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Terres à vignes

Par l’examen de la correspondance que nous recevons depuis quelques mois, nous constatons qu’il nous est demandé des renseignements concernant la plantation de vignes dans des sols assez différents comme nature et latitude : exemple, ceux provenant de la décomposition des granits limousins ou ceux surmontant les calcaires de l’Artois.

Les correspondants ont raison.

Nos vieilles vignes françaises, les Vitis vinifera des botanistes, n’étaient pas difficiles quant à la nature des sols, on les trouvait en Normandie et au nord de la région parisienne.

Jadis, le cru de Suresnes, proche de la Capitale, fut immortalisé par les chansonniers.

Tout le monde est d’accord pour admettre que, si l’aire de végétation de la vigne a reculé plus au sud, c’est moins pour une question de climat que pour une raison économique. Sous certains climats, la récolte était aléatoire, et il était plus commode et moins onéreux d’acheter son vin que de le produire.

Il faut aussi écrire qu’à cette époque, il y a deux ou trois siècles, la génétique était inconnue ; actuellement, cette science de la sélection existe dans toutes les branches des productions agricoles, et on pourrait, si on le voulait, sélectionner un ou des cépages donnant un vin commercial à la latitude de Copenhague.

Nous n’envisageons évidemment ici que les plantations de plein vent, à l’exclusion des forceries.

Dans ce domaine, la Russie soviétique semble être à la tête du progrès, par sa sélection très poussée des végétaux résistant aux grands froids : vignes, arbres fruitiers, céréales.

En France, la crise phylloxérique a été un désastre, il a fallu arracher avec ou sans reconstitution.

Dans le premier cas, la reconstitution s’est faite avec plus ou moins de chance. On doit à la vérité d’écrire que nos grands crus sont sortis de la crise avec honneur.

Là où la reconstitution totale n’a pu se faire, on constate une transformation radicale de la vie agricole. Nous connaissions de nombreux villages où le confort de vieilles demeures, actuellement abandonnées, atteste une existence passée de gens heureux.

Leurs successeurs se livrent à la polyculture dans des sols où la vocation serait plutôt la vigne ou le mouton, ou les deux à la fois.

Dans beaucoup de cas, la reconstitution des greffes a été entravée par le choix du porte-greffe. En effet, pour ces derniers, il a fallu avoir recours aux vignes américaines, plus résistantes au phylloxéra.

Mais, alors que nos vieilles vignes françaises se contentaient de tous les sols : calcaires, marneux, argileux, siliceux, etc., les vignes américaines poussent presque toutes dans des sols dépourvus de chaux.

Il a donc fallu, après des années de tâtonnements, arriver à produire des porte-greffe résistant et au calcaire, et au phylloxéra. Un des mieux réussis, sous ce rapport, est, sans contredit, le Rupestris du Lot.

Actuellement, il existe toute une série de porte-greffe adaptés à tous les terrains. Mais attention ! cela ne veut pas dire qu’ils donnent chacun, dans un sol déterminé, le maximum de végétation et de rendement, car, pour la vigne, si la nature du sol a une certaine importance, celle du sous-sol en a une bien plus grande. Aussi, en matière de plantation, il faudra se préoccuper avant tout de la nature physique et chimique du sous-sol.

Ce n’est pas tout.

En admettant qu’on ait trouvé un porte-greffe donnant le maximum dans un terrain donné, il faut connaître le degré d’affinité de celui-ci vis-à-vis du greffon, et vice versa.

Il ne faut pas dire : « Je vais greffer le plant x sur le porte-greffe y », sans avoir au préalable fait une enquête sérieuse dans la région ; voir les porte-greffe les plus vigoureux, ainsi que leurs greffes, la nature de leur terrain — sol et sous-sol, — l’exposition, la pente du terrain, le régime des vents locaux, la prédisposition aux gelées, etc.

On peut se tromper sur une culture annuelle, mais non sur la vigne, dont la végétation durera un demi-siècle ; il est donc indispensable de s’entourer de toutes les garanties et de mettre tous les atouts de son côté.

Enfin il faudra prendre des boutures provenant d’une plantation saine et exempte de court-noué. Si on achète dans le commerce, il faudra obtenir du fournisseur qu’il précise sur sa facture : « Les boutures (racinés, greffés, etc.) proviennent d’une pépinière exempte de court-noué. »

Dans cet ordre d’idées, la presse vient d’annoncer la création de « Vignobles pilotes » à l’échelle cantonale, destinés à l’étude des porte-greffe et greffons adaptables aux sols locaux. Le vignoble pilote serait choisi parmi ceux existant ; le propriétaire exploitant aurait droit à la récolte et à une indemnité ; en retour, il devrait laisser visiter le vignoble aux membres de la commission de contrôle désignés à cet effet. Il y a déjà un certain temps que nous avions préconisé nous-même, dans les pays de polyculture de petite et moyenne propriété, l’installation de fermes d’essai à l’échelle cantonale, pour l’étude de la sélection des cultures de la région, fermes dirigées par un triumvirat de cultivateurs avisés.

Nous avons de bonnes raisons de croire que cette idée a eu l’approbation des producteurs.

À notre avis, les vignobles pilotes arrivant un peu tard, il faut s’en consoler en répétant le dicton : « Mieux vaut tard ... »

Nous avons vu, au début de cette étude, que la vigne poussait dans les terrains les plus divers ; mais il ne faudrait pas en conclure qu’elle donne partout de bons produits ; les commerçants en vins le savent bien.

Parmi les nombreuses espèces et variétés de nos Vitis vinifera, il y a des plants fins, commerciaux et de qualité inférieure.

D’autre part, un plant fin transplanté hors de son terrain d’élection donnera des produits différents. À titre d’exemple, citons ce qu’a écrit sur cette question un vigneron de la Côte-d’Or au sujet du Gamay, donnant dans les terrains calcaires du Dijonnais des vins « colorés, robustes, un peu durs » ; qui, transplanté dans le haut Beaujolais, dont les terres dérivent des roches éruptives : granits et porphyres, acquiert, « dans ces sols manquant de chaux, de grandes qualités, surtout greffé sur Vialla, lequel lui assure une végétation et une production merveilleuses au bas des côtes ou à flanc de coteau, lorsque ces sols sont peu profonds ».

Toutes les données pour les nouvelles plantations tiennent dans cette phrase.

La vigne est gênée dans son développement par la latitude et l’altitude.

Actuellement, la limite nord part de Nantes et occupe les pays au nord de la Loire, passe au nord de Fontainebleau, de Reims, englobe le Barrois, puis descend le cours sinueux de la Moselle jusqu’à Coblenz (qui est à la latitude d’Arras) ; en remontant la vallée du Rhin, on trouve à droite des vignobles en terrasse établis sur les contreforts des terrains primitifs du Taunus ; passé le défilé, il y a les beaux vignobles de Johannisberg et de Rudesheim, qui ressemblent étrangement à ceux de notre Champagne.

En altitude, on trouve rarement la vigne au-dessus de 300 mètres, sauf dans quelques vallées de l’Isère, où on la trouve jusqu’à 600 mètres.

Pour conclure, nous écrirons que la plantation d’une jeune vigne, surtout en greffe, est une opération délicate, qu’il est utile de s’entourer de tous les renseignements possibles et de faire exécuter un dosage de calcaire du sous-sol, après s’être assuré de sa nature physique.

V. ARNOULD,

Ingénieur agronome.

Le Chasseur Français N°614 Juin 1947 Page 494