Le voyage à bicyclette n’est guère pratiqué ;
l’enthousiasme que manifestent quelques milliers de cyclotouristes pour cette
façon de prendre leurs vacances ne doit pas nous faire illusion ; car ils
constituent une minorité infime par rapport aux millions de possesseurs d’une
bicyclette qui ne s’en servent que pour aller à leur travail ou faire de
petites promenades. Le fait est d’autant plus regrettable que le voyage à
bicyclette à travers la France aux innombrables routes est une des distractions
les plus saines, les plus agréables et les plus instructives qui soient.
Pour comble de malheur, on constate que le cyclotourisme
pérégrinant, qui, avant guerre, semblait en progrès lent, mais continu, va
aujourd’hui déclinant, faute de faire des recrues parmi les jeunes gens ;
ses pratiquants actuels sont presque tous des « anciens » restés
fidèles au plaisir de leur jeunesse. Les « moins de vingt-cinq ans »,
s’ils ont le goût de voyager, méprisent le cyclisme ; ils lui préfèrent la
marche sac au dos et le camping.
Les dirigeants et les apôtres du cyclotourisme sentent bien
la nécessité de convertir les jeunes gens à la pratique des longues excursions.
Ils pensent que c’est par ignorance des agréments et des commodités du voyage
cycliste qu’on a si rarement l’idée de l’entreprendre. Par conséquent, le
développement du grand cyclotourisme est affaire de propagande auprès de la
jeunesse.
Nous avons dit qu’un des bons moyens de réaliser cette
propagande était l’organisation de ces nombreux brevets, rallyes, épreuves de
côte, dont le caractère sportif plus ou moins avoué avait pour effet d’amener
des jeunes gens à faire partie de clubs cyclotouristes ; une fois enrôlés,
il ne s’agit plus pour les anciens que de les engager et habituer aux
randonnées et voyages.
Je suggère un autre moyen de propagande qui, me semble-t-il,
serait efficace. Ce serait l’organisation, par les sociétés de cyclotourisme,
de voyages de jeunes gens, et même d’adolescents, faits en groupe sous la
direction d’un cyclotouriste « chevronné » ; car la crainte de
l’aventure, des incidents de route, des difficultés de logement, est pour
beaucoup dans l’abstention des jeunes gens ; à quoi s’ajoute, pour les
grands enfants de treize à quinze ans, le refus des parents de les laisser
vagabonder sans contrôle.
Il faudrait organiser des voyages analogues à ceux qu’aux
environs de 1850 le savoureux écrivain suisse Topffer faisait faire à pied,
pendant les vacances, aux jeunes élèves dont il avait la charge, car il était
instituteur. Ces excursions annuelles, réunissant de douze à vingt
participants, menées à travers les grandes vallées et hauts cols des Alpes,
sont admirablement relatées, commentées et illustrées dans Les voyages en
zigzag, de Topffer. Cet ouvrage, qui date pourtant de près d’un siècle, donne
nombre d’excellentes idées sur la façon d’initier à la pratique et aux plaisirs
du voyage par étapes une joyeuse et alerte compagnie d’adolescents. Il ne
s’agirait que d’adapter la façon de faire de Topffer aux nécessités techniques
du cyclisme et à ses avantages sur la marche à pied.
Parmi les cyclotouristes, dont beaucoup sont aussi
expérimentés que zélés, ne trouverait-on pas quelques chefs de groupe dont le
prosélytisme s’emploierait volontiers à diriger un beau voyage cycliste, d’une
quinzaine de jours, effectué par une douzaine de jeunes gens ? Si cela
peut se faire — après étude et discussion des détails d’organisation,
— ne serait-ce pas le meilleur moyen de révéler les joies du grand
cyclotourisme à des néophytes qui deviendraient ainsi, pour toujours, des
pratiquants résolus et fidèles ?
Dr RUFFIER.
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