins de taillis, pour qu’à leur terme d’exploitabilité ils rentrent
dans une catégorie de produits supérieure aux bois de feu. Elle est possible,
mais onéreuse. Elle consiste à ne faire, au moment où la coupe arrive en tour,
qu’une éclaircie dans chaque cépée, en enlevant les menus rejets de la
dimension de la petite charbonnette, et à respecter, jusqu’à la fin de la révolution
considérée comme normale, tous les rejets propres à faire des bois de mines ou
des perches. Ainsi, en repartant d’un taillis âgé de quinze ans, l’opération
faite en 1946 ne porterait que sur la moitié ou les deux tiers des tiges de
chaque cépée, et ce n’est qu’en 1956 que la coupe enlèverait le reste des
tiges, qui auraient alors la dimension de perches ou de bois de mines.
Au point de vue économique, cette opération représente une
diminution de revenus plus forte que la précédente, car les produits d’une
telle éclaircie ont une faible valeur marchande ; mais elle s’avère
meilleure au point de vue sylvicole, car elle permet de dégager largement les
chênes au milieu des essences secondaires et de garantir l’avenir en
sauvegardant l’essence précieuse, alors que tout allongement des révolutions de
taillis contribue à la disparition du chêne, qui est étouffé par le charme, le
hêtre et les bois blancs.
3° Augmentation du volume de bois d’œuvre.
— Il s’agit de laisser sur pied, à chaque exploitation,
un nombre de réserves toujours plus grand et de tendre progressivement vers la
futaie.
Cette opération entraîne toujours de lourds sacrifices,
pendant une longue période ; et l’appauvrissement du taillis sous un
couvert toujours plus dense ne contribue pas à améliorer cet état de choses.
Cependant, ce procédé peut être envisagé dans deux cas particuliers :
a. Le propriétaire envisage de faire des
introductions d’essences résineuses par plantations et doit affaiblir la
faculté de rejeter des souches. Cette transformation des taillis sous futaie
par conversion directe fera l’objet d’une étude spéciale, en même temps que
seront énumérées les essences indigènes ou exotiques propres à cette
introduction.
b. Le propriétaire veut faire apparaître des taches
de semis naturels qui remplaceront, peu à peu, le taillis et dont les bouquets
seront traités en futaie. Il peut alors, à la coupe du taillis, maintenir sur
pied des bouquets de réserves (surtout modernes et anciens) dont le couvert
complet étiolera progressivement le taillis et qui donneront des semis naturels
dégagés largement à chaque exploitation. Le coupon exploité présentera alors de
larges espaces découverts, où le taillis sera libre de se développer et de
prospérer comme par le passé, et des bouquets de réserves qui donneront
naissance à de petits éléments de futaie. Dès que les tiges auront atteint la
dimension de perches, les éclaircies fourniront des produits plus rémunérateurs
que ceux donnés par le taillis, sans que pour cela l’exploitation de celui-ci
ait été arrêtée.
C’est donc une solution intermédiaire entre les deux
précédentes. Mais les coupons ne présenteront plus la belle régularité et
l’ordre caractéristique des taillis sous futaie classiques, et les opérations
de marquage devront être faites avec beaucoup de soins.
Si nous nous sommes étendus sur ce dernier procédé, c’est
que ces dernières années ont été favorisées par de belles glandées, complète en
1944, partielle en 1946, et que le meilleur conseil qu’on puisse donner
actuellement aux propriétaires est de sauver les semis naturels de chêne, qui
sont des futaies en puissance. Puisque le taillis doit être progressivement
abandonné, il faut, dès maintenant, utiliser tout ce qui est propre à faire de
la futaie.
Il faut commencer aujourd’hui même et persévérer sans se
lasser. Ainsi la futaie naîtra et ouvrira de nouvelles possibilités aux
propriétaires.
Ceci ne constitue qu’un premier aperçu des moyens mis à la
disposition des propriétaires pour s’assurer des revenus malgré la crise qui
menace les menus bois de feu. Nous examinerons en détail ces diverses
opérations en précisant les conditions d’application de chacune d’elles.
LE FORESTIER.
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