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Dogues, chiens de montagne

… et autres

Depuis que paraît cette revue, divers articles ont été consacrés aux molossoïdes et chiens de montagne.

C’est une question fort difficile à élucider que celle-ci. Pour essayer d’y voir clair, il n’est rien de mieux que de partir de bonnes définitions.

Voici, d’après Pierre Mégnin, la description du type molossoïde : « Tête massive, ronde ou cuboïde ; oreilles petites, tombantes ; museau court ; lèvres longues et épaisses. Corps massif, généralement cinq doigts derrière comme devant. Types normaux de très grande taille (0m,65 et au-dessus). » Deux variétés de pelage : l’un fait de poil fourré et assez long sur le corps, surtout à la queue ; l’autre à poil ras. Appartiennent à ce deuxième groupe des aberrants de type bouledogue de taille moyenne, et des aberrants nains, qui ne sont pas ici en cause.

Mégnin range dans le premier groupe : le dogue du Thibet, le Saint-Bernard, le Leonberg, le chien des Pyrénées, le chien d’ours russe, le chien de Terre-Neuve.

Notons que, de tous, c’est assurément le thibétain dont le prototype répond le mieux à la définition du vrai molosse telle qu’elle a été donnée. Lorsque le Saint-Bernard est croisé de mastiff, comme cela s’est pratiqué en Angleterre, lui aussi prend bien l’aspect du molosse pur. Il s’en faut d’ailleurs que cette pratique ait été généralisée sur le continent, où les tenants de la tradition classique se sont gardés d’en faire usage. Le chien des Pyrénées a échappé à ce sort. Il représente bien un modèle de chien de montagne apparenté aux molosses ; mais il est tout à fait impossible d’en offrir l’ensemble céphalique comme prototypique du dogue. Il tient le milieu entre les molosses et d’autres chiens de montagne peu étudiés encore au temps où écrivait le savant Mégnin.

Le chien des Abruzzes, de même livrée que le pyrénéen, donne de ceux-ci une idée exacte. Chez lui, les relations crâne-face n’offrent pas la prédominance crânienne accusée, caractéristique des molosses vrais ; l’épaisseur des lèvres fait défaut, la silhouette en est moins massive, et c’est indiscutablement un chien de montagne, lui et quelques autres de semblable gabarit. Ceci prouve, une fois de plus, que la nature ne fait pas d’hiatus ; les types passant par des dégradations insensibles, certaines races en sont à chevaucher sur deux formules, et les mieux définies. Il y a ainsi quelque apparence de parenté entre les chiens de montagne du modèle en cause et le chien de défense des troupeaux, qui était un « mastin ».

Ce dernier prototype est encore largement représenté de nos jours par des chiens de grande, de moyenne et aussi de petite taille, sous poil dur ou plat, mais souvent adultérés par des croisements avec bergers, dogues et lévriers.

Il est très difficile, en conséquence, de déterminer la race actuelle expression la meilleure du « mastin », type connu dès la période gallo-romaine. Cette forme naturelle est caractérisée par le crâne en tronc de pyramide, l’égalité des relations de longueur entre crâne et face, l’oreille de forme triangulaire attachée haut, de dimension médiocre et généralement portée cassée en V, soit sur les temporaux, soit sur la région frontale ; corps à poitrine ouverte, peu allongé, médioligne, corseté sans lourdeur. Serait-ce le schnauzer porteur de ses oreilles nature qui donnerait actuellement la meilleure idée de notre objet, ou encore tel bouvier ne marquant pas le sang de chien de berger lupoïde ? L’alan vautre du moyen âge était un mastin à poil plat, souvent adultéré par croisement avec l’un ou l’autre des deux autres alans, qui étaient des dogues véritables, surtout l’alan gentil. Un temps fut où la série des terriers, dont le fox-terrier est l’image la mieux connue, était composée de mastins de petite taille. Actuellement, tous sont plus ou moins graioïdés, ainsi qu’en témoignent la prédominance faciale chez eux marquée, la tête en cône et bien d’autres particularités. Disons-le en passant, ce sont de telles variations de tout un groupe de races apparentées qui rendent difficile, sinon impossible, une classification ne varietur des races canines domestiques.

Le géant des mastins (pas très pur non plus) est ce chien à qui on n’a jamais donné un nom lui convenant. Je veux parler du dogue dit allemand, qui n’est pas un dogue, parce que ses caractères céphaliques et somatiques sont très différents. Il n’est aucune mesure entre lui et le dogue de Bordeaux, par exemple, une des meilleures expressions du molosse assyrien dont nous possédons des images parfaites, quoique plusieurs fois millénaires. Le nom de wild boar hound que donnaient autrefois les Anglais à un chien moins gigantesque, mais entièrement semblable au great dane moderne, n’était pas si mal trouvé. Le chien, ainsi désigné comme chasseur de sanglier, était aussi proche que possible de l’alan vautre exempt de sang de dogue. C’était un grand mastin, et le prétendu dogue allemand actuel est un mastin géant, dans lequel on a mis un peu de tout ; du dogue véritable, du sang graioïde et sans doute autre chose, car il y a certains fouets, portés à la manière du white bull terrier, tout à fait énigmatiques. Qui veut se payer quelques numéros de Noël de Our Dogs verra que la coupe de l’oreille change absolument la physionomie de ce chien. Intactes, elles sont de forme triangulaire, portées en V sur les côtés, ressemblant assez à celles du fox-hound, qui possède d’ailleurs plus d’un caractère du mastin. Elle peut se présenter aussi un peu ouverte et montrant tant soit peu l’intérieur ; mais c’est l’exception, et c’est là un souvenir du croisement graioïde. La robe bigarrée, dite Arlequin, d’une des variétés de la race consiste en une juxtaposition de figures géométriques irrégulières, pigmentées ou claires. Cet apport vient d’un sang étranger aux molossoïdes et au mastin.

Le dalmatien est un braccoïde qui n’a rien à voir ici. La robe pastillée de noir ne ressemble à celle de l’Arlequin que très superficiellement.

Le dogue et le mastin sont l’un et l’autre chiens d’attaque, et leur méthode est la même. Tous les anciens documents les montrent sautant sur l’encolure de l’animal assailli pour le saisir à la nuque. Sur un bas-relief Assyrien, le dogue est aussi représenté mordant l’abdomen du cheval sauvage qu’il poursuit, pour en arracher les viscères évidemment. Cette tactique cruelle est encore celle de certaines espèces de chiens sauvages s’en prenant à une proie volumineuse ou dangereuse.

Il y a donc parenté entre mastin et dogue du côté des instincts. Toutefois, la famille mâtinoïde présente des variétés dont les membres sont susceptibles de suivre une piste à la manière des chiens courants ; aussi sont-elles utilisées à la chasse du sanglier. La structure céphalique, par le développement de la région musculaire de la joue, la conformation et le port de l’oreille lorsqu’elle n’est pas mutilée, rapproche les mastins des molossoïdes.

On a souvent classé parmi les lupoïdes les chiens terriers du type ancien fox-terrier et compagnie. C’est sans doute par erreur. Les lupoïdes ont le crâne en forme de pyramide horizontale, l’oreille généralement érigée, le museau étroit. Une telle description peut être valable pour le schipperke par exemple, indiscutable lupoïde ; elle ne vaut pas pour un fox-terrier chez lequel le sang du graioïde ne trace pas.

La complexité des croisements, l’absence de tout travail de synthèse permettant de classer les races en un petit nombre de groupes apparentés par leur anatomie et leurs aptitudes rendent très malaisée l’étude de ces problèmes. L’amateurisme ne peut percevoir combien est réduit le nombre des prototypes autour desquels ont été plus ou moins bien fixées les variations dont nous avons fait trop souvent des races séparées, trop isolées les unes des autres, en dépit de la communauté de leurs origines. Il y a enfin des races à l’état de variation perpétuelle, obtenues au moyen de croisements, avoués ou non, entre chiens appartenant à des prototypes fort différents. On masque plus ou moins leur aspect hétérogène en imposant à chacune une robe assez sévèrement déterminée et une certaine uniformité de taille. Seul, quiconque a étudié la cynologie générale perçoit, et cela facilement, la physionomie composite des membres de ces races manufacturées. Ceci n’est pas dit pour en critiquer les auteurs. Certaines races de culture sont parmi les mieux adaptées à leurs buts utilitaires ; d’autres, il est vrai, n’ont été ainsi remaniées que pour répondre aux injonctions des goûts, bons ou mauvais, ou mieux à celles de la mode. Il est inouï qu’elles en aient tiré grand profit, tout au moins pour les races d’utilité.

Je m’excuse de l’austérité de ce récit, dont de nombreux lecteurs ne suivront pas les méandres, et, éventuellement, d’avoir choqué certaines opinions reçues.

R.DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°614 Juin 1947 Page 477