L’engouement — bien naturel — pour les sports et
pour les méthodes d’éducation physique rythmique ont fait oublier par beaucoup
d’éducateurs les exercices avec « résistances » (agrès, haltères,
massues), qui ont cependant leur intérêt, chez certains sujets, pour améliorer
la qualité et la puissance musculaires.
Certes, à l’époque où l’on n’utilisait, pour ainsi dire, que
ce genre d’exercices, on tombait dans l’excès regrettable qui fut la cause de
leur abandon, et qui consistait à confondre la masse avec la qualité. En effet,
par le travail aux haltères, par exemple, on obtient des résultats rapidement
« visibles à l’œil nu ». Le développement musculaire
extraordinairement rapide qui en résulte flatte et encourage l’élève autant que
le maître et pouvait servir de publicité non méritée à certaines méthodes. Non
méritée, dis-je, parce que la qualité du muscle ne tient pas seulement à son
volume, surtout lorsqu’il est localisé à certains groupes musculaires
seulement. On pourrait en dire autant de certains sports trop spécialisés par
le même geste plus ou moins utile, qui peuvent aller jusqu’à la déformation,
s’ils ne sont pas compensés par une éducation culturelle générale. Et souvent
la « poitrine de luxe » d’un gymnaste de l’ancienne école cachait des
poumons insuffisants, ou un cœur surmené. On l’a constaté trop souvent chez des
professionnels du cirque ou de la foire du Trône.
Mais, inversement, il y a parfois des sportifs accomplis, et
même des athlètes de classe, chez lesquels il est utile de développer tel ou
tel groupe musculaire « en retard » sur l’ensemble, ou de corriger
des déformations dues à une spécialisation excessive. C’est alors qu’il faut
avoir recours aux résistances.
En réalité, tout exercice analytique utilise sans le savoir
une résistance interposée. Dans l’exemple le plus simple, celui de la flexion
de l’avant-bras sur le bras, le biceps ne se contracte que parce que le triceps
veut bien se relâcher. La relation mécanique qui existe entre un muscle et son
antagoniste est la base de tout entraînement musculaire.
Mais on fait usage volontaire de cette notion, et l’on en
renforce les effets, lorsque, par exemple, nous contractons les muscles de la
nuque pour obliger les fléchisseurs de la tête à travailler davantage lorsque
nous penchons celle-ci en avant. Mieux encore si nous remplaçons la résistance
des muscles de la nuque par celle que peuvent fournir les deux poings placés
sous le menton et agissant en sens contraire de la flexion de la tête en avant,
soulevant en même temps le thorax et facilitant le jeu respiratoire.
De même dans la flexion et dans l’extension totales des
membres inférieurs en station debout. Dans ce mouvement, les deux membres
inférieurs ont à supporter le poids du corps, et leur développement naturel
montre que cela représente un effort considérable. Aussi, dès que l’on essaye
de faire ces mouvements au ralenti, les lois de la pesanteur agissent dans
toute leur rigueur. L’intéressé ne tarde pas à ressentir ce que cet effort
représente, ni le professeur averti à en utiliser toutes les ressources
éducatives. La nature, qui a fait de l’homme un bipède, a fait en sorte que
cette flexion totale du corps et son redressement sur une seule jambe, l’autre
jambe étant maintenue en position horizontale, représente le maximum de ce que l’on
peut raisonnablement exiger des muscles de la cuisse, de la jambe et du pied.
Mais, à côté de ces exemples dans lesquels l’utilisation des
résistances est fournie par le mouvement lui-même, et qui demandent la
surveillance attentive d’un professeur, il y a de nombreux mouvements dans
lesquels se justifie parfaitement l’emploi des résistances artificielles,
telles que les haltères et les exerciseurs. Si les haltères permettent, par
exemple, l’entraînement musculaire des avant-bras et des épaules, elles sont
une excellente préparation aux tractions qui, plus tard, assureront le
soulèvement total du corps en suspension : grimper à la corde,
renversements au trapèze, rétablissements en force à la barre fixe ou aux
anneaux, etc.
Ainsi se justifie l’emploi des « agrès », qui,
très en vogue il y a cinquante ans, sont délaissés en faveur des sports de
vitesse, de détente et d’adresse, mais qui doivent cependant rester dans le
programme d’une éducation physique et sportive rationnelle, car ils permettent,
d’une part, de mettre au diapason de la musculature générale certains groupes
restés en retard pour une raison ou pour une autre ; d’autre part,
d’assurer à ces groupes musculaires un développement progressif et facilement
dosable ; enfin, de constituer un excellent entraînement de la volonté et
de l’audace.
Autant il est malfaisant — l’expérience l’a montré
— d’être l’apôtre sectaire d’une seule méthode ou d’un seul sport et de
restreindre l’élève à la seule spécialité du maître — ce qui est le tort,
inconscient souvent, de chaque auteur, — autant il serait ridicule, dans
une éducation physique complète et éclectique, de ne pas utiliser, dans chaque
cas particulier, les bienfaits qu’on peut retirer de chaque méthode.
Dr Robert JEUDON.
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