J’écris ces lignes pour tous les chasseurs qui les liront,
bien sûr. Je les écris, surtout, pour ceux qui les ont inspirées et qui, j’en
suis certain, auront vite faite de reconnaître que c’est d’eux que je veux
parler.
On est écœuré d’entendre ce que j’ai entendu ces jours-ci,
en un pays où la chasse est le sport roi, où elle est une véritable passion et,
pour tous, un sujet constant de conversation, surtout à l’époque où j’écris,
c’est-à-dire à quatre mois de l’ouverture prochaine. Eh bien ! dans ce
pays où tout le monde est chasseur et où le gibier est relativement abondant
par rapport à d’autres et devrait même être surabondant et pulluler en raison
de la nature du terrain, le laisser-aller est tel et l’indiscipline si grande,
que le gibier est détruit en grande partie non pas, surtout, pendant la période
de chasse, ce qui serait normal, mais avant la chasse.
Comment ? D’abord par les chiens. La plupart des
chasseurs vignerons emmènent leur chien, ou leurs chiens, aux vignes ;
pendant qu’ils travaillent, les chiens rôdent et s’en donnent à cœur joie,
attrapant de temps à autre un lapin au gîte, ce qui ne serait rien, mais aussi
déterrant une portée ou tombant sur une couvée de perdreaux où la mère est
prise sur le nid et les œufs dévorés. Quand la scène se passe non loin du
travailleur et qu’il s’en aperçoit, croyez-vous qu’il vient vite s’interposer
pour limiter les dégâts ? Au contraire ; et au lieu d’être le chien,
c’est le maître qui emporte le gibier pour faire un civet ou un rôti et les œufs
pour une omelette lorsqu’ils ne sont pas encore couvés. C’est comme je vous le
dis ; et ceci se passe à peu près chaque jour.
Puis, ce sont les pièges. Dans la commune dont je veux
parler, il y a bien, paraît-il, au moins cent cinquante pièges à lapins tendus
chaque soir ; l’un en place deux, l’autre un, l’autre quatre,
etc. ... Et le matin, ce sont quarante à cinquante lapins qui sont ainsi
ramassés, sans compter, de temps en temps, quelque lièvre. Faites le compte sur
une année. Faites aussi le compte de tout ce que les lapins capturés auraient
pu donner comme descendance, vous serez effrayés des dégâts commis, plus
grands, certes, que ceux commis par les fusils durant la chasse.
Il y a, je sais bien, parmi ceux qui se livrent à ce petit
jeu, pas mal de non-chasseurs. Malheureusement il y a, aussi, beaucoup de
chasseurs. Se rendent-ils compte de ce qu’ils font ? Je sais bien aussi
que la chasse, c’est avant tout la capture du gibier : croyez-vous que
cela seul compte pour le vrai chasseur ? La recherche du gibier, le
travail du chien, le beau coup de fusil, l’émotion devant la belle pièce qui
dégringole ou culbute, le rapport, c’est encore mieux, à mon avis, que le
gibier dans le sac. Alors, quel plaisir à ramasser un lapin au piège ou un
perdreau au lacet ; d’attraper à la main quelques malheureux pouillards
pouvant tout juste courir quelques mètres ou un pauvre levraut d’une
livre ; ou même de ramasser des œufs de perdreau pour faire une
omelette ? Je dis que ceux qui se livrent à ces pratiques ou qui les
laissent faire sont indignes du nom de chasseurs.
Et j’appelle ça du pillage. Je ne comprends pas que les
vrais chasseurs, les chasseurs consciencieux, honnêtes et intelligents,
puissent supporter de pareilles choses. On n’y peut rien, dit-on. Les gardes
départementaux ne peuvent être partout ; une fois, deux fois dans l’année
et c’est tout. Quant aux gardes bénévoles, n’en parlons pas, car il en est qui
sont les pires braconniers. Alors ? Alors, tout de même, on ne me fera pas
croire que sur les trois cents chasseurs, par exemple, d’une commune, tous se
livrent à ce jeu de massacre. Mettons qu’il y en ait un tiers. Mais les autres,
pourquoi ne se débrouillent-ils pas pour faire la police ? Il y a bien,
quelquefois, un syndicat : mais combien y cotisent ? Et puis, il existe
surtout pour avoir des assurances à meilleur compte ou des munitions au prix de
gros. Quant à repeupler, surveiller, sanctionner, c’est bien le dernier de ses
soucis.
Tout de même, si les deux cents chasseurs intelligents,
vraiment chasseurs et disciplinés, s’unissaient et mettaient seulement 200 ou
250 francs chacun, ils arriveraient à pouvoir payer un garde qui aurait
les moyens d’agir. Je sais bien qu’actuellement 40 ou 50.000 francs, ce
n’est pas le Pérou. Ce serait, cependant, une bonne aubaine, pour celui qui
aurait assez de loisirs pour se consacrer à la surveillance de la chasse. Vous
me direz qu’un garde ne peut pas être partout à la fois ; bien sûr. Mais
là où il serait, ce serait déjà ça. Et s’il sortait trois ou quatre jours par
semaine, un matin là, un soir ailleurs, il y aurait, quand même, je vous
assure, du gibier de sauvé. Il ne le serait certes pas tout, mais celui qui le
serait, le serait. Et ça ferait quelques nichées, quelques couvées de plus. En
outre, les amendes qui seraient mises à la charge des délinquants qui ne
tiendraient pas à se laisser poursuivre judiciairement viendraient augmenter
son traitement et l’encourager dans son travail. Qu’on ne vienne pas me dire,
en levant les bras au ciel, que ce n est pas possible : tout est possible
quand on veut et qu’on peut avoir les moyens. Le tout est de vouloir et de ne
pas rester indifférent.
Le tableau est-il trop noir ! N’est-ce pas la pure
vérité ? Que ceux qui doutent aillent un peu faire un tour au pays que je
sais, et ils seront édifiés. Et je ne parle que de ce que j’ai vu sur une
commune : mais elle n’est pas l’exception, malheureusement, et il est à
présumer que les autres sont atteintes du même mal. Un mal profond, en vérité,
car il est ancré au fond de ceux qui en sont atteints par un atavisme
puissant ; un mal qui, s’il a toujours existé, a pris, ces dernières
années, une ampleur sans précédent, et ce pour diverses raisons :
l’interdiction de la chasse la première année de guerre (plusieurs années même
dans certaines régions occupées) à laquelle certains enragés chasseurs n’ont pu
se soumettre ; les restrictions alimentaires qui ont fait rechercher, par
tous les moyens, l’amélioration de l’ordinaire octroyé par le
ravitaillement ; l’appât du gain, aussi, pour ceux qui vendaient — et
à quel prix. Seigneur ! — le gibier capturé. Et, une fois l’habitude
prise, il est dur de s’en défaire.
Tout de même, si on voulait bien, si les chasseurs, surtout,
voulaient bien, car ce sont eux les responsables, ayant fait le mal eux-mêmes
ou l’ayant laissé faire, on s’en sortirait, on reviendrait au bon sens, à
l’honnêteté, à la discipline ; les « mauvais garçons » seraient
dénoncés et punis selon leurs mérites et, enfin, on reviendrait à la belle et
bonne chasse d’antan.
Saint Jean prêchait dans le désert : il pouvait bien,
le pauvre, n’être pas entendu. Mais moi, je prêche devant un million et demi de
chasseurs, dont un grand nombre liront ces lignes. Et si je pouvais, par ma
faible voix, par ma plume bien modeste, certes, mais combien sincère et
convaincue, ramener au bien quelques-uns d’entre ceux tombés dans le péché de
braconne, ce serait une grande joie pour moi et un bienfait pour eux et pour
tous.
Que quelqu’un m’assure de ce résultat et, en sacrifice à
saint Hubert, je laisse filer, en lui présentant les armes, le premier capucin
de la prochaine saison.
FRIMAIRE.
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