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Les chiens fauves de Bretagne

Chasseurs de loups

Les notes qui suivent sont empruntées à la correspondance échangée, il y a plus de vingt ans, avec un veneur, alors nonagénaire et dernier témoin des chasses aux loups faites dans le Finistère par les compagnons du R. Davies. Beaucoup de lecteurs de cette revue connaissent l’ouvrage de ce grand chasseur de loutres d’outre-Manche, venu chez nous au milieu du dernier siècle. Il a été traduit par le comte R. de Beaumont, suscitant une curiosité qui s’est manifestée particulièrement vive au pays des descendants des veneurs pittoresques y décrits.

L’auteur n’a pas étudié avec beaucoup de précision le type des chiens qu’il avait sous les yeux. Nous savons seulement qu’ils étaient des griffons à poil rouge et fort endiablés sur les voies du loup et du sanglier, ce dernier alors assez rare, beaucoup de marcassins étant la proie de « messire leu ».

Voici ce qu’étaient, vers 1860, ces chiens fameux par leurs qualités, mais aussi leur mauvais caractère :

« En 1860, nous nous arrêtâmes à Morlaix voir les Saint-Prix, qui m’étaient un peu parents. Jean de Saint-Prix vint me montrer leur chenil. Je vis là une vingtaine de chiens poil dur et griffons fauves qu’il disait croisés de Saint-Hubert et incomparables dans la voie du loup, le seul animal que l’on chassait alors, et pour cause. Le sanglier et le chevreuil étaient rares, les loups se chargeaient d’en diminuer la production.

» Davies, parlant du même équipage vers 1854, dit que les chiens étaient bien à poil dur de 24 à 25 pouces et tricolores. Ils avaient été croisés de Poitevins, comme on le verra.

» En 1870, je retrouvai Saint-Prix au siège de Paris et, lui ayant demandé s’il avait toujours les chiens rouges croisés de Saint-Hubert, admirés chez lui en 1860, il me répondit :

» — Je m’en suis défait, ces chiens étaient intraitables et ne pouvaient servir que pour chasser le loup qui devient de plus en plus rare. J’ai vendu tous mes chiens au jeune M ..., qui débute, et les ai remplacés par des Griffons vendéens. »

Mon vénéré correspondant se montre très sceptique sur le croisement fait entre le Saint-Hubert et le chien fauve, bien qu’un de ses camarades de chasse, auteur d’un ouvrage sur la chasse au loup, assure en avoir fait grand usage. Écoutons-le :

« Mon ami l’a dit sans l’avoir pratiqué. Il se livra, dans son repaire de la forêt de X ..., à l’élevage du fauve croisé avec le Griffon vendéen. À cette époque, le nom de Saint-Hubert, étant donné la légende, sonnait mieux. Grâce à quoi, il écoula dans l’Ouest des masses de ses produits. Il était servi à souhait, car la couleur fauve des chiens qu’il avait achetés à M ... se maintenait avec une fixité étonnante. »

Disons, pour interrompre un moment ce récit, que ce croisement, recommandé par le comte Le Coulteux dans son Manuel de Vénerie, donna des produits plus sages, plus ameutables et aussi mieux bâtis. Il existe une gravure bien connue représentant un trio de ces chiens. Deux d’entre eux accusent en tête une forte influence de sang de Vendée.

Notre veneur continue ainsi :

« Mon vieil ami de M ... avait le cœur sur la main. Il ne vendait pas de chiens. Il en donnait à tout le monde, mais on s’en défiait, dans le pays, à cause de leur méchanceté. Il avait exposé à Paris, sous l’Empire, à une des premières expositions canines. Il avait obtenu un prix de consolation, disaient les mauvaises langues. Leur conformation défectueuse, le mélange de poil dur et de poil ras avaient nui à ces chiens près des grands veneurs présidant le jury à cette époque. Il est possible que ce soit à cette époque que Le Coulteux se soit procuré les chiens de M ... »

Interrompons encore le récit pour observer que le chien fauve très typé figurant dans la monographie générale du comte de Bylandt, provenant du chenil de M ... et du nom de Lourdaud, dut être photographié lors de cette exposition. Ainsi que l’observe mon correspondant dans une de ses lettres, la structure de Lourdaud est défectueuse dans son dessus et ses aplombs, et il ajoute : « Pour mon compte personnel, si j’avais eu à me monter en griffons, j’aurais préféré les chiens du croisement conservant la livrée des Vendéens et aurais éliminé tous les fauves de mon équipage. »

En voici les raisons :

« À la démonte de M ..., je me procurai deux chiens et deux chiennes. J’étais, à l’époque, louvetier de l’arrondissement et chassais deux fois la semaine dans la forêt qui me touche avec mes grands chiens Poitevins et avais l’occasion de chasser le loup. Les chiennes fauves suivaient correctement, mais les deux mâles s’y refusaient, abandonnaient la meute et chassaient pour leur compte. Ces deux chiennes chassaient très correctement et j’ai pris des louvards avec elles et mes Poitevins et c’est elles qui les mirent dans la voie du loup. Je conservai le plus beau des mâles, à cause de sa conformation ; mais rien n’avait d’influence sur lui. Après avoir lancé, il quittait la voie quand il était rejoint. Seul, il chassait correctement et avait beaucoup de nez. Il eût très bien fait l’affaire d’un braconnier. »

Puis un autre :

« J’ai vu les chiens de M ... chez moi. Ils étaient très méchants. C’était la terreur de du F ... quand M ... arrivait, escorté de ses vingt chiens. Découplés, ils se jetaient sur les autres et il y avait des batailles formidables. J’ai vu, lors d’une chasse au sanglier de F ..., défendre à M ... de découpler, ce qu’il admit. Mais le sanglier, ayant traversé la rivière, vint passer devant les chiens hardés qui cassèrent les couples. Au moment où les chiens de F ... sortirent de l’eau, la bataille commença et la chasse fut perdue.

» Mais j’ai chassé à P ..., chez M ..., avec ses chiens. Ils étaient réellement incomparables sur le loup et ne chassaient que cela, nourris exclusivement de viande de cheval crue. »

Avec un tel tempérament, on comprend que de tels chiens puissent faire merveille à la chasse au loup et au sanglier. Il aurait fallu les assagir par quelque alliance bien choisie, tout en leur conservant leur grand courage et leur mordant. À cela, on ne réussit pas pour deux motifs. L’essai des Anglo-Poitevins qu’on trouvait tout adaptés et qui, à l’essai, donnèrent satisfaction, fit renoncer à entreprendre une œuvre de longue haleine.

Mais surtout, continuait notre bon vieux veneur avec humilité : « La cause de ces changements de chiens, dans les cas que je vous ai cités, tenait uniquement à la dégénérescence. Ni moi, ni mes amis n’entendions rien à l’élevage. Aucun de nous ne connaissait les principes et l’art de la sélection et nous n’avions guère l’esprit de suite. Je m’en rends bien compte maintenant que je lis les auteurs ; mais il est trop tard ... » Il termine enfin en disant que les jalousies entre propriétaires et entre piqueux contribuaient à rendre difficiles les échanges en vue de parer aux inconvénients de la consanguinité.

Puis, en 1872, la strychnine fit sa première apparition importante. Rapidement, le nombre de loups décrut et, quoiqu’il y en eût encore jusqu’en 1886, les rangs en étaient de plus en plus clairs. Ce n’est guère que dix ans après qu’on vit le sanglier en nombre, le loup complètement disparu et les ultimes chiens fauves authentiques dispersés à jamais. Maintenant, ils ne sont plus qu’à l’état de médiocres Briquets, représentants dégénérés de ce chien au tempérament extraordinaire. Ainsi finissent les races, qu’avec un peu de persévérance et de savoir-faire on conserverait, après indispensables améliorations.

Plus habiles que nous, nos collègues du Nivernais ont, en ces dernières années, tiré d’un injuste et long abandon leur griffon à sombre livrée et de haute initiative aussi, courageux chasseur de sangliers et de loups s’il en restait. Il y a certaine affinité morale entre les deux races. Il semble même qu’il y ait eu quelques alliances. Quoi qu’il en soit, il faut souhaiter longue vie au Nivernais pour le plus grand bonheur des chasseurs à tir de sangliers, puisque notre Ouest n’a pas su conserver le gaillard un peu excessif dont le sort nous avait pourvus.

Pour nous consoler, il en est sorti un petit basset endiablé lui aussi ; mais que reste-t-il de lui, dont il a toujours été impossible de grouper les éleveurs ?

Ce chien fauve sèmerait-il l’individualisme dont il était saturé ?

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°613 Avril 1947 Page 429