Je chante un don des dieux : c’est par ces mots
qu’un poète latin entonnait une ode à la chasse. Ce jeu mythologique devint le
seul moyen de subsistance et la première occupation des humains quand les dieux
les eurent envoyés sur terre. Ce fut ensuite un sport ; un sport noble,
non pas seulement parce qu’il était un privilège de la noblesse, mais parce
qu’il était régi par un code de coutumes, basé sur le sens chevaleresque, qui
réglait aussi bien les rapports des chasseurs entre eux que leurs rapports avec
les animaux de poursuite et auquel on ne pouvait contrevenir sans faillir à
l’honneur.
Il y eut toujours entre la chasse à tir et la chasse à
courre cette même différence de classe qui, pendant fort longtemps, distingua
dans toutes les armées les fantassins des cavaliers ; mais, aussi
longtemps que la guerre conserva un esprit chevaleresque, piétards et cavaliers
étaient très pointilleux sur le chapitre de l’honneur. De même, le chasseur,
qu’il fût armé d’un fusil ou d’un fouet, se fit pendant longtemps un point
d’honneur de n’attaquer un gibier que s’il était bien en état de se défendre.
La vénerie a perpétué ces coutumes jusqu’à nos jours et, en outre, a érigé la
chasse à courre au rang d’une véritable science. Constatons simplement que la
chasse à tir n’a pas toujours suivi les mêmes traditions et qu’elle aurait
tendance à devenir une industrie pour cesser d’être un sport.
D’assez nombreux porteurs de permis du XXe siècle
se rapprochent du chasseur de l’âge de pierre, qui chassait pour son
garde-manger ; dès lors, ce qui les intéresse, ce n’est plus l’art du
« noble déduict », c’est le poids de la viande. Chasser n’est plus
rechercher un animal sauvage, vaincre ses ruses, attacher plus de prix à la
façon de s’en emparer qu’à la prise elle-même ; chasser, c’est simplement
alimenter la casserole, comme aller au marché, avec, de plus, l’agrément
d’éprouver quelquefois son adresse et de faire une promenade hygiénique. Il est
ainsi normal que le néo-chasseur attache plus de prix au gibier qui est le
prolongement de son clapier ou de son poulailler qu’à celui qui, pour être
conquis, a d’autres exigences et gonfle moins bien le carnier. Pour un chasseur
de bécasses, de bécassines, ou de grives, combien compterait-on de chasseurs de
lapins ou de lièvres ? C’est apparemment pourquoi, en se préoccupant, à juste
titre, de protéger le gibier sédentaire, on voudrait sacrifier la chasse au
gibier de passage. Dans l’espoir (complètement illusoire d’ailleurs) de faire
tirer quelques pièces de gibier sédentaire de plus, on prétend interdire au
chasseur de tirer des canards, des bécassines, de chercher la bécasse, de
poursuivre la grive en temps voulu, au plus grand profit des chasseurs des pays
voisins plus avisés que nous. C’est réduire la chasse à peu de chose, à sa
partie la moins intéressante, en supprimer tout art, science et poésie. C’est,
en un mot, n’avoir ni le sens, ni la notion, ni le goût de la chasse ; car
un loisir qui devient dirigé cesse d’être un plaisir.
C’est pourtant bien ce que certains voudraient nous préparer.
Pour satisfaire au principe nouveau que justifient momentanément les
circonstances dans un autre domaine, mais qui n’a rien à voir dans la gestion
de nos loisirs, on veut nous imposer la chasse à jours fixés par arrêté
préfectoral ! Depuis quand les préfets, fussent-ils de la plus moderne des
républiques, ont-ils pouvoir d’assigner leur jour de passage aux canards, aux
bécasses, aux bécassines, aux grives et autres migrateurs ? Depuis quand
ont-ils le pouvoir de commander au vent et au baromètre ? Négliger ces
facteurs, c’est nier la notion de la chasse. La chasse consiste à rechercher le
gibier là où il est, quand il s’y trouve et quand le temps en est propice.
Toute autre définition ne saurait émaner d’un chasseur digne de ce nom, et on
aura beau la mettre en code, on ne changera rien à cette vérité. Il est
possible que cette définition fasse apparaître cette autre vérité que la chasse
n’est pas une partie de football, ou de footing tout court, et que ce sport ne
peut être pratiquement à la portée de tout le monde. Il est ce qu’il est, et
lui donner une autre définition pour le plaisir d’embêter ceux qui peuvent le
pratiquer (souvent au prix de bien des sacrifices) n’aboutira qu’à une
chose : faire du mot « chasse » un mot vide de sens.
Vide de sens parce que vide d’objet. Car, enfin, on n’a,
jusqu’ici, trouvé aucun meilleur moyen de détruire les animaux trop prolifiques
qu’en organisant des battues. C’est à cela que nous convient les promoteurs de
la limitation des jours de chasse, en rassemblant tous les chasseurs le même
jour. Dire comme argument que l’ouvrier et le paysan ne peuvent chasser que le
dimanche est la constatation d’un état en ce qui touche le premier et une
plaisanterie en ce qui touche le second. Taxer de désœuvrés (traduisez de
fainéants) ceux qui peuvent toucher un fusil en semaine est aller un peu loin.
Demandez donc au chauffeur de haut fourneau, au surveillant de centrale
électrique, à l’employé de chemin de fer qui, ayant travaillé le dimanche, sont
de repos un autre jour, s’ils sont des désœuvrés (c’est-à-dire des
fainéants) ; et demandez au paysan si ce n’est pas le temps, et non le
calendrier, qui commande le travail de la terre. Et même si cela était, quel
argument pourrait-on en tirer, sans une singulière démagogie, pour obliger tous
les chasseurs à s’aligner sur la condition des moins favorisés ? Faut-il
nier aux retraités, vieux travailleurs, etc., le droit de se distraire en
dehors du dimanche ? Et si le jour ouvert est jour de marché (car il y a
des marchés le dimanche) ? ... Et s’il pleut ou s’il
neige ? ...
Il y a bien d’autres arguments pour démontrer l’inanité
d’une telle mesure à laquelle le rural, avec son bon sens coutumier, a déjà
opposé son veto ; mais abrégeons : pendant deux fois deux ans, depuis
1939, la chasse a été fermée, non pas trois, mais sept jours par semaine ;
si la limitation des jours de chasse était la panacée qui doit nous ramener
l’abondance du gibier sédentaire, nous le verrions aujourd’hui ; or c’est
parce que cette abondance n’est pas revenue malgré cette fermeture totale
que certains envisagent le moyen ci-dessus.
La vérité est que le remède est ailleurs, plus logique et
plus sûr : détruisez les corbeaux et les pies, vous aurez du perdreau et
du lièvre ; supprimez les furets, et vous aurez du lapin ; ne placez
pas de lacets, retenez les chiens à la ferme, car les chiens errants décuplent
les méfaits des renards, et constituez des réserves judicieusement choisies et
sévèrement respectées ; hors de cela, point de salut. Le dirigisme est une
arme efficace si on l’applique à bon escient ; il ne peut être, sans se
condamner, un moyen de brimade ou de démagogie.
J. CASTAING.
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