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Les origines du chien domestique

Un paléontologiste doublé d’un humoriste affirmait que les origines du chien sont plus mystérieuses encore que celles de l’homme ! Il y a du vrai sous cette boutade ; si le chien domestique (canis familiaris) est le compagnon de notre race depuis une haute antiquité, un fait doit nous donner à réfléchir : sur les parois des cavernes où vécurent nos ancêtres de Cro-Magnon, parmi les nombreuses figures animales qui représentent les plus anciennes formes d’art connues, on chercherait vainement des silhouettes de chiens.

Bien mieux : sur ces immenses fresques, qui dressent un catalogue de la faune française de l’époque, toute une catégorie manque, celle des canidés. Pour nous borner aux carnivores, elles nous montrent le redoutable ours des cavernes et le lion ; mais on n’y voit figurer ni le renard, ni le loup. Faut-il en conclure que ces animaux n’étaient pas encore arrivés, au cours de leurs migrations millénaires, de la steppe asiatique, ou qu’ils étaient extrêmement rares ? Un fait certain demeure : l’homme du paléolithique, l’homme de la pierre taillée, n’a pas connu le chien.

Les choses changent quand nous arrivons à cette époque de la pierre polie, ou âge néolithique, qui a précédé immédiatement l’âge du bronze et les époques historiques. On ignore généralement combien cette époque est proche de nous et à quel point elle conditionne notre monde actuel ; le tracé des routes, la répartition des forêts et des cultures, l’assiette des villes sont l’œuvre de ces ancêtres néolithiques. Et tel paysan qui dessine avec sa « brabant » le faisceau allongé des sillons perpendiculaire au « chemin de terre » refait, sans s’en douter, le parcours millénaire de son ancêtre, armé d’un arreau à coutre de pierre ...

Avec les néolithiques, le chien arrive ; nous retrouvons ses ossements mêlés à ceux des hommes, autour des foyers qui ont marqué les pierres au fond des grottes. Bien qu’issu très nettement du loup le chien néolithique est entré « dans le pacte des villes », comme dit Vigny, disons plutôt dans l’association humaine. Déjà, très certainement, il sert de gardien et de chasseur ... ou même d’animal de boucherie, comme cela se pratique encore en Chine !

Vers la même époque — à quelques milliers d’années près, bien entendu ! — une race humaine venue d’Afrique s’avança à travers l’Espagne jusqu’aux Pyrénées et laissa sur les parois des grottes des scènes de guerre et de chasse où l’on distingue nettement des chiens. Ainsi, la gent canine envahissait l’Europe par ses deux extrémités : au nord-est, avec les peuplades néolithiques arrivant d’Asie ; au sud-ouest, avec cette race transafricaine. Et ceci nous permet de situer à vingt mille ou trente mille ans avant notre ère, très approximativement, l’apparition dans nos contrées du chien domestique.

Le « chien qui monte aux arbres ».

— Toutes les recherches attestent que le chien fut le premier animal domestiqué par l’homme. La domestication du bœuf, de la chèvre, de la poule, ne vint qu’ensuite. Remarquons que toutes ces conquêtes pacifiques, si importantes pour notre existence, furent faites en Asie, berceau de très anciennes races humaines. Les exceptions à cette règle sont fort rares. Citons : le cygne, originaire de la Scandinavie et domestiqué par les Grecs ; la pintade, venue d’Afrique ; le dindon, domestiqué par les Indiens Mayas ... et mal domestiqué, pourrait-on dire, car chacun sait que, si la poule et l’oie savent rentrer au gîte chaque soir, il est trop souvent nécessaire d’aller ramener les dindes ! Quant au lapin, il semble avoir été connu en Gaule avant la conquête romaine, et il se pourrait que ce rongeur, qui peuple aujourd’hui le monde entier, fût originaire de tel coin de la France méridionale.

Les investigations paléontologiques ont permis de découvrir des ossements de chiens, ou du moins de canidés, dans toutes les parties du monde : dans l’Inde, à Java, dans l’Afrique australe, au Canada, au Brésil, en Australie. Bien que ces ossements datent de millions d’années, tous ces continents comptent encore à l’heure actuelle des canidés sauvages. L’Europe elle-même est infestée de renards dans toute son étendue, de loups dans sa partie orientale et de chacals dans les Balkans.

Que savons-nous des tout premiers ancêtres du chien ? S’il faut en croire le Dr Matthews, le plus ancien squelette de canidé découvert jusqu’à ce jour serait celui du Cynodictis trouvé dans les montagnes Rocheuses, au milieu de terrains oligocènes datant de trente-huit millions d’années. Cet ancêtre ultra-vénérable avait l’allure d’un lévrier russe, mais avec des jambes moins longues, et l’on croit que sa vitesse devait être médiocre ; en revanche, la structure de ses pattes laisse présumer qu’il possédait des griffes lui permettant de grimper aux arbres, et certains savants le considèrent comme l’ancêtre commun des canidés et du raton d’Amérique (raccoon) qui, tout en ressemblant au chien, est demeuré bon grimpeur.

Un chien qui descend de l’ours ?

— Mais n’oublions pas que la solution du problème n’est peut-être pas unique. La principale raison qui nous conduit à placer dans la même case zoologique des animaux aussi différents que la levrette et le bouledogue est qu’il est possible de les croiser, moyennant certaines précautions. Or les travaux du Dr Émile Devaux ont montré que l’interfécondation est presque toujours possible, même entre des races extrêmement différentes, pourvu que le temps de gestation et surtout le rythme de développement de la cellule œuf soit identique chez les deux races. Rien d’impossible, par conséquent, à ce que nos chiens actuels soient issus d’animaux multiples ; de même que les éleveurs actuels, pour obtenir du nouveau à tout prix, réalisent les « cocktails » de pedigrees les plus baroques !

Toujours d’après Matthews, il y aurait lieu de distinguer une certaine branche de chien-ours, alliance de mots qui fera sursauter les zoologistes orthodoxes, habitués à considérer comme intangible la cloison entre digitigrades et plantigrades ! Le squelette du Dinocyon Gilleyi, trouvé dans le miocène du Texas, nous offre une silhouette ramassée, de taille imposante, supérieure à celle de l’ours brun ; le cou très court, la tête massive évoquent le molosse. Nous aurions là l’ancêtre des grands chiens actuels : dogue du Thibet, Terre-Neuve, Saint-Bernard. Les canines supérieures sont saillantes, l’aspect est féroce, tout en force.

Les quatre races modernes.

— Au cours de l’évolution naturelle, le nombre des espèces canines se multiplia, atteignant plusieurs centaines, et ce mouvement de différenciation s’accéléra encore quand intervint, après la domestication par l’homme, l’élevage méthodique ; sélection, croisement, dressage.

Babyloniens et Assyriens élevaient trois races de chiens : les molosses pour la guerre, les lévriers pour la chasse et les dogues pour la défense des troupeaux contre les loups. Les Égyptiens connaissaient, entre autres, les chiens de salon, dont on a trouvé des cimetières entiers, fondés par leurs maîtresses inconsolables ! La Chine a créé de nombreuses variétés, dont les célèbres pékinois, autrefois réservés à l’Empereur.

Parmi les innombrables races, sous-races et Variétés, on peut distinguer aujourd’hui quatre groupes : les lupoïdes, dont l’aspect s’apparente à celui du loup ; tels sont l’esquimau, le berger alsacien, etc. ; les braccoïdes comprennent les chiens de chasse, l’épagneul, le basset ; les molossoïdes, bêtes formidables, comprennent le Saint-Bernard, le Terre-Neuve, le bouledogue ; enfin, les graioïdes se limitent presque exclusivement aux lévriers. Au surplus, il faut avouer que les chaînons manquent entre ces quatre groupes et les fossiles que nous avons cités ; la science attend encore le Cuvier ou le Lamarck qui lui livrera le secret des origines du plus proche ami de l’homme !

Pierre DEVAUX.

Le Chasseur Français N°611 Décembre 1946 Page 364