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Les chasses de M. de Puyperdu

L’homme vert

L’homme se tenait immobile, la casquette à la main, et regardait, comme stupéfié, le cavalier qui s’enfonçait sous bois.

C’était un garde vert, c’est-à-dire un forestier, un de ceux que l’on nomme ainsi en forêt de Marcheroux pour les différencier des gardes-chasse, habillés, eux, de velours bleu.

Stupéfié, il pouvait l’être ; après vingt-cinq ans de séjour dans cette forêt où il avait vu chasser tant d’équipages et de si bons, où, à force de fréquenter gardes de métier et hommes de vénerie, il avait acquis un certain bagage que son amour de la chasse avait encore enrichi (peut-être au détriment de son avenir de forestier, mais qui ne l’avait jamais gêné dans l’accomplissement de ses devoirs), il venait de se tromper si grossièrement qu’il en rougissait encore, malgré ses grosses moustaches blanches et son air dur de coureur des bois.

Chaque état à ses grâces, dit-on ; pour les maîtres d’équipage, qui, devant posséder tant de qualités, ont bien droit d’avoir quelques défauts, la douceur, l’aménité et le verbe fleuri semblent, autant que je puisse m’en souvenir, leur manquer le plus souvent. M. Horace de Puyperdu était un excellent et très remarquable veneur et, probablement pour cela, avait, dans le feu de l’action, une précision et une verdeur de langage renforcées encore par une voix puissante aux résonances de métal, très propre à chasser à cor et à cris, mais qui disait les choses sans fard et les disait vigoureusement.

Et ce pauvre Constant, le garde vert, venait d’en faire l’expérience.

Depuis plus de trois heures, et sur le bon pied, M. de Puyperdu chassait un sanglier ; joli ragot, noir comme un corbeau, qui avait été lancé après un très court rapprocher, dans un petit boqueteau, jouxte la forêt. C’était, du reste, un rembucher de Constant.

Dix-huit chiens tricolores, très près du sang poitevin, composaient le modeste vautrait du veneur. Les chiens de ce remarquable équipage, pas très grands pour leur race, toisaient de 0m,60 à 0m,64 ; un élevage judicieux et bien conduit avait obtenu des animaux très chasseurs ; assez fins de nez pour qu’il y ait parmi eux quelques rapprocheurs, très vites, résistants, braves et bien gorgés, ils n’avaient qu’un défaut : ils étaient un peu chauds, mais les nombreuses chasses, les curées et la main du « patron » en faisaient des sujets suffisamment sages pour l’usage auquel ils étaient destinés.

Bien attaqué, le sanglier était rentré assez vite en forêt. Il avait fait un des parcours habituels des bêtes noires, car, suivant les années ; le sous-bois se modifie par suite des coupes, et les animaux — les sangliers surtout — préfèrent les fourrés ou même les futaies pas trop claires aux espaces dénudés par la hache du bûcheron. Ainsi, et suivant le rythme de l’exploitation, vingt ans plus tard, le passage abandonné est de nouveau fréquenté. Admirable constance d’animaux plus fixés dans le temps que celui qui se croit, bien à tort, leur maître ...

M. de Puyperdu, et c’était un de ses atouts, chassait en petit comité. Sans être misanthrope, il est évident qu’un nombre important de chasseurs apporte avec lui une certaine quantité de non valeurs, quand ce n’est pas de ces êtres nuisibles, à tous les points de vue, et qui n’ont pas leurs pareils pour empoisonner les veneurs et déranger la meute. C’est un peu, et je m’excuse de la comparaison (mais mes amis les chiens me comprendront ...), comme un équipage de lièvre : il est possible de réunir douze à quinze bons chiens, ce serait un tour de force d’en faire bien chasser quarante.

Cependant, il est des chasses où le trop petit nombre des suivants se révèle comme un sérieux handicap. C’était le cas pour le laisser-courre que nous suivons, car M. Horace, à part un jeune « fouailleux », vigoureux et sonnant bien, mais assez ignare en fait de chasse (son maître, du reste, ne lui laissait guère d’initiative), n’avait avec lui qu’un ami, homme charmant et très connaisseur, mais déjà d’un certain âge et qui suivait de loin et ne piquait plus.

Voici donc pourquoi, le goret revenant passer dans une enceinte des plus fourrées et tellement fréquentée des sangliers qu’on avait pu la nommer la « salle de bal », les chiens, en suivant les nombreuses allées et venues de leur animal, tombèrent sur une compagnie de bêtes noires qui grouillaient sous bois et bientôt s’enfuirent de tous côtés.

Les chiens de M. de Puyperdu, je vous l’ai dit, étaient très chasseurs et, pour cela même, pas plus sages qu’il ne faut dans les difficultés ; à plus forte raison n’étaient-ils pas des plus indiqués pour se garder du change, les chiens de change sur sanglier étant presque aussi rares que des chiens de change sur lièvre : ce n’est pas peu dire.

Ce fut donc ce qu’un veneur ami, et invité à cette chasse-là, eût qualifié, avec l’indulgente rosserie du bon confrère : une salade effroyable ; ce qui veut dire en bon français et pour un juge impartial que plusieurs chasses se formèrent. Un maître d’équipage, dans ce cas, dit simplement, en parlant de cet incident et en faisant jouer la cote d’amour, que ses chiens tombèrent dans le change. Mais nous connaissons cela, nous y sommes tous passés ...

Avec du monde, il eût été facile d’arrêter et de rallier sur la chasse emmenée par les meilleurs chiens, les chiens de créance, ceux qu’on peut supposer faire le moins de bêtises. Dans l’occurrence, sept poitevins à la suite du fameux Quolibet semblaient bien être dans le vrai ; M. de Puyperdu galopait et sonnait derrière ce petit lot ; le jeune piqueux put arrêter deux chasses sur des bêtes rousses et, avec cinq chiens derrière lui, essayait de rejoindre son maître.

Il y arriva après un certain temps, avec assez de bonheur et d’adresse ; il fit rallier ses chiens et revint en arrière pour reprendre le reste.

Et c’est là où les choses se compliquèrent. Tout aurait été simple si l’animal chassé par M. de Puyperdu eût pris un grand parti ; mais il se contenta de piquer une pointe d’une demi-heure dans des enceintes claires où les chiens chargeaient à plein train, si bien qu’il crut prudent de regagner « la salle de bal ». Là, quatre chiens encore y promenaient, sans grande conviction, une grosse laie au plus fort du piquant. Dans ces cent hectares sans un layon, vrai fourré d’ajonc et d’épine, le pauvre valet s’arrachait les cheveux, sans pouvoir rompre ses chiens.

Et c’est à ce moment que Constant, survenant et entendant la trompe et les cris de M. Horace, la rumeur de la meute de nouveau de retour dans cette diabolique enceinte, voyant une grosse laie grise se faufiler dans le fond d’un fossé, ne douta pas que c’était la bête de chasse ; il se mit à « tututer » d’une pibole frénétique et à pousser des « Vlôo » comme un vrai piqueux ! Il fit tant que M. de Puyperdu accourut, écouta les explications du garde, mais, entendant ses chiens s’éloigner à faux vent dans une tout autre direction, le laissa là après quelques paroles bien senties, qui n’étaient certainement pas des compliments.

Constant se reprit pourtant vite, il avait un bon caractère et n’était pas de ces gens « qui chasse le contre » à la première observation. Il se plaça sur la voie, put arrêter et coupler les deux chiens qui chassaient encore, les autres ayant rallié le gros de l’équipage.

Ce brave garde avait « la foi qui soulève les montagnes » ; déjà il avait oublié les guirlandes tressées par M. Horace ; n’avait-il pas la chance d’entendre avec une magnifique netteté la musique enivrante de la bonne meute en plein bien-aller ? Ce sauvage concert de cris, où se mêlent en un tout si harmonieux, cependant, les récris des grands hurleurs, les trémolos des hurleurs légers, scandés par les coups de cloche d’une gorge hautaine de cogneur ou par quelques voix sombres en faux-bourdon qui semblent marquer la mesure ; et puis ces trompes au ton de chasse entraînant qui éclatent, soupirent ou ronflent dans leur tayaut triomphant.

Si, presque à toutes sortes de chasses, les derniers instants qui précèdent la prise sont des plus émotionnants, à la chasse du sanglier surtout ce sont souvent des moments d’une prenante grandeur et qui électrisent les plus blasés.

Nous y étions arrivés ; le pauvre ragot, étouffé par le train des terribles poitevins, s’était jeté dans des enceintes très fourrées, espérant reprendre haleine, et il s’y faisait battre, trottinant comme un lapin ; aussi c’était un à-vue continuel, et les chiens se récriaient comme des furieux, tandis que le jeune piqueux, en queue de la meute comme il se doit, sonnait l’hallali courant à s’en déchirer la gorge.

Mais le sanglier se mit au ferme, il bourra quelques poitevins plus téméraires que les autres et en blessa deux. C’est alors que M. Horace, apercevant Constant qui accourait, rouge et suant, eut pitié du brave homme et, regrettant de l’avoir secoué un peu durement tout à l’heure, l’appela et lui demanda de servir au fusil son animal. Voilà comment ces veneurs à tête chaude, mais à bon cœur, savent se faire aimer de ceux qui les entourent.

Et le garde fut ravi comme vous le pensez ; très adroitement, il mit une balle derrière l’écoute du goret, ce qui le fit s’écrouler devant les chiens, qui le pillèrent à belles dents.

Mais le soir, en retraitant, pendant que son valet Saute-au-Bois sonnait ses plus allègres fanfares, M. de Puyperdu composait une « Prière à saint Hubert », qu’il dédiait mentalement aux gardes, et aussi à tous ceux qui, de près comme de loin, peuvent prendre part à un laisser-courre : « O saint Hubert, mon grand Patron, toi qui fut si miraculeusement touché de la grâce, accorde à tous tes disciples un peu de ta merveilleuse clairvoyance, mais surtout donne-leur à tous moments, et dans toutes les circonstances de la chasse, une parfaite sérénité dans le silence absolu et complet, et délivre-nous des enthousiastes. Ainsi soit-il. »

Guy HUBLOT.

Le Chasseur Français N°612 Février 1947 Page 372