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La protection de la sauvagine

J’ai toujours pensé que le vrai chasseur devait avoir le respect du gibier. Pour les esprits superficiels, cette affirmation pourra paraître paradoxale. Je ne voudrais pas voir le gibier décimé par l’aveugle et stupide plaisir de la destruction. En une société civilisée, il n’y a pas de règlement sans obligation ni sanction. Il faut faire tout d’abord au braconnage une guerre sans merci ; il est l’ennemi déclaré de tous les chasseurs respectueux des lois.

Félicitons les gardes de la Fédération, les gardes du Saint-Hubert, les gardes communaux et privés qui s’emploient à la répression avec une grande conscience professionnelle. Ils ont à combattre aussi par le piège ou par le fusil tant de carnassiers destructeurs de la sauvagine : buses, faucons de chasse, éperviers, pies ou geais — ceux-ci grands destructeurs d’œufs, — renards et bêtes puantes. Nous savons, d’autre part, que les côtes de France, sur une grande partie de leur étendue, présentent de nombreux havres de repos et de satisfaction pour la sauvagine. Que sont devenus ces merveilleux coins de chasse depuis quelques années ? Sans doute, il en est qui sont demeurés aussi giboyeux qu’autrefois, mais beaucoup de grands herbiers ont été rongés par des maladies cryptogamiques. Cependant le grand malfaiteur de nos côtes au point de vue cynégétique, c’est le mazout. Là où les eaux sont polluées, plus d’herbiers et plus de canards. Combien en ai-je vu, sur les côtes françaises, de canards de fond ou de surface dont le corps était englué de mazout !

Sur le rapport de Louis Ternier, le Conseil international de la chasse, qui se tenait, en 1935, à Varsovie, avait adopté le vœu suivant : que, sur tous les bateaux employant le mazout, soient installés des appareils utilisant des résidus de ce produit et empêchant que ceux-ci soient jetés à la mer. C’était un vœu de raison. La guerre est venue : où en sommes-nous ? Espérons que, dans la pratique, soit appliqué ce vœu si utile au moment même où, du fait de la guerre, tant de bateaux sont en reconstruction.

Renouvelons les vœux de cette époque : que les baux des canardières à filet, comme ceux de Belgique et de Hollande, ne soient pas renouvelés et que soit interdite la chasse au filet dans certaines régions nordiques dont les milouins, ces si beaux canards, étaient les trop nombreuses victimes. J’ai pris position, il y a quelque années, en accord avec de très nombreux sauvaginiers, contre les chasses aux canardiers de 40 et de 50. Sans doute, les approches d’une bande de 5.000 canards, comme j’en ai fait jadis au golfe du Morbihan, sont-elles passionnantes d’émotion, mais, à côté des canards tués raides, sur la masse des canards il y en aura beaucoup qui s’en iront touchés au corps d’un plomb de 4 ou de 2 et serviront de repas, le lendemain, aux voraces de la mer. Je pense que les armes tirées à l’épaule d’un calibre 8, qui a mes préférences pour cette chasse, sont bien suffisantes pour remporter sur de jolies bandes de beaux succès.

Enfin il y a un dernier ennemi des canards, la nature elle-même, qui, en combinant ses efforts avec ceux de l’homme, arrive, par l’assèchement de nombreux marais, à détourner des voies qui leur étaient chères de nombreux touristes ailés d’autrefois. Et ceci, le plus souvent, sans profit pour l’agriculture ou l’industrie.

En France, la chasse s’est démocratisée. De petites communes qui délivraient quinze permis de chasse, il y a quarante-cinq ans, en distribuent près de cent-vingt aujourd’hui.

Ceci est fort bien à mon avis, car ainsi plus d’hommes goûteront aux joies si profondes de la chasse. Mais, si les chasseurs sont beaucoup plus nombreux que jadis, ne faut-il pas multiplier le gibier par l’élevage et les réserves, celles-ci sérieusement gardées ? Il n’est pas seulement question de gibier sédentaire, mais de certains gibiers de passage susceptibles de nicher dans nos régions, le colvert en particulier. La réserve de chasse, si elle est sérieusement contrôlée, maintiendra ces oiseaux, qui en arriveront, en raison de l’abondance du gibier, à déborder la zone interdite, pour le plus grand bénéfice de tous les chasseurs.

J’ai eu le grand plaisir de lire, dans le bulletin du Saint-Hubert-Club de France, dont l’influence a été depuis si longtemps très heureuse pour la défense de la chasse en France, un article fort intéressant sur l’organisation américaine de la chasse et la protection de la faune aux U. S. A. Le Dr Jeannin, grand spécialiste en cette matière, a bien voulu mettre à ma disposition sa documentation si vaste sur cette question. En le remerciant, je pense qu’il nous a apporté à son retour d’Amérique un bien utile sujet de méditation. Aux États-Unis, la chasse et la pêche sont les deux sports les plus populaires. Ils donnent lieu à une forte circulation d’argent. Il y eu, en 1945 : 8.190.001 permis de chasse, représentant une perception fiscale de 15.512.240 $, soit près de 2 milliards de francs. Mais c’est surtout dans les dépenses de transports, d’essence, de vêtements, d’armes, de munitions, et dans le nombre de travailleurs qu’il contribue ainsi à faire vivre, que l’exercice de la chasse offre le maximum d’intérêt.

Dans la crainte de voir tarir une source importante de mouvements commerciaux et une des satisfactions des Américains, le gouvernement des États-Unis fit adopter des lois sévères pour la protection de la sauvagine et les compléta par l’achat de vastes étendues drainées qui furent remises en leur état primitif de marais spécialement aménagés pour le gibier d’eau. Le cas de la rivière Souris est typique. Un énorme barrage fut construit afin d’arriver à l’étalement permanent d’une vaste nappe d’eau. Il y fut établi une série de dispositifs de plantation d’arbres et de buissons correspondant aux besoins de la sauvagine.

Évidemment, les chiffres sont d’importance : 3 millions d’hectares sont ou vont être transformés en réserve ; 1 million de dollars de dépenses annuelles.

Les résultats ? En 1930, on estimait qu’il subsistait aux U. S. A. 30 millions de canards sauvages, chiffre insuffisant pour l’intensité de la chasse. En 1944, on estimait l’importance des têtes de gibier d’eau à 125 millions.

Méditons sur ces heureuses initiatives. Sans doute faut-il songer aux proportions, mais ne pourrait-on pas, sur les grandes voies de migration, multiplier nos réserves, pour le plus grand bien des espèces et des chasseurs de sauvagine, qui auraient ainsi beaucoup plus d’occasions de tirer que jadis ?

Jean DE WITT.

Le Chasseur Français N°614 Juin 1947 Page 468