Accueil  > Années 1942 à 1947  > N°613 Avril 1947  > Page 425 Tous droits réservés


Le « CHASSEUR FRANÇAIS » sollicite la collaboration de ses abonnés
et se fait un plaisir de publier les articles intéressants qui lui sont adressés.

Pillage

J’écris ces lignes pour tous les chasseurs qui les liront, bien sûr. Je les écris, surtout, pour ceux qui les ont inspirées et qui, j’en suis certain, auront vite faite de reconnaître que c’est d’eux que je veux parler.

On est écœuré d’entendre ce que j’ai entendu ces jours-ci, en un pays où la chasse est le sport roi, où elle est une véritable passion et, pour tous, un sujet constant de conversation, surtout à l’époque où j’écris, c’est-à-dire à quatre mois de l’ouverture prochaine. Eh bien ! dans ce pays où tout le monde est chasseur et où le gibier est relativement abondant par rapport à d’autres et devrait même être surabondant et pulluler en raison de la nature du terrain, le laisser-aller est tel et l’indiscipline si grande, que le gibier est détruit en grande partie non pas, surtout, pendant la période de chasse, ce qui serait normal, mais avant la chasse.

Comment ? D’abord par les chiens. La plupart des chasseurs vignerons emmènent leur chien, ou leurs chiens, aux vignes ; pendant qu’ils travaillent, les chiens rôdent et s’en donnent à cœur joie, attrapant de temps à autre un lapin au gîte, ce qui ne serait rien, mais aussi déterrant une portée ou tombant sur une couvée de perdreaux où la mère est prise sur le nid et les œufs dévorés. Quand la scène se passe non loin du travailleur et qu’il s’en aperçoit, croyez-vous qu’il vient vite s’interposer pour limiter les dégâts ? Au contraire ; et au lieu d’être le chien, c’est le maître qui emporte le gibier pour faire un civet ou un rôti et les œufs pour une omelette lorsqu’ils ne sont pas encore couvés. C’est comme je vous le dis ; et ceci se passe à peu près chaque jour.

Puis, ce sont les pièges. Dans la commune dont je veux parler, il y a bien, paraît-il, au moins cent cinquante pièges à lapins tendus chaque soir ; l’un en place deux, l’autre un, l’autre quatre, etc. ... Et le matin, ce sont quarante à cinquante lapins qui sont ainsi ramassés, sans compter, de temps en temps, quelque lièvre. Faites le compte sur une année. Faites aussi le compte de tout ce que les lapins capturés auraient pu donner comme descendance, vous serez effrayés des dégâts commis, plus grands, certes, que ceux commis par les fusils durant la chasse.

Il y a, je sais bien, parmi ceux qui se livrent à ce petit jeu, pas mal de non-chasseurs. Malheureusement il y a, aussi, beaucoup de chasseurs. Se rendent-ils compte de ce qu’ils font ? Je sais bien aussi que la chasse, c’est avant tout la capture du gibier : croyez-vous que cela seul compte pour le vrai chasseur ? La recherche du gibier, le travail du chien, le beau coup de fusil, l’émotion devant la belle pièce qui dégringole ou culbute, le rapport, c’est encore mieux, à mon avis, que le gibier dans le sac. Alors, quel plaisir à ramasser un lapin au piège ou un perdreau au lacet ; d’attraper à la main quelques malheureux pouillards pouvant tout juste courir quelques mètres ou un pauvre levraut d’une livre ; ou même de ramasser des œufs de perdreau pour faire une omelette ? Je dis que ceux qui se livrent à ces pratiques ou qui les laissent faire sont indignes du nom de chasseurs.

Et j’appelle ça du pillage. Je ne comprends pas que les vrais chasseurs, les chasseurs consciencieux, honnêtes et intelligents, puissent supporter de pareilles choses. On n’y peut rien, dit-on. Les gardes départementaux ne peuvent être partout ; une fois, deux fois dans l’année et c’est tout. Quant aux gardes bénévoles, n’en parlons pas, car il en est qui sont les pires braconniers. Alors ? Alors, tout de même, on ne me fera pas croire que sur les trois cents chasseurs, par exemple, d’une commune, tous se livrent à ce jeu de massacre. Mettons qu’il y en ait un tiers. Mais les autres, pourquoi ne se débrouillent-ils pas pour faire la police ? Il y a bien, quelquefois, un syndicat : mais combien y cotisent ? Et puis, il existe surtout pour avoir des assurances à meilleur compte ou des munitions au prix de gros. Quant à repeupler, surveiller, sanctionner, c’est bien le dernier de ses soucis.

Tout de même, si les deux cents chasseurs intelligents, vraiment chasseurs et disciplinés, s’unissaient et mettaient seulement 200 ou 250 francs chacun, ils arriveraient à pouvoir payer un garde qui aurait les moyens d’agir. Je sais bien qu’actuellement 40 ou 50.000 francs, ce n’est pas le Pérou. Ce serait, cependant, une bonne aubaine, pour celui qui aurait assez de loisirs pour se consacrer à la surveillance de la chasse. Vous me direz qu’un garde ne peut pas être partout à la fois ; bien sûr. Mais là où il serait, ce serait déjà ça. Et s’il sortait trois ou quatre jours par semaine, un matin là, un soir ailleurs, il y aurait, quand même, je vous assure, du gibier de sauvé. Il ne le serait certes pas tout, mais celui qui le serait, le serait. Et ça ferait quelques nichées, quelques couvées de plus. En outre, les amendes qui seraient mises à la charge des délinquants qui ne tiendraient pas à se laisser poursuivre judiciairement viendraient augmenter son traitement et l’encourager dans son travail. Qu’on ne vienne pas me dire, en levant les bras au ciel, que ce n est pas possible : tout est possible quand on veut et qu’on peut avoir les moyens. Le tout est de vouloir et de ne pas rester indifférent.

Le tableau est-il trop noir ! N’est-ce pas la pure vérité ? Que ceux qui doutent aillent un peu faire un tour au pays que je sais, et ils seront édifiés. Et je ne parle que de ce que j’ai vu sur une commune : mais elle n’est pas l’exception, malheureusement, et il est à présumer que les autres sont atteintes du même mal. Un mal profond, en vérité, car il est ancré au fond de ceux qui en sont atteints par un atavisme puissant ; un mal qui, s’il a toujours existé, a pris, ces dernières années, une ampleur sans précédent, et ce pour diverses raisons : l’interdiction de la chasse la première année de guerre (plusieurs années même dans certaines régions occupées) à laquelle certains enragés chasseurs n’ont pu se soumettre ; les restrictions alimentaires qui ont fait rechercher, par tous les moyens, l’amélioration de l’ordinaire octroyé par le ravitaillement ; l’appât du gain, aussi, pour ceux qui vendaient — et à quel prix. Seigneur ! — le gibier capturé. Et, une fois l’habitude prise, il est dur de s’en défaire.

Tout de même, si on voulait bien, si les chasseurs, surtout, voulaient bien, car ce sont eux les responsables, ayant fait le mal eux-mêmes ou l’ayant laissé faire, on s’en sortirait, on reviendrait au bon sens, à l’honnêteté, à la discipline ; les « mauvais garçons » seraient dénoncés et punis selon leurs mérites et, enfin, on reviendrait à la belle et bonne chasse d’antan.

Saint Jean prêchait dans le désert : il pouvait bien, le pauvre, n’être pas entendu. Mais moi, je prêche devant un million et demi de chasseurs, dont un grand nombre liront ces lignes. Et si je pouvais, par ma faible voix, par ma plume bien modeste, certes, mais combien sincère et convaincue, ramener au bien quelques-uns d’entre ceux tombés dans le péché de braconne, ce serait une grande joie pour moi et un bienfait pour eux et pour tous.

Que quelqu’un m’assure de ce résultat et, en sacrifice à saint Hubert, je laisse filer, en lui présentant les armes, le premier capucin de la prochaine saison.

FRIMAIRE.

Le Chasseur Français N°613 Avril 1947 Page 425