Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°612 Février 1947  > Page 404 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

La mode de Paris

Rétrospective ou évolution ?

Les collections que viennent de nous soumettre quelques couturiers, en attendant les grandes collections de printemps, nous donnent un aspect très exact de la mode que nous verrons surgir dès les premiers beaux jours. À vrai dire, la mode, cette capricieuse déesse, est plus sage que nous ne le croyons habituellement ; elle fait peu de révolutions, mais, par lentes et normales évolutions, passe sans heurt d’un style à l’autre, d’une ligne à l’autre, ce qui nous permet de porter sans ridicule une toilette d’une saison passée, si cette toilette a été créée dans un sage et modéré classicisme.

   

Lucile MANGUIN : tailleur d’après-midi en lainage noir dont la basque est ouverte sur le bas du gilet de velours vert discrètement brodé d’argent. Béret de feutre vert de Lucile MANGUIN.

 

WORTH : un beau tailleur sport se composant d’une jaquette de velours anglais bordeaux et d’une jupe grise ; chemisier blanc. Feutre bordeaux de Maud ROSER.

 

Les coiffures montées en édifice ont cessé de plaire. Voici une coiffure du maître coiffeur POURRIÈRES, très typique de la mode actuelle : boucles plates faisant la tête petite et chignon de natte ou de torsade sur la nuque.

On a beaucoup parlé, depuis un an environ, de « rétrospective ». Rétrospective 1900, médiévale, premier Empire, 1880, voire même antique. Si, tout d’un coup, nous sortions avec la robe de la Parisienne de l’Exposition, celle d’Agnès Sorel, de Joséphine de Beauharnais, de Fanny Legrand, ou avec la tunique de la victoire de Samothrace, nous serions bel et bien et tout bonnement déguisées ! Si, chez un couturier, nous nous exclamons : « Mais c’est du pur 1900 », nous devrions dire bien plutôt : « C’est du meilleur 1947 », avec tout ce que la couture de notre époque comporte de dépouillé, d’exact dans sa ligne, de précis dans son ajustement, d’harmonieux dans ses détails.

Pourquoi les femmes d’aujourd’hui ont-elles, à l’unanimité, adopté les couleurs sombres ou douces ? C’est parce qu’elles ont, pour animer leur uniformité, les si jolis chapeaux nuancés que nous aimons tant, tout égayés de l’éclat des fleurs, des oiseaux, des plumages chatoyants ; les gants de tons ravissants, qui s’assortissent aux sacs, aux parapluies, aux souliers, aux blouses et qui renouvellent si joliment, par leur variété, une toilette sobre et unique, un tailleur, sont, eux aussi, d’un précieux secours !

Des dernières collections vues, nous pouvons conclure à une vogue continue des « ensembles », robes-chemisiers, tailleurs ou deux-pièces sous des manteaux amples, aux entournures kimono ou raglan, aux vastes godets, plus nombreux que les manteaux droits du genre paletot ; à un renouveau de la canadienne, qui semblait un peu abandonnée ces derniers temps, canadienne très ample, fermée dans le dos par de gros boutons chez Jacques Fath et faite, le plus souvent, en velours côtelé dont les côtes sont employées en largeur.

Il est à prévoir également une nouvelle offensive du bleu marine garni sobrement de piqué blanc, mode printanière, jeune et charmante par excellence, et, sur les petites robes noires ou marine, du petit paletot de couleur tranchante.

Pour l’après-midi, la robe-manteau, ou plutôt une sorte de compromis entre la redingote et la robe-manteau, aura certainement du succès, fermée de côté par un mouvement asymétrique jeté de droite à gauche et terminé à la jupe par un coquillé en biais fort élégant.

La ligne droite reste celle des tailleurs, mais certains couturiers gardent à la robe une ligne souple et mouvante, ou bien une ligne droite sur laquelle bougent des tabliers, des coquillés, des écharpes tombantes ou drapées, des pans, des tuniques.

Pour les robes du soir, la lutte continue, courtoise, entre les robes droites, drapées autour du buste et des hanches, et les robes de style ; les premières sont, le plus souvent, montantes et à manches longues, les autres largement décolletées, en bateau, asymétriquement, avec une seule épaule couverte ou sans aucune bretelle, sauf pour les jeunes filles, pour qui la robe de style fermée, romantique, reste exquise.

Sur les robes de style en satin ou en dur taffetas noirs, nombreux sont les corselets, les hautes ceintures drapées, et même les corsages entiers en satin clair et brillant : ocre, beige doré ou tourterelle, rose ancien, dragée, cyclamen ou gris-argent ; les longs gants, très souples sur le bras, exécutés en ce même satin, sont un raffinement très élégant. Pour un cortège, une belle robe noire ou de teinte sombre, prune, fumée, nègre ou bleu de nuit, portée avec un chapeau garni de crosses ou de paradis parme, cyclamen pâle ou gris-perle, et gants assortis en satin serait une toilette de très grande classe.

G.-P. DE ROUVILLE.

Le Chasseur Français N°612 Février 1947 Page 404