Le lapin auquel on a donné le nom ambitieux de Castorrex
(roi des Castors) est l’exemple de la plus inattendue, de la plus prodigieuse,
de la plus brutale mutation spontanée que l’on ait enregistrée chez l’hôte des
clapiers. Car, si on a obtenu, créé, constitué, amélioré, fixé des races qui ne
présentent plus rien de commun, à première vue, avec le lapin sauvage, par leur
taille, leur aspect extérieur, la couleur de leur toison, ces variations se
sont constituées graduellement. Elles se sont amplifiées ainsi de génération en
génération, en faisant jouer la sélection, le perfectionnement des caractères
acquis. Même l’admirable lapin Angora, splendide boule de soie, si éloigné du
Castorrex, n’a donné sa mesure qu’après de longues périodes d’élevage et d’améliorations
successives et croissantes.
Le lapin Castorrex a pour originateur un cultivateur
sarthois. Ce cultivateur remarqua un jour dans une portée d’une lapine
quelconque un lapereau qui continuait à faire du nudisme intégral alors que les
autres étaient déjà vêtus. Intrigué, il montra cet animal à un prêtre cuniculteur
qui, sans doute, lui conseilla de le conserver à titre de curiosité et
d’observer si la même anomalie se produirait dans la nichée suivante. Ce fut le
cas. Et, chance inouïe, chacun des deux sujets était d’un sexe différent.
On constata par la suite que la fourrure de ces animaux
était très différente de celle des autres lapins. Ils n’étaient vêtus que de
leur sous-poil, de la bourre veloutée qu’habituellement recouvre le poil jarre,
beaucoup plus long et plus raide, bien que brillant. En fait, le poil jarre n’a
pas disparu, il est plus fin et ne dépasse pas en longueur le sous-poil avec
lequel il se confond.
Par ailleurs, poil et sous-poil sont implantés
perpendiculairement à la peau, presque à « rebrousse-poil ». Ainsi
cette toison se présente comme celle de maintes sauvagines. Elle est dense,
remarquablement souple, douce et soyeuse, Veloutée, à reflets lustrés. Elle
rappelle, par l’aspect et la couleur brun fauve, la peau du castor pour le dos
et les flancs, encore que cette couleur des flancs aille en se dégradant
jusqu’au ventre qui est blanc.
À quoi est due cette soudaine mutation, à première vue
inexplicable ? On imputa postérieurement cette anomalie à une affection
congénitale, à la tréponémose. Mais, grâce aux traitements, il ne reste plus
trace de cette tare originelle.
La multiplication de cette race ne se déroula pas
sans accrocs. Elle devait s’avérer tardive, et on réalisa précocement les
premiers accouplements, que l’on fit succéder rapidement chez les premiers
géniteurs comme dans leur descendance, ce qui détermina un affaiblissement
momentané. L’élevage étant conduit en étroite consanguinité, les caractères
nouveaux furent héréditairement fixés, et des correctifs furent postérieurement
apportés pour redonner de la vigueur aux sujets déficients et accentuer la
vitalité.
En effet, pour revigorer cette race, on la croisa avec
d’autres races de lapins à fourrure fine. Elle se montra à ce point dominante
que le résultat de tous les croisements d’absorption fut de fixer
irrémédiablement ce caractère de fourrure dense et rase à la couleur de la race
mise en œuvre. Et c’est ainsi que l’on constitua les Rex : blanc, bleu,
argenté, chinchilla, havane, zibeline, noir, etc., en abondance ! En si
grande abondance qu’ils sont trop variés, trop nombreux, et que domine la
tendance à la collection, certes fort intéressante, mais qui ne marche pas de
front avec la production sériée et massive pour la fourrure, qui fait tout
l’intérêt de cette race ; intérêt national et d’exportation. Car, en
effet, on importa de France des Castorrex et des Rex de couleur dans tous les
pays d’Europe et d’Amérique ; et, peut-être, ces demandes se
renouvelleront-elles.
Dans quelle mesure devez-vous adopter le Castorrex ou ses
variétés de couleurs pour produire des fourrures ? La question est
opportune à poser ; mais, dans les circonstances actuelles, il serait
prématuré de vous lancer dans cet élevage dans ce seul but. D’abord, ainsi que nous
l’avons particulièrement souligné à propos des lapins à fourrure des races à
poil long, parce qu’il importe surtout de produire de la viande, aussi bien
pour les approvisionnements familiaux que pour la vente, et parce que le marché
des fourrures n’est pas orienté encore dans un sens affirmé.
Sans doute, les Castorrex et les Rex de couleurs fournissent
une viande de qualité ; mais les Castorrex surtout ne se classent pas
parmi les races précoces. Ils témoignent d’une croissance lente, et il faut
plus de temps que le comportent les autres races pour produire le kilogramme de
viande vive ou nette. Par conséquent, le prix de revient du kilogramme est plus
élevé. Mais, ainsi que cela vous a été conseillé pour les autres races de
lapins, adoptez le Castorrex ou une de ses variétés de façon à en constituer
une souche et d’impeccables lignées par un élevage rationnel et par de
continuelles améliorations et sélections. Ce conseil est net : pas de
collection, si vous visez la production ultérieure des fourrures en
collectivité pour être en mesure de constituer des lots de peaux parfaitement
assorties et homogènes. Au besoin, si vos possibilités sont assez larges, menez
de front l’élevage de deux races pour doubler vos chances. Il peut en être
autrement si vous élevez des lapins d’exposition.
Je classe en premier à égalité le Castorrex type et un Rex
blanc (Rex blanc du Bouscat, ou Rex blanc de Vendée, ou Rex russe) ; le
Rex russe est plus précoce, mais ses peaux splendides sont moins grandes. Plus
tard, les Rex des autres couleurs seront aussi à envisager, puisqu’il faut
tenir compte des variations de la mode.
Claude AXEL.
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