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L’automobile, source de richesse

Il a été souvent démontré, et nous l’avons maintes fois rappelé ici, au cours de nos causeries, que l’automobile est une source de richesse pour un pays. La quantité d’automobiles en circulation, dans une nation, fixe la hauteur de la prospérité sur le baromètre de l’économie de celle-ci. Il importe donc que les pouvoirs publics mettent tout en œuvre pour répandre l’usage de l’automobile sous toutes ses formes et dans toutes les classes de la nation.

Pourtant il nous apparaît, avec un peu de recul, et après les épreuves de toute nature que nous venons de traverser, qu’une politique néfaste nous a fait perdre la première place qu’occupait la France dans la construction automobile mondiale, en 1910, pour rétrograder de la deuxième, en 1929, à la cinquième, que, d’ailleurs, nous ne tenions que difficilement à la veille de la guerre.

La guerre ! Elle a dévoré les hommes et le matériel. Notre parc automobile a été presque anéanti en véhicules industriels et considérablement touché en automobiles de tourisme. Nous ne comptons plus, chez nous, qu’une voiture pour trente-deux habitants, alors qu’en 1938 une voiture se partageait entre dix-neuf Français. Aux États-Unis, il y a une voiture pour quatre habitants. La guerre, comme la paix, se gagne avec des moteurs. Nos désastres de 1940 ont comme cause, pour une grande part, notre manque de matériel. Notre armée de fantassins de l’époque n’a pu tenir devant les légions motorisées allemandes. La victoire a changé de camp quand l’appel de Roosevelt a été entendu et que l’on a pu opposer, à un avion, à un char ennemi, cinq avions et cinq chars alliés. Il ne faudrait pas que, la paix revenue, nous assistions aux mêmes erreurs ; que notre construction automobile, se relevant avec peine et alimentant dans la proportion de un sur dix le marché intérieur, au bénéfice de l’exportation, ne puisse même plus remplacer nos vieux tacots défaillants, et que, vers 1950, le peuple de France ne soit plus qu’un peuple de piétons.

Que deviendraient tous les travailleurs qui, avec leur famille, vivent de la route et constituent la plus grande masse professionnelle de la France : construction automobile, fabrication d’accessoires, carrosserie, pneumatiques, transports, motoristes, distributeurs de carburants, etc. ? Réamorçons la pompe au plus vite afin d’éviter un chômage catastrophique. Construisons de nouveaux modèles économiques, à bas prix, afin d’atteindre notre circulation routière de 1938 et toucher de nouvelles couches de clients.

Dans une brochure que vient d’éditer l’Union routière de France, organisme né en 1935 pour favoriser la circulation routière en France et aux colonies, nous trouvons de précieux renseignements que nous nous faisons un plaisir de rapporter à nos lecteurs.

Nous y trouvons un graphique curieux. Les fluctuations de notre 3 p. 100 perpétuel suivent exactement les fluctuations de notre production automobile. La production automobile est donc bien le baromètre de l’économie. « Quand le bâtiment va, tout va », disait-on au siècle dernier. Mais la législation sur les loyers a tué le bâtiment. Nous pouvons dire, de nos jours : « Quand l’automobile va, tout va. » Veillons à ce que la législation ne tue pas, à son tour, l’automobile.

La France a le privilège envié d’être le plus varié et l’un des plus beaux pays du monde. La guerre nous a appauvris, presque ruinés. Nous avons un pressant besoin de devises. Le tourisme nous les apporte. Sachons tirer le maximum de notre réseau routier, qui, en densité, est le premier du globe : 633.000 kilomètres, dont 80.000 kilomètres de routes nationales et 253.000 de routes départementales. Nous ne pouvons pas présenter des autostrades à nos visiteurs ; nos nationales ne sont pas toujours « roulantes », parfois dangereuses, mais toujours pittoresques, reposantes et gaies. On nous dit parfois : « Quel intérêt avons-nous à développer la circulation des Français sur les routes de chez nous ? C’est l’étranger, avec sa monnaie appréciée, qui doit venir. »

Mais celui-ci ne viendra que si nos routes sont en bon état, nos stations-services, nos garages parfaits. L’idéal serait que tout touriste étranger qui débarque en France soit en mesure de prendre livraison immédiate d’une voiture neuve, de construction française, payable en devises libres, et soit dans l’obligation de la céder, à sa sortie de chez nous, à un prix d’occasion préalablement fixé ; le véhicule irait améliorer notre parc national, cependant que, durant son séjour, notre visiteur aurait pu goûter aux charmes de notre pays et dépenser force devises.

Quant à notre circulation — appelons-la « indigène », — plus elle sera intense, plus elle créera de la richesse, puisque les économistes nous ont démontré que ce n’est pas tant la quantité de signes monétaires que la vitesse de circulation de la monnaie qui crée la prospérité.

Tous les problèmes étant liés les uns aux autres, afin que la circulation s’accroisse il faut que l’essence soit en vente libre et bon marché. Or le prix de l’essence est de 6 fr. 20 le litre à New-York, 9 fr. 90 à Londres, 11 fr. 28 à Bruxelles et 19 francs à Paris. Sur un litre d’essence, les taxes et impôts divers se montent à 12 fr. 75, alors que la valeur du produit est de 3 fr. 75.

Essence limitée = trafic limité = échanges limités = déficit budgétaire et chômage.

Pour assurer la liberté de la distribution de l’essence, tuer le marché noir de ce carburant, il suffirait d’augmenter nos importations annuelles de 10 millions de dollars, soit 0,6 p. 100 du plan en cours. Ces millions de dollars seraient rapidement récupérés par l’essor donné à l’automobile et l’accroissement de nos exportations.

Enfin, pour démarrer notre industrie automobile, pour sortir de l’ornière où nous nous trouvons, pour tripler sans délai la production, pour produire à bon marché afin d’exporter et d’alimenter notre marché intérieur, il est indispensable de moderniser notre outillage et d’assurer un approvisionnement suffisant en matières premières, surtout en métaux ferreux. Or, pour cela, il suffirait que nos importations totales soient accrues de 0,5 p. 100. C’est bien peu pour que notre baromètre remonte et indique le beau fixe.

G. AVANDO,

Ingénieur E. T. P.

Le Chasseur Français N°614 Juin 1947 Page 486