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Sports nautiques

Le « Grondin »

Si le bateau idéal existait, ce serait le « grondin », bateau à coque de type unique, mais à solutions multiples pour les aménagements, le gréement, la dérive. Ce voilier de mer rappelle par ses formes le doris et la bette marseillaise. Il a 6m,60 de long pour une largeur maxima de 2m,20 et un poids d’une tonne. Il a été conçu pour être construit par des amateurs dans les meilleures conditions possibles d’économie et de facilités d’exécution, tout en présentant de solides qualités marines pour faire face éventuellement à un coup de vent d’été.

Pour un même type de coque, on peut choisir entre trente-deux solutions ; voilà de quoi satisfaire les plus exigeants. L’importance de la cabine va décroissant suivant que le bateau est destiné à la croisière, au week-end, au camping ; pour la pêche, la cabine disparaît. Parallèlement, le cockpit croît en dimensions. Deux types de gréement possibles : marconi avec mât de 9 mètres de haut, ou houari avec mât de 6m,50 pour une même surface de voilure de 18m2,50, surface suffisante pour donner un bateau relativement rapide. Signalons enfin deux types de dérives, dérive sabre et dérive pivotante, et deux types de quilles, un fin haut et un fin bas donnant respectivement 0m,90 et 0m,60 de tirant d’eau.

Quelques explications semblent ici nécessaires pour éclairer ce langage que certains jugeront hermétique. La dérive sabre est une lame de tôle rectangulaire qui coulisse dans le puits de dérive : elle est haute mais étroite, ce qui évite de couper les couples de la charpente. La dérive pivotante tourne autour d’un axe. Ses plus grandes dimensions exigent un puits plus important et un peu plus compliqué à construire. Par contre, elle offre l’avantage de se soulever d’elle-même en touchant un fond. Le fin haut est une quille fixe en forme d’aileron, profonde mais étroite comme la dérive sabre, alors que le fin bas est une quille de moindre tirant d’eau mais plus longue, puisqu’elle va de l’avant à l’arrière du bateau. On peut prévoir en outre un petit moteur hors-bord, qui trouvera place à l’arrière du cockpit. La construction est à angles vifs, solution qui semble avoir la préférence de la majorité des amateurs, bien que, tout compte fait, les avantages sur la construction en formes soient bien minces.

J’ai vu, cet été, évoluer des grondins et je dois dire qu’ils avaient une allure fort honorable, bien que toutes ces unités aient été construites par des amateurs improvisés charpentiers de marine. La tribu des grondins est nombreuse et active. Il y a une association des propriétaires de grondins qui réunit les amateurs de cette série et qui, par l’intermédiaire d’une véritable coopérative d’achats, groupe les commandes et procure dans les meilleures conditions des éléments préfabriqués : membrures, étraves, tableaux, gréements, voilures.

Les pièces principales étant ainsi débitées, l’amateur n’a qu’à effectuer le montage de la charpente. Les bordés sont tous semblables, ce qui évite le brochetage, et ils peuvent être posés sans être étuvés. La râblure a été supprimée. L’association peut fournir toute la charpente préfabriquée (étrave, fausse étrave, brion, tableau et courbe de tableau) pour la somme de 6.390 francs (prix donné en septembre dernier). Elle peut fournir également toute la visserie nécessaire à la construction et la plus grande partie de la quincaillerie pour le gréement du bateau. La construction pour un amateur doit représenter environ un millier d’heures de travail. Quant au prix global approximatif de tous les matériaux, il est assez difficile à évaluer, car les cours varient très sensiblement, mais il ne doit pas dépasser 70.000 francs, alors que les chantiers demandent, pour des bateaux de même type, 180 à 200.000 francs.

« ... Si le bateau idéal existait, ce serait le grondin », écrivais-je au début de cette causerie. On sait que le bateau idéal, le bateau à tout faire, ça n’existe pas. Le grondin, en essayant de concilier des choses inconciliables — je veux dire la standardisation de la construction et le particularisme des amateurs, prête, on s’en doute, le flanc à la critique. On conçoit mal une même coque avec une dérive et avec une quille lestée. Il faudrait que le même lest existe sur les varangues du dériveur. Son efficacité serait bien moindre, puisque plus haut. Si cela est suffisant pour la sécurité, pourquoi la quille lestée ? Si cela ne l’est pas, il faudrait que le dériveur soit plus large. J’ai soumis ces critiques à M. Doliveux, qui préside aux destinées de l’association, et il m’a répondu que cet inconvénient n’avait qu’une importance secondaire en raison de la stabilité de formes très grande qui assure un couple de redressement suffisant. L’avantage du lest placé sur le fin bas est que le bateau roulera beaucoup moins qu’avec une dérive pivotante.

On pourrait aussi critiquer cette dernière, qui porte à peine sur la quille dans sa position abaissée et qui risque de la démolir ou de se tordre. Mais soyons moins sévères que les puristes de l’art naval. Les temps sont durs ; il a fallu composer avec eux et en tenir compte pour établir le compromis qu’est cette unité. Les jeunes que j’ai rencontrés cet été à bord de ce bateau rayonnaient d’une joie si ardente, d’un tel bonheur de vivre leur magnifique croisière, qu’ils ne m’ont pas donné un seul instant l’impression d’une quelconque déception. Tous, d’ailleurs, se sont montrés absolument ravis de leur petit grondin.

A. PIERRE.

Le Chasseur Français N°612 Février 1947 Page 391