De tout temps, les pierres précieuses aux coloris vifs ou
chatoyants, ou simplement d’un merveilleux éclat cristallin, ont toujours
séduit l’humanité. Dans la Rome antique, on les recherchait alors pour leurs
qualités ornementales et plus encore pour leurs propriétés médicinales
ou ... magiques. De toutes, bleues, rouges, vertes, bigarrées ou marbrées,
le rubis occupe incontestablement le no 1. Pline, Théophraste,
Benvenuto en parlent avec force éloges ... N’a-t-on pas été jusqu’à lui
attribuer des pouvoirs tels ... qu’il eût alors conquis, en maints foyers
d’Amérique, une place d’honneur, dans un pays où le divorce n’est qu’un jeu :
évidemment, les légendes sont innombrables, et il ne faut pas y attacher trop
de crédit.
Quoi qu’il en soit, ce furent les souverains de l’Orient qui
possédèrent les plus jolis exemplaires, véritables fortunes qu’ils gardèrent
avec un soin jaloux : pour ces raisons mêmes, ces gemmes royales ou
impériales furent l’objet de conflits et de vicissitudes ; tel fut le cas
pour le rubis qui figure sur la couronne du roi d’Angleterre, tel fut le cas de
celui offert à Catherine II par Gustave III, qui sont parmi les plus
beaux qu’on possède.
Et, comme pour toute substance de prix, on s’est demandé de
quelle nature pouvait bien être cette pierre précieuse, on s’est attaché à
définir sa composition, etc., et c’est ainsi que la chimie, avec sa manie de tout
passer au crible de l’analyse et de la synthèse, a pu, il y a quelques années,
préciser sa formule qui est l’oxyde d’alumine ; elle doit sa coloration à
des traces de sesquioxyde de chrome. En réalité, c’est là la composition à
laquelle répond le rubis oriental le plus estimé, car il existe une autre
variété, dite rubis Spinelle, qui est une combinaison d’alumine et d’oxyde de
magnésium. À chacun correspond une échelle minéralogique définie, qui les
différencie par leurs caractères physiques, optiques, etc. C’est ainsi qu’en
dehors de ces deux ordres principaux les spécialistes distinguent, en outre, le
rubis balais, présentant par réflexion, en transparence, une teinte rose ou
bleue, le rubicelle rouge orangé.
Au reste, suivant le lieu d’origine, chaque variété présente
des détails particuliers, mais, bien que Madagascar et l’Indochine en
fournissent toujours des qualités assez importantes, c’est aujourd’hui la
Birmanie qui en est le principal producteur, tant par la quantité que par la
qualité ; et dans les vallées aux riches alluvions se sont créées des
fermes commerciales importantes qui exploitent les sables, les fleuves ou les rivières
suivant les méthodes scientifiques.
Pourtant, en certaines contrées restées vierges de toute
influence européenne, les méthodes empiriques sont les seules qu’emploient
encore les centaines de gens stimulés dans leurs recherches, combien pénibles pourtant !
par l’espoir sans cesse renaissant de trouver quelque spécimen d’une réelle
valeur. Aussi, pendant la belle saison, sur les bords des fleuves alors
desséchés, tels des terrassiers, ils creusent de vastes cuvettes souvent très
profondes jusqu’à ce qu’ils aient atteint la couche du sous-sol présumée riche
en rubis, et, à dos d’homme, ils remontent à la surface du sol cette terre
alluvionnaire qu’ils soumettent à un véritable lessivage dans des rigoles
légèrement inclinées, ce qui a pour but de séparer et d’éliminer, par
différence de densité, la terre des cailloux et des pierres diverses, et un
nouveau triage à l’issue des rigoles permet de recueillir les rubis. Et, comme
ces petites entreprises privées travaillent sous les ordres d’un « expert »
ayant acquis par la pratique journalière quelque expérience en la matière, les
rubis bruts, toujours souillés de terre ou de pierre, sont simplement négociés
à la foire aux rubis de la ville la plus proche, pour être, de là, expédiés
soit en Europe, soit à des sociétés qui en possèdent le monopole.
Mais, de plus en plus, ces dernières prennent une extension
croissante, ce qui est préférable, puisque l’exploitation se fait alors d’une
façon rationnelle avec un rendement supérieur.
Et voici les principales phases de ces traitements : la
terre rubifère est amenée à l’aide de wagonnets, pulvérisée et versée sur de
vastes cuves plates pourvues de peignes verticaux. La terre, triturée avec de
l’eau, donne une bouillie d’où s’éliminent automatiquement les parties les plus
légères, tandis que les plus denses sont, par la force centrifuge, retenues par
les bords de la cuve. En répétant successivement ces opérations avec seulement
les fractions retenues dans la cuve, il n’y reste plus alors que les matières
minérales (rubis et roches diverses), soumises à un criblage méticuleux,
mécanique, puis à la main, grâce auquel on finit par obtenir une séparation
parfaite. Les précieuses gemmes, enfin recueillies, sont soigneusement gardées
à l’abri des vols jusqu’au jour où, confiées à des équipes d’ouvriers
spécialisés, elles seront soumises aux premières opérations du raffinage. Et un
contrôle sévère ne cesse de régner dans ces ateliers, où ces pierres, alors
amenées à leur plus petit volume, peuvent être aisément dissimulées n’importe
où. En fait, les ateliers à proximité des lieux d’extraction sont vraiment
rudimentaires, et le personnel, faute d’expérience et d’appareils nécessaires,
pratiquement incapable de mener à bonne fin des opérations très
délicates : dégrossissage, taille, polissage, etc. ; de telle sorte
que les rubis sont envoyés directement aux usines, en France ou en Angleterre,
où ils deviennent d’absolus joyaux.
Notons enfin qu’à la suite des travaux de Verneuil, à qui
l’on doit les premiers essais de préparation de rubis artificiel, on est
parvenu à obtenir de parfaits rubis synthétiques par fusion au chalumeau
oxhydrique d’un mélange d’alumine et d’oxyde de chrome, ou d’alumine et d’oxyde
de magnésium, en tous points comparables aux rubis de Birmanie, mais d’un prix
de revient moindre et qui, sans doute, détrôneront ceux de l’Inde ... Tel
est le progrès qui, par contrecoup, entraîne souvent la misère d’humbles
gens ... et la disparition de l’artisan.
P. LAGUZET.
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