Dès avant la guerre, j’avais constaté, non sans regret, que
le merle devenait de plus en plus rare dans le département de la
Charente-Maritime et qu’on pouvait, à brève échéance, en prévoir la disparition
à peu près complète.
Je me suis souvent demandé quelle pouvait bien en être la
cause. Je sais bien que, le gibier se raréfiant de plus en plus, le merle était
pourchassé par la plupart des chasseurs, dont le nombre augmentait d’année en
année ; pour les jeunes chasseurs surtout, les merles et les grives
formaient le fonds de la chasse, et je n’étais pas éloigné de croire que c’était
là la principale cause de la disparition de notre charmant oiseau.
Mais, s’il en avait été ainsi, le répit que lui a apporté la
guerre aurait dû lui permettre de se reproduire en paix et de retrouver son
abondance d’autrefois ; or il n’en est rien.
Après l’autre guerre, en effet, ce modeste gibier
pullulait ; bien rares étaient les buissons, les haies, les vignes au
moment des vendanges qui n’en renfermaient pas quelques spécimens, et, lorsque,
au début de l’automne, la chasse en plaine n’offrait plus, pour le chasseur de
chasse banale au chien d’arrêt, qu’un médiocre intérêt et que celle au bois
manquait d’attrait, la dame au long bec n’étant pas encore arrivée, je ne dédaignais
pas la chasse aux merles et aux grives, chasse qui, au point de vue du tir, ne
le cède en rien à celle de tout autre gibier.
Et, au risque de scandaliser certains de mes confrères en
saint Hubert, je dirai même que je dressais mes chiens à cette chasse, dressage
peu compliqué, il est vrai : lorsque j’arrivais auprès d’un buisson ou
d’une haie, mon chien, que j’avais au préalable mis aux talons sur un signe du
bras, passait de l’autre côté et faisait sortir l’oiseau du mien, et ce n’était
pas sans un retentissant tiouc ! tiouc ! tiouc ! que notre
oiseau se mettait à l’essor et filait comme une flèche ; il n’y avait plus
qu’à lui envoyer son coup de fusil ; il faut reconnaître que, si le vol du
merle est rapide, il s’opère en ligne droite et n’offre pas une grande
difficulté ; je n’en dirai pas autant de la grive, dont le tir, à mon
avis, est aussi difficile que celui de la bécassine.
Chasser la grive au cul levé, dans les vignes, aussitôt les
vendanges, est un exercice que je recommande aux jeunes chasseurs pour se faire
la main, et, quand ils réussiront ce tir d’une façon passable, ils auront le
droit d’être classés au nombre des « bons fusils ».
Malheureusement, il en est des grives comme des merles,
elles se raréfient de plus en plus. À quoi attribuer, cette disparition ?
Je ne vise pas les grives, qui, pour nous, sont un gibier de passage, je ne
m’occuperai que du merle, gibier sédentaire par excellence.
J’ai fait une petite enquête en différents points de notre
département ; la plupart des chasseurs, fort perplexes, qui, comme moi,
ont constaté cette disparition, ne se l’expliquent pas ; plusieurs,
cependant, accusent l’écureuil ; or, si l’écureuil s’est, il est vrai,
multiplié dans notre département, il existe, par contre, de nombreux coins où
il est totalement inconnu ; or, dans ces coins-là, il n’y a pas plus de
merles qu’ailleurs. Alors ? ...
Je crois plutôt que cette disparition est imputable aux
pies, qui, elles, sont partout fort nombreuses et sont très friandes des œufs
des petits oiseaux en général et plus particulièrement de ceux du merle.
Fort intrigué par les allées et venues de nombreuses pies
dans une haie située en bordure des marais (marais gâts), non loin de chez moi,
je résolus d’exercer une surveillance sur cette haie et j’ai pu constater que,
des trois nids de merles qui y avaient été édifiés, aucun n’avait réussi.
Étant un jour à la recherche des « mousserons
d’avril », j’entendis, dans un coin de bois, un véritable vacarme dû aux
dames « Margot », qui allaient jusqu’à se battre entre elles ;
m’étant approché, je découvris un nid de merle ; des coquilles d’œufs
toutes fraîches tombées du nid indiquaient sans aucun doute possible que ce nid
venait d’être pillé par ces horreurs de bêtes.
Il serait intéressant de savoir :
1° Si, dans les autres départements, notre gentil merle est,
comme dans le nôtre, en voie de disparition ;
2° Quelle en est la cause ;
3° Quels moyens employer pour enrayer cette disparition.
Et je me permets de mettre Le Chasseur Français à
contribution pour mener à bien ma petite enquête.
Merci à tous mes confrères en saint Hubert qui voudront bien
y contribuer par leurs renseignements et leurs suggestions.
Un vieux Chasseur, Rochefort.
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