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Grande et petite vénerie

À part quelques initiés, la majeure partie des Français serait bien en peine de donner une exacte définition de la vénerie. Le terme de chasse à courre évoque déjà, pour la plupart, une foule d’idées fausses, dont une vaine littérature est la cause.

Il est facile de parler de ce que l’on ignore, surtout si le poncif et l’imprécision viennent au secours de l’écrivain, qui sort alors les clichés les plus usés pour attendrir les âmes délicates sur les « cruautés » de la chasse à courre, les « limiers au mufle sanglant », les « pleurs du cerf à l’hallali » — j’en passe et des meilleurs ... — toutes choses qui ne signifient rien et n’ont jamais existé que dans l’imagination débordante de sous-littérateurs en mal de copie.

La vénerie est un art essentiellement français et nous sommes fiers de le revendiquer.

L’homme est né chasseur ; c’était un besoin absolu dans le début de son existence : il devait tuer pour manger. La civilisation en a fait un veneur ; en effet, si s’emparer, par tous les moyens, d’un animal est la manifestation brutale de la nécessité et de l’instinct, la vénerie, au contraire, est un sport de civilisé puisque l’on fait de l’art pour l’art.

Prendre sans l’aide d’armes, de jet, de rets, de pièges, de traquenards ou d’armes à feu, avec seulement le concours de chiens, dont la vitesse effective est nettement inférieure à celle de la bête de chasse, voici le problème que doit résoudre le veneur et ce sont les règles immuables de cet admirable déduit, plusieurs fois centenaires, qui en apportent la solution.

La vénerie étant un art, le veneur est un artiste — et un croyant.

Savoir juger un chien, utiliser ses qualités — et parfois ses défauts ... — lui faire tenir dans la meute la place qui permettra à l’équipage cette magnifique cohésion, gage du succès ; ne rien ignorer de la vie et des ruses des animaux sauvages, juger une bête de chasse par l’empreinte de son pied sur les feuilles ou dans la boue, les branches cassées ou l’herbe foulée, voici l’œuvre du veneur.

Une éducation première, aidée par l’ambiance d’un milieu de fanatiques et de professeurs, les qualités héréditaires d’une lignée d’hommes nés et ne vivant que pour la vénerie, arrivent à façonner le néophyte afin qu’il devienne, par la pratique, un véritable maître d’équipage. Il y a aussi de ces prédestinés marqués dès le berceau du sceau de saint Hubert, de ces êtres qui possèdent du premier coup ce génie de la chasse, dont les manifestations sur le terrain plongent le profane dans l’admiration.

Il est de bon ton, dans les milieux adversaires de la vénerie, d’en faire uniquement l’apanage d’une minorité qui serait, en quelque sorte, les seuls héritiers de privilèges ancestraux et cela aux dépens du reste de la nation.

Et pourtant, la vénerie est le plus démocratique des sports. Du maître d’équipage au dernier bûcheron, qui suit sur un vélo préhistorique et disloqué, la foule assistant à un laisser-courre peut y prendre un même plaisir : il suffit de posséder l’âme d’un veneur : nous l’avons vu bien souvent.

Du reste, est-il un nabab le chasseur qui, à pied, la trompe en sautoir et le fouet dans la main, s’en va, suivi de cinq ou six couples de chiens courants, pour chasser un lièvre ?

Pourtant, c’est un veneur, un veneur modeste, mais un veneur tout de même.

La chasse à courre du lièvre est une des plus classiques. Louis XV, dans sa jeunesse, dut chasser lièvre avant qu’on lui permît de courre des cerfs, car, dans l’ancienne vénerie, on considérait, avec raison, que lorsque l’on pouvait prendre un lièvre à courre, on pouvait forcer tous les autres animaux et que l’on devait prendre ses grades, fût-on roi.

Cette chasse, pleine de finesse, était pratiquée en France, avant la guerre, par de nombreux petits équipages. Autrefois, lorsque le manque de moyens de communication cantonnait les espèces dans des espaces bien déterminés, les races changeaient avec le pays ; dans le Midi, la majorité des équipages était formée avec des Ariégeois, des Bleus de Gascogne, puis des chiens de Saintonge, tous sous livrée bleue ou blanche et noire ; un peu plus loin, on rencontrait les Vendéens, griffons au poil hirsute, blanc et orange pour la plupart ; dans le Centre : les Céris, blanc et orange aussi, mais à poil ras ; les Griffons nivernais, noir et feu, puis les Artésiens tricolores et les Porcelaines de Franche-Comté, blanc et orange ; chiens du Poitou, chiens Normands ou griffons fauves de Bretagne, sans oublier les chiens de races anglaises : Harriers, Beagles-Harriers ou Beagles et ceux issus des croisements de nos races avec ces derniers et qui formaient ces meutes d’anglo-français de petite taille, très propres elles aussi pour courre le lièvre.

Pour l’avoir constaté bien des fois, il est peu de Français qui ne soient empoignés par la vue d’une meute en plein bien-aller ; la musique harmonieuse des chiens, l’allègre fanfare des trompes, les cris des veneurs, cette cohésion entière dans le décor de la campagne d’hiver, cette campagne grise et si joliment poétique qu’ignorent les citadins, tout cela réveille au cœur les plus blasés ou des plus indifférents cet amour de la vénerie que nous possédons tous en puissance.

C’est aussi suprêmement élégant, puisque l’on chasse, je l’ai déjà dit, pour l’amour de l’art, la bête prise devenant la proie des chiens, dont c’est la récompense.

Et dans la splendeur du jour qui meurt se déroule le cérémonial, imposant dans sa simplicité, de la curée, avec l’accompagnement de ses rituelles fanfares et de ses usages, dont certains remontent à Charles IX.

Ne croyez-vous pas que cela mérite de survivre en France ?

Les veneurs ne sont donc ni des milliardaires snobs, ni des hommes aux instincts cruels ou sauvages ; ce sont tout simplement des sportifs comme les chasseurs à tir ou les pêcheurs à la ligne ; traditionalistes, ils possèdent aussi cet amour inné des usages d’autrefois, hommes de bon ton et de bonne compagnie, avec l’esprit cavalier et les façons de leurs pères. Ils ont aussi quelques défauts, héritage probable de leurs ancêtres gaulois, ces premiers veneurs, mais, comme disait certaine marquise : « Moi, j’adore ces hommes-là ... »

Guy HUBLOT.

Le Chasseur Français N°613 Avril 1947 Page 420