Trop souvent, en France, nous n’empoissonnons pas les mares
de la ferme, les pièces d’eau du parc, la gravière dont le fond reste
constamment plein d’eau, ou seulement jusqu’à l’été. Il ne s’agit pas, bien
sûr, de tirer un revenu monnayable de ces petites nappes d’eau. Mais il est
agréable, deux ou trois fois par an, de pouvoir servir sur la table, devant les
invités, un plat de poisson produit chez soi sans qu’il en coûte rien, qu’un
peu de soin. Et il est amusant de surveiller, en passant, la croissance de la
tanche et de la carpe.
Les mares de ferme, ou les abreuvoirs, doivent, pour être
empoissonnés, avoir au moins un are de surface. Le « plancton », cet
ensemble de petites plantes et de petites bêtes, qui est la base de la
nourriture du poisson, s’y développe le plus souvent avec une abondance
inconnue dans les étangs, en raison des fumures abondantes et répétées que les
bêtes apportent dans l’eau en venant boire. C’est une erreur de croire que le
plancton se compose d’animaux microscopiques. Vous pouvez en apercevoir une
bonne partie à l’œil nu. À la fin du printemps, ou l’été, par temps de soleil,
passez dans l’eau une petite épuisette garnie d’une toile à beurre. Vous
verrez, dans le fond de votre épuisette, une masse grouillante de petits
crustacés de 1 à 2 millimètres, les « puces d’eau » ou daphnies.
Mettez-les dans un verre d’eau et vous les verrez nager d’un mouvement saccadé.
Les daphnies sont la base même de la nourriture des carpes et tanches.
Au printemps, en mars, ou si votre mare ne gèle pas complètement,
à l’automne, procurez-vous auprès d’un propriétaire d’étangs quelques alevins
de carpes et de tanches. Prenez des « feuilles » d’au moins 20 à 25 grammes,
mesurant au moins 10 à 12 centimètres de longueur pour les carpes, et des
alevins de tanches guère plus petits. Mettez-les dans votre mare à raison
d’environ dix carpes et dix tanches à l’are. N’en mettez pas plus, ils seraient
trop serrés. Et laissez faire, ils pousseront tout seuls. Ils passeront l’hiver
en léthargie et, aux premiers jours de soleil et de chaleur, ils se
réveilleront.
Ne les péchez qu’en septembre ou octobre. Récupérez-les
toutefois en juillet si le niveau de la mare baisse par trop. Prenez-les à
l’épuisette, à la ligne, à la nasse.
Votre petite carpe de 25 grammes est devenue, en
septembre, une carpe d’une livre à une livre et demie. La tanche, elle,
n’atteindra que la demi-livre.
Au lieu de dix alevins de carpes, vous trouverez sept ou
huit carpes d’un poids total d’environ 4 kilogrammes, et, au lieu de dix
alevins de tanches, vous trouverez sept ou huit tanches d’un poids total
d’environ 2 kilogrammes, soit une croissance d’environ 6 kilogrammes
à l’are ou 600 kilogrammes à l’hectare.
Il s’agit, évidemment, d’une mare que les animaux fument
abondamment et où le rendement est en effet triple du rendement moyen d’un
étang normal.
Parfois, vous ne retrouverez plus que deux ou trois carpes,
les sept à huit autres ayant été mangées par les canards ; mais vos trois
carpes pèseront alors 1 kilogramme chacune.
Si votre estomac délicat se révolte à la pensée d’ingérer
ces poissons qui ont vécu dans cette eau mêlée de purin et de bouse (comme s’il
n’acceptait pas la poule qui picore le fumier ...), alors, mettez vos
poissons à dégorger quelques jours dans un bassin à eau courante.
Et, si vous ne pouvez avoir d’alevins, mettez dans la mare
les tanches et les gardons que vous pécherez dans la rivière, mais n’en mettez
pas trop. Vous avez vu que votre mare peut produire 5 à 6 kilogrammes de
poissons par are, dans la saison.
Les pièces d’eau et mares naturelles, non visitées par le
bétail, produiront évidemment deux ou trois fois moins.
DE LAPRADE.
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