De toutes les races de lapins, du lapin commun au Castorrex,
à la somptueuse fourrure, à poil ras de sauvagine de luxe, c’est l’Angora, à
l’ample et douillette toison soyeuse, qui tient actuellement le haut du pavé
par son rapport magnifique.
Le lapin Angora fournit en effet une matière textile vivante
soyeuse d’une telle qualité, et les besoins de toutes matières textiles
— celle-ci en particulier — sont tels que ces besoins ne paraissent
pas devoir être satisfaits avant longtemps.
Aussi, toujours en raison de la loi de l’offre et de
la demande, les cours du poil d’Angora monteraient en flèche de façon
vertigineuse si la vente était libre ; mais, déjà, ils sont à un taux tel
qu’ils sont particulièrement et grandement rémunérateurs pour quiconque conduit
sagement l’élevage de cette race nettement favorisée.
Fixés en dernier lieu à 2.000 francs le kilogramme,
plus une soulte prévue et autorisée de 300 francs, les voici, en fin de
janvier, à 2.600 francs, et une hausse substantielle est encore à prévoir.
De ce fait, les prix des sujets reproducteurs, indispensables pour monter un
clapier, sont en hausse proportionnelle, valorisant ainsi le cheptel,
c’est-à-dire le fonds même de votre clapier ; en un mot, votre
capital !
Il y a plus : alors que, propriétaire de titres de
rentes, d’obligations, d’actions, d’affaires industrielles, vous ne détachez
généralement les coupons de rentes, d’intérêts, de dividendes, qu’une fois par
an, ici, vous détachez ce qui représente un coupon de rente ou d’intérêts tous
les trois mois ! Car, si le mouton, Mérinos ou autre, vous livre sa toison
une fois l’an, le généreux Angora vous fournit la sienne, par épilages, tous
les trois mois, soit, très régulièrement, automatiquement, quatre fois par an,
en grande partie sous la forme de superdividendes.
Quelle est l’origine du lapin Angora ? Des personnes la
situent en Asie Mineure, près de la ville d’Angora, sans doute par l’analogie
que présente la toison de cette race avec celle de la chèvre à longs poils, la
chèvre d’Angola, ou du chat d’Angora, comme du chat Persan. Mais rien n’est
moins établi. La question d’origine, d’ailleurs, est d’intérêt secondaire en
présence de l’intérêt que présente l’élevage de cette race d’une grande portée
économique.
Tout porte à croire, au contraire, que le lapin Angora a
comme origine une mutation naturelle spontanée comparable à celle qui fit
apparaître le contraire pour le lapin Castorrex, au poil extra-ras et planté
verticalement. D’abord de petite taille, comme pour toutes les races animales
domestiquées, le lapin Angora et sa production de poil furent améliorés,
simplifiés graduellement, imperceptiblement au début, de génération en
génération, par l’alimentation plus régulière et par les soins de l’élevage
dont bénéficie tout sujet ainsi traité. Surtout massivement, lorsque le côté
économique en fit apparaître tout l’intérêt. Il se pourrait que la mutation de
l’Angora se soit produite en France, en Savoie, sur les bords du lac du Bourget
où une vieille demoiselle remarqua que de petits lapins, à la toison soyeuse,
muaient fréquemment, ce qui lui donna l’idée de les épiler, puis de filer et de
tricoter ce poil si chaud pour en faire des pièces de sous-vêtements, surtout
destinés aux rhumatisants.
Quoi qu’il en soit, c’est en France que cette activité
artisanale prit naissance, déterminant une amplification de l’élevage de
l’Angora. Elle se diffusa d’abord en Savoie, gagna l’Anjou, puis se répandit
dans toute la France, jusque sur les rives de la Méditerranée, en même temps
que se perfectionnaient et s’industrialisaient les méthodes de filage et de
tissage de ce poil, seul ou associé avec d’autres matières textiles.
Cet élevage crée une source de recettes et de revenus de
base ou complémentaires dans maintes régions. C’est ainsi qu’en Anjou, dans le
Saumurois et la région de Louerre, 80 p. 100 des ménages de nombre de
communes se livrent à l’élevage exclusivement familial de l’Angora, dont ils
tirent leurs principales ressources. Au point que la plupart d’entre eux ne
sacrifient pas leurs lapins à un âge déterminé ; mais ils les épilent et
les conservent jusqu’à leur mort naturelle. Ce genre d’élevage, avec des sujets
de qualité et de rendement variables, est maintenant à ce point perfectionné
que la plupart des lapins Angoras femelles (car les mâles sont moins généreux)
réalisent une moyenne de rendement de plus de 150 à 200 grammes par
épilage, que quelques-uns, encore rares, arrivent à fournir le kilo de poil
annuellement. Calculez le rapport brut au prix du poil de 2.000 à 2.600 francs
le kilo.
Il était utile que ces possibilités vous soient exposées.
Nous vous devons maintenant de vous faire connaître comment entreprendre,
monter et conduire cet élevage. Mais sachez de suite que c’est l’Angora blanc,
bénéficiant d’un large marché, que vous devez exploiter sous cette forme.
Il existe bien des variétés de couleurs, presque autant que
dans les races à poils ras, dites à fourrure fine ; mais ces variétés ne
sont intéressantes qu’à titre sportif, pour les expositions et comme curiosité,
ce qui ne modifie d’ailleurs en rien la qualité textile de leur poil, dont le
marché est infiniment plus restreint.
Les sujets grands producteurs de poil, les superbes
« poiliers », disent les spécialistes, sont caractérisés par leur
face hirsute, comme celle de Mathusalem, l’ample houpe sur le front et entre
les deux oreilles et par les « plumets », amples et superbes panaches
qui s’épanouissent au sommet des oreilles. Ce sont de véritables boules de
soie, dont notre figure montre le prototype.
Claude AXEL.
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