Dans les derniers mois de l’année, les propriétaires qui ont
fait saillir leurs juments, au cours de la saison de monte, doivent être tout à
fait fixés sur le résultat, favorable ou négatif, de cet accouplement, et il
importe qu’ils se préoccupent de surveiller et de soigner tout spécialement
celles qui sont en état de gestation.
D’après les statistiques relevées dans toutes les régions
d’élevage pendant de nombreuses années, le pourcentage des naissances de
poulains ne dépasse guère 50 p. 100 du nombre les juments saillies, par
suite de non-fécondations, d’avortements, accidents de parturition, mauvaise
nourriture, mauvaise hygiène, etc. Toutes ces causes, qui ne manquent pas
d’influencer le progrès et la prospérité de notre élevage hippique, sont
susceptibles d’être sinon supprimées, du moins réduites dans de très notables
proportions, en observant certaines règles ou précautions hygiéniques, sur
lesquelles nous appelons l’attention des propriétaires intéressés.
Pendant la durée de la gestation, le meilleur régime de la
jument est certainement celui du pâturage, sous la réserve qu’elle ne le
partage pas avec des bêtes à cornes dont le voisinage pourrait occasionner des
accidents ; mais, dans les campagnes, les juments « pleines »
sont employées couramment aux travaux de culture et le plus longtemps possible
avant l’accouchement, selon les nécessités du moment. À condition d’en user
avec ménagement et à-propos, non seulement l’exercice n’est pas nuisible pour
les poulinières, mais il leur est au contraire nécessaire, surtout pour
celles qui ne nourrissent pas. On en trouve la preuve dans le fait que l’état
de gestation de certaines juments étant passé inaperçu (ce qui peut se produire
chez des juments légères ayant plus ou moins de sang), elles ont pu être soumises
à de rudes fatigues, de violents efforts, à des allures vives, et accoucher en
temps voulu, normalement, d’un poulain bien constitué et bien portant. Nous
avons souvenir d’avoir lu, dans les journaux de sport hippique du moment,
l’histoire d’une jument de pur sang qui fut soumise à l’entraînement et
participa à des courses d’obstacles sur l’hippodrome d’Auteuil, jusqu’après le
septième mois de sa gestation, sans que cela troublât la formation de son
produit, qui naquit à terme, dans de bonnes conditions, et fut dénommé Court-sans-Pattes,
pour rappeler qu’il avait couru et sauté les obstacles ... dans le ventre
de sa mère.
Les juments poulinières peuvent donc continuer à travailler,
mais avec modération et, en particulier, en évitant de les placer dans les
brancards ; si le travail est nécessaire, la fatigue et, encore plus, le
surmenage doivent être évités, et d’autant plus qu’approchera la date de la
mise bas. Cette façon de faire offre un double avantage pour l’éleveur, car la
jument paie sa nourriture, qui peut lui être distribuée plus copieusement et de
qualité choisie, et son état général de santé et d’entretien est meilleur que
si elle était laissée au repos complet, où elle aurait tendance à engraisser, ce
qui fait dire couramment que « la mère prend le dessus et le poulain n’a
plus rien ! »
Autant que peuvent le permettre les conditions
atmosphériques, le travail modéré, associé au régime du pâturage, sera donc
toujours très favorable aux juments poulinières. Mais, au cours de la mauvaise
saison, quand elles ne trouvent plus à la prairie la nourriture abondante dont
elles ont besoin, surtout si elles fournissent un travail assez sérieux et
régulier, il faut, à l’écurie, ajouter à la ration habituelle des grains et des
farineux.
Cette ration a une grande importance, et il faut en
surveiller la distribution avec soin, tant au point de vue de la quantité que
de la qualité. La quantité sera réglée de manière que la jument soit en bon
état sans être trop grasse, car l’obésité et la pléthore prédisposent à
l’avortement et rendent l’accouchement pénible, tandis que la maigreur nuit à
la sécrétion du lait, et, dans cet état, les juments se montrent souvent
mauvaises mères en même temps que nourrices insuffisantes. En règle générale,
un supplément de nourriture au râtelier est nécessaire le matin aux juments qui
sont mises au pâturage ; l’estomac, en partie rempli de foin, est alors
moins sensible à l’impression que traduit habituellement l’herbe couverte de
rosée, dont l’action réfrigérante pourrait aussi agir sur le fœtus, au point de
provoquer l’avortement.
Les boissons froides ou glacées peuvent avoir les mêmes
inconvénients ; il faut y veiller d’autant plus attentivement que les
juments en gestation et davantage encore celles qui sont suitées ont besoin de boire
beaucoup, ces dernières ayant à fournir, pour la nourriture de leur poulain,
une quantité de lait dont la composition réclame journellement huit litres
d’eau environ. L’influence d’un abreuvement abondant ou d’un régime aqueux
comprenant « masches » et « barbotages », betteraves,
carottes, etc., sur la sécrétion lactée a été maintes fois surabondamment
démontrée.
Les juments qui vivent dans les vallées basses et humides
fournissent toujours les meilleures nourrices, et, parmi celles qui sont
entretenues à l’écurie, où elles reçoivent une ration de fourrages secs, ce
sont celles qui s’abreuvent le plus copieusement qui se montrent les meilleures
laitières. À défaut de facilités pour un abreuvement suffisant, il sera
possible d’y remédier en distribuant l’eau à une température convenable, sinon
tout à fait tiède, tout au moins dégourdie, ou après un séjour de quelques
heures à la température de l’écurie.
Le son est un aliment précieux pour la nourriture des
poulinières, sous forme de barbotages, et une ration composée avec 10 kilos
de foin et 3 kilos de son délayés dans de l’eau tiède, légèrement salée ou
sucrée, constitue un régime moyen très recommandable. L’avoine ne doit être
donnée qu’en petite quantité, après avoir été concassée ; en proportion
trop élevée, elle peut avoir une action excitante défavorable pour la santé de
la jument. Est-il nécessaire de saigner les juments
« pleines » ? Peut-être dans certains cas, mais, le plus
généralement, pour ne pas dire toujours, l’intervention se fait plus par habitude
que par besoin, surtout chez les juments qui travaillent et dont le régime
alimentaire est ordonné, comme nous venons de le dire.
La durée de la gestation chez les juments peut varier de
trois cent vingt-deux à quatre cent dix-neuf jours, mais, entre ces deux
extrêmes, des suites de constatations enregistrées, au haras du Pin, sur
vingt-cinq juments y ayant pouliné, il ressort que trois cent quarante-trois
jours, soit onze mois et dix jours, représente le terme moyen le plus fréquent.
Les poulinières de pur sang portent toujours plus longtemps
que celles de races communes ; les poulains naissent en général plus
tardivement que les pouliches. Enfin le terme de la gestation dépend encore de
l’âge plus ou moins avancé de la mère, du nombre de poulains qu’elle a déjà
produit et de son état général de santé depuis la saillie et la conception.
J.-H. BERNARD.
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