Après une trêve de dix ans (puisque les derniers Jeux
Olympiques remontent à 1936, à Berlin), la paix, qui s’installe malgré tout peu
à peu, comme le printemps succède inéluctablement à la tristesse de l’hiver,
nous ramène aux vieilles traditions des jours heureux. Et l’on s’occupe
activement de la préparation des prochains jeux, qui se tiendront en 1948,
vraisemblablement à Londres.
Aussi revient-on au classique « marathon », qui,
rappelons-le pour les profanes, se court sur une distance d’un peu plus de 42 kilomètres,
qui fut celle de la course fameuse que parcourut le célèbre soldat pour porter
à son chef un message dont dépendait la victoire de son pays, et qui tomba mort
d’épuisement au moment même où, parvenu au but, il avait rempli sa mission.
Si l’on doit admirer le courage militaire de ce soldat de
Marathon, je ne crois pas qu’on puisse le citer en exemple comme coureur à
pied, car l’issue malheureuse de sa performance semble démontrer qu’il n’a pas
su calculer son effort, comme un champion doit le faire. Nous ignorons
d’ailleurs le temps qu’il a mis pour couvrir la distance et nous n’avons aucune
ligne de comparaison entre son record et celui de nos champions actuels.
Je ne crois pas non plus que les courses sur cette trop
longue distance aient leur intérêt au siècle de l’avion, ou plus simplement de
la bicyclette, ni qu’elles soient recommandables. Elles ne démontrent que la
capacité de résistance de l’homme à la fatigue ; et, pour calculer
celle-ci, il est d’autres moyens que de telles performances qui ne sont pas
sans inconvénients pour notre organisme. Mais, sur le plan sportif, elles ont
beaucoup moins d’intérêt, pour cultiver et pour mettre en vedette la valeur
athlétique de la machine humaine, qu’un 100 mètres ou qu’un cross-country
sur une distance raisonnable (12 à 15 kilomètres).
Mais, puisque cette épreuve est maintenue dans le programme
olympique, et qu’il nous faut faire face à nos engagements, ne serait-ce que
pour ne pas faire abstention là où se confronteront des coureurs venus des
quatre coins du monde, le moment est venu de résumer ici quelques
considérations sur cette épreuve, très différente, dans sa technique et dans sa
préparation, des courses de vitesse ou même d’un 5.000 mètres.
Notons en passant que, sur les très longues distances, les
Français ont été souvent à l’honneur, et que les épreuves de grand fond
comptent au palmarès international les noms de plusieurs de nos compatriotes.
Il y a trente ans, Cibot, Orphée Louis Bouchard, Saint-Yves ont dominé le lot
international. Plus récemment, l’Algérien El Ouafi se classa premier au
marathon des Jeux Olympiques d’Amsterdam de 1928. Sans doute parce que le
Français a pour qualités essentielles l’obstination et le courage, et que nos
athlètes nord-africains sont habitués aux grandes randonnées et à la résistance
à la chaleur.
* * *
Pour être un champion de marathon, il ne suffit pas d’avoir
de la classe et des qualités athlétiques. Je serais même tenté de dire que ces
qualités, en l’occurrence, sont superflues, sinon défavorables. Il faut surtout
un courage à toute épreuve, savoir souffrir et résister à la chaleur, car vous
pensez bien que jamais on n’a vu une fédération faire courir un marathon à une
autre saison qu’en plein juillet !
Ces conditions requises, le problème essentiel consiste dans
la préparation, qui est progressive, et qui s’étend sur plusieurs mois. Dans
cette épreuve de nature exceptionnelle, le rôle du médecin sportif et de
l’entraîneur est délicat. Il mérite certaines précisions.
Le gros danger pour les coureurs de fond est l’intoxication
par l’urée, l’acide lactique, le gaz carbonique, les acides aminés. C’est
toujours dans les derniers kilomètres (tout comme dans les dernières heures du
Bol d’Or ou des Six Jours cyclistes) qu’elle se manifeste, comme si cette
distance de 42 kilomètres représentait pour l’homme normal la limite
accessible (au train habituel de 14 à l’heure environ). Elle se manifeste par
des crampes, des ankyloses, des œdèmes, de la dyspnée toxique, des nausées,
puis des vomissements.
Dorando, aux Jeux de Londres, en 1912, ayant plusieurs
minutes d’avance à l’entrée du stade, eut tant de peine à finir les 150
derniers mètres qu’il s’effondra par trois fois et termina soutenu par les
épaules et, de ce fait, fut disqualifié.
Hans Kohlemanen (Anvers 1920), à 2 kilomètres de
l’arrivée, a quatre minutes d’avance. Il gagne par 40 mètres, ses jambes
pouvant à peine le soutenir.
Mais, à Amsterdam (1928), El Ouafi arrive frais dans sa
foulée et se promène dans la rue le lendemain. Avec Spitzer, nous lui avions
fait suivre le régime suivant, qui, depuis lors, s’est avéré rationnel dans de
nombreux cas : cesser tout entraînement sérieux six jours avant l’épreuve
(deux petits « trottings » seulement la dernière semaine)
— lait, fruits, poisson maigre, exclusivement. Auquel il convient
d’ajouter (toujours dans la dernière semaine) 50 centigrammes par jour d’Uroformine
et 20 gouttes de Solucamphre éphédriné. La température d’El Ouafi à
l’arrivée n’était que de 37°,6, alors que souvent, en pareil cas, elle dépasse
39°. Ce qui démontre d’ailleurs la stupidité de semblables épreuves, alors que
le programme olympique pourrait fort bien s’en passer.
Après la course : massage et bains de vapeur.
* * *
Chaque sport, chaque catégorie d’athlètes comportent une
préparation et une hygiène qui leur sont propres, sur lesquelles nous
reviendrons dans cette rubrique. Alors que les entraîneurs de chevaux utilisent
et apprécient depuis longtemps ces méthodes, il est effarant de constater que
l’hygiène du sport et sa technique n’intéressent chez nous qu’un petit nombre
très limité de spécialistes, et que, sur des dizaines de millions que chaque
année l’on prodigue pour l’amélioration de la race chevaline (et des bénéfices
du P. M. U.), on ait attendu si longtemps pour en accorder quelques
miettes à la mise au point de l’entraînement et de la technique, lorsqu’il
s’agit de notre jeunesse sportive.
Robert JEUDON.
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