Une lettre du Loiret.
— Nous exploitons en famille, ma femme, mes deux
fils et moi, une petite ferme laitière peuplée de 10 vaches, de 2 taures
de rajeunissement et de 2 chevaux. Notre assolement est à base de prairies
artificielles (sainfoin, luzerne), mais peu de culture, juste ce qu’il faut
pour nourrir notre bétail (avoine, orge, betteraves, choux fourragers, etc.).
Notre unique ressource consiste en la vente du lait en
nature, sur le prix de 12 francs le litre. Le rendement moyen de nos
Normandes étant de 8 litres par jour et par tête, sans défalquer le lait
transformé en viande de veau, il s’ensuit que le rendement brut, en argent, de
notre ferme est de : 8 x 12 x 10 x 360 = 345.600 francs.
De cette somme, en défalquant le loyer de la ferme, l’intérêt
du capital engagé, l’amortissement et le renouvellement du matériel, ainsi que
celui du bétail, les assurances, les impôts, les notes du vétérinaire, du
médecin, du maréchal, du bourrelier, du charron, etc., il nous reste,
approximativement, 150.000 francs de net, à condition que nous ne soyons
pas obligés de remplacer un cheval, une faucheuse, un chariot, ni une bête à
cornes, auquel cas il ne nous resterait absolument rien.
Étant donné que nous sommes quatre à travailler, à raison
de dix heures par jour, dimanches et fêtes compris, sans vacances payées, si
tout va bien, notre rémunération horaire est de 10 fr. 90. Chiffre
dérisoire. Que serait-ce s’il fallait recourir à la main-d’œuvre étrangère pour
faire valoir notre domaine ?
Si je vous expose notre situation difficile, c’est pour
vous demander s’il ne serait pas possible de l’améliorer en substituant à la
vente du lait en nature la fabrication du beurre ou celle du fromager qui
pourraient être d’un meilleur rapport.
Coup d’œil rétrospectif.
— Autrefois, les bilans d’élevage faisaient ressortir
que la vente du lait en nature, si elle exigeait moins de travail que la
fabrication du fromage, laissait moins de bénéfices, ainsi que la
fabrication du beurre conduite de pair avec l’élevage des gorets, grâce
au concours du lait écrémé.
J’ai en main des évaluations comparatives, dressées avant la
première et la deuxième guerre, qui font ressortir nettement la supériorité des
fabrications laitières sur la vente en nature. Les plus-values réalisées sont
assez sensibles, surtout pour les produits de marque, notamment pour les
fromages réputés, dans le genre du camembert, et surtout avec les doubles et
les triples crèmes (bondons, petits suisses, petits carrés, etc.). Avec ces
derniers spécimens, le litre de lait ressortait à un prix parfois double de
celui du lait en nature.
Aujourd’hui, du fait des restrictions, ainsi que des
réglementations, il est à peu près impossible d’établir les bilans
d’exploitation, puisque les calculs effectués un jour risquent de ne plus être
à la page le lendemain, en raison des soubresauts et de l’instabilité de notre
monnaie.
Ainsi, en ce qui concerne les fabrications laitières du
beurre et des fromages, si celles-ci sont effectuées par des ouvriers spéciaux,
c’est-à-dire s’il faut payer un vacher, un beurrier ou un fromager pour faire
de l’industrie laitière, les bénéfices de l’exploitation risquent d’être
digérés entièrement, si ce n’est plus, par la main-d’œuvre.
En résumé, aux prix unitaires taxés, et qui sont
approximativement de 270 francs pour le beurre et de 160 francs par
kilogramme pour le fromage, il ne paraît pas prudent de se lancer dans ces
fabrications, à moins que l’on puisse s’en charger en famille, sans recourir à
la main-d’œuvre étrangère.
Si l’aimable correspondant qui me demande ce renseignement
peut se charger du travail occasionné par les transformations laitières portant
sur une production, annuelle de 28.800 litres, il pourra y trouver un
petit bénéfice.
En effet, s’il fabrique du bon beurre, il obtiendra, en comptant
25 litres par kilogramme, 1.150 kilogrammes de beurre d’une valeur
approximative de 300.000 francs, légèrement inférieure à celle du lait en
nature, mais il disposera de 20 tonnes de lait écrémé, qui lui vaudront
1.000 kilogrammes environ de viande de porc, valant au bas mot 150.000 francs,
soit au total 450.000 francs, soit 100.000 francs de plus que la
vente en nature. Toutefois, ce bénéfice risque d’être absorbé en partie, sinon
en totalité, s’il doit prendre du personnel supplémentaire, en ajoutant les
frais généraux, les risques de malfaçon et les risques de mortalité toujours
aggravés lorsque le travail n’est pas fait par l’intéressé.
En ce qui concerne les entreprises fromagères, les frais de
fabrication sont encore plus élevés que pour le beurre, mais le rendement
argent est meilleur.
Sachant qu’il faut environ 8 litres de lait pour
obtenir une pâte molle dans le genre du camembert, du maroilles, du munster,
etc., les 28.800 litres fourniront 3.840 kilogrammes de fromage fait,
et, à 160 francs le kilogramme, cela ferait un rapport brut de 576.000 francs.
Abstraction faite des aléas, cette fabrication serait la plus avantageuse, mais
elle exige le concours d’un ouvrier spécialisé, et puis il y a les risques de
coulage qui déprécient les spécimens pendant la saison chaude.
De toute manière, les changements d’affectation dans les
applications laitières doivent mûrement être étudiés au préalable. En cela
comme en toute chose, la prudence est de rigueur.
C. ARNOULD.
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