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Les mouches plombées

Beaucoup de pêcheurs pensent tout de suite à la truite quand on parle devant eux de la pêche à la mouche artificielle, et, s’ils n’ont pas dans leur voisinage de cours d’eau dans lesquels vivent ces précieux salmonidés, ils se désintéressent de la question.

Quel grand tort ! Ils se privent d’un « sport » qui leur procurerait un réel plaisir, si vraiment ils aiment la pêche.

En effet, il y a très peu de poissons qui restent insensibles devant une de ces petites merveilles que nous offrent les fabricants spécialisés ou que nous confectionnons nous-mêmes.

Seuls, peut-être, les poissons de fond : carpe, tanche, barbeau, goujon, en font fi ; je ne cite pas le brochet, puisque j’en ai pris à la mouche à hélice dans la Sioule et dans le Doubs, pour ne nommer que les deux rivières qui m’ont donné les plus gros poissons capturés de cette façon ; j’exagère, peut-être, en parlant de « gros poissons », car aucun de ceux-ci ne dépassait quatre livres.

Nous avons donc, comme victimes éventuelles : le saumon, la truite, la perche, l’ombre commun, le black-bass, le chevesne, la vandoise, le rotengle, l’ablette.

Vous voyez donc qu’un petit nombre de rivières sont « réfractaires » à la pêche à la mouche artificielle et que peu de pêcheurs ne peuvent songer à l’utiliser.

L’élégance, la propreté, la sportivité de la méthode en font une pêche de choix.

Cependant, n’allez pas croire qu’il suffit de se munir de mouches quelconques, de les lancer à l’eau et d’attendre que les poissons viennent béatement les gober sous vos yeux.

En plus de l’éducation, parfois assez longue du pêcheur, suivant ses aptitudes ... ou sa maladresse, il est une question importante à envisager : c’est le choix des mouches suivant l’espèce de poissons que vous prétendez tenter.

Pour ne pas effrayer le débutant, je ne parlerai pas des multiples sortes de mouches pour le même poisson, puisque j’ai dit qu’une seule mouche pouvait, à la rigueur, nous donner un certain succès.

Elle ne vous donnera pas, certes, les pleins paniers que nous pourrions espérer avec cette mouche type ; nous la décrirons un jour, mais, aujourd’hui, nous ferons connaissance avec la mouche qui pêche dans l’eau et non en surface : la mouche plombée.

Comme son nom l’indique, elle doit être assez lourde pour s’enfoncer immédiatement.

Pourquoi cette obligatoire immersion ?

Les poissons chasseurs d’insectes et de larves sont rarement à l’affût en surface ; ils n’y viennent que pour saisir leurs proies, lors d’une éclosion nettement caractérisée. C’est le moment des pêches magnifiques, mais il dure peu : dix minutes, un quart d’heure, et c’est fini ; à nous de savoir en profiter.

Mais cela n’est plus du domaine de l’initiation.

Le reste du temps, le poisson circule entre deux eaux, happant les larves qui se déplacent, ou près du fond pour saisir celles qui rampent sur le sable et les cailloux.

Il est donc certain que, si l’on n’aperçoit pas les « ronds » caractéristiques des moucheronnages, nous pourrons, tout de même, tenter le poisson en pêchant entre deux eaux.

C’est la pêche à la mouche noyée. Nous pourrions nous contenter d’employer des mouches artificielles ordinaires, peu fournies en hackles, qui s’enfoncent, bien lentement il est vrai, en eau calme, mais se livrent à une gymnastique désordonnée en surface, en péchant à la descente du courant ; elles ne peuvent couler à fond, dans les rivières rapides et les torrents, ce qui est généralement le cas des rivières de montagne, et dans les autres cours d’eau en début de saison ou en période de crue.

Il faut donc que nos mouches s’enfoncent ; cela est aisé.

Vous aurez toujours dans votre sac une petite boîte contenant des plombs de chasse fendus, no 7 par exemple, même no 8, ou une carte de fusible d’électricien.

Supposons que vous pêchiez avec un bas de ligne de trois mouches ; sur l’intervalle entre les deux dernières, enroulez trois ou quatre millimètres de fusible, sur un nœud de préférence, pour empêcher le glissement ; ou encore pincez-y deux grains de plomb ; vous pouvez également ne mettre qu’un seul grain contre, tout contre l’œillet de la mouche terminale : celle-ci coulera et entraînera le bas de ligne à sa suite.

Si le courant est réellement violent, mettez un grain à chaque mouche ou dans chaque intervalle, vous aurez satisfaction.

Le lancer n’en sera pas facilité, mais, en adoptant la cadence ralentie, employée pour le grand éphémère de mai, vous arriverez très vite à saisir le bon mouvement.

Ces systèmes de plombage sont utilisés sur des mouches déjà montées, selon la méthode ordinaire, mais il est préférable d’avoir à sa disposition des mouches lourdes confectionnées spécialement.

Encore faut-il connaître ce montage particulier, très simple pour tout pêcheur montant lui-même ses artificielles.

Voici comment vous opérerez : avant d’enrouler la soie sur la hampe de l’hameçon, posez-y un morceau de fin fusible de deux ou trois millimètres de longueur ; il doublera le corps quand il sera pris sous l’enroulement des spires de soie ; votre mouche ou votre larve coulera immédiatement.

Je dirai même que vous pourrez utiliser cette mouche lourde seulement en pointe ; elle entraînera suffisamment le bas de ligne par son poids ; il n’y a cependant aucun inconvénient à garnir ainsi toutes vos mouches de la monture : c’est une question d’opportunité.

Le lancer, ai-je dit, sera un peu plus délicat à exécuter : accentuez le coup sec du geste en arrière et assouplissez celui du lancer proprement dit.

J’ai parfois tout simplement enroulé sur le corps même de la mouche, en cours de pêche, quelques spires de fusible, dans des eaux subitement violentes ; ce n’est guère résistant, et la silhouette en est épaissie, mais, dans les eaux tourmentées, la truite est moins délicate.

Tous les plombages en cours de pêche, sur un bas de ligne déjà prêt, avec des mouches ordinaires, ne sont que des pis aller ; il est bien préférable de monter, à la maison, et soigneusement, de vraies mouches plombées.

En ce qui concerne les petites mouches, le travail est très délicat ; aussi, si vous péchez avec de petits modèles de moucherons, plombez seulement le bas de ligne, selon les procédés précédemment décrits : c’est bien plus commode et très opérant tout de même.

Quant aux grosses mouches, il est facile de les confectionner garnies, à l’avance, d’un mince fil de plomb.

Dans les torrents alpestres, par exemple, en été, il n’est possible de pêcher à la mouche artificielle ordinaire que dans de rares places : derrière les rochers ou tout près des bords ; la mouche lourde nous permettra de prospecter toute la largeur du cours d’eau, en pêchant le courant à la descente, sans voir le bas de ligne voltiger sur l’écume, où il est parfaitement inutile. J’ai toujours plombé mes mouches dans ces cours d’eau.

En principe, une mouche noyée et, a fortiori, une larve devraient toujours être lourdes et plonger de suite. C’est une garantie de succès, car, dans une journée de pêche, quelques minutes seulement permettent l’utilisation exclusive de la mouche flottante.

Si vous voulez combiner ces deux genres de pêche, plombez seulement la mouche de pointe et veillez, par une tenue ad hoc de la canne, à maintenir l’autre ou les autres en surface ; mais cela suppose déjà une connaissance assez poussée de la question et exclut également la possibilité de pêcher à longue distance.

Marcel LAPOURRÉ.

Le Chasseur Français N°614 Juin 1947 Page 480