On donne le nom de pica à une dépravation de l’appétit, à
une perversion du goût qui porte les herbivores à ingérer des substances
étrangères à l’alimentation : terre, fumier, plâtras, lingerie étendue sur
les haies, etc. Les carnivores atteints de pica ingèrent de la paille, du bois,
des étoffes, etc.
Selon l’espèce animale envisagée, le pica est encore appelé
léchage ou maladie du lécher chez les bovins, mallophagie chez les moutons et
picage chez les volailles. Il ne s’agit donc pas d’une maladie parfaitement
définie, mais de symptômes se traduisant par un désir d’absorber des objets ou
des matières qui n’entrent pas dans l’alimentation.
Le pica, qui, en latin, signifie une pie, par
assimilation entre les goûts de cet oiseau et la dépravation de goût dont il
s’agit, s’observe même dans l’espèce humaine. Même en dehors de certains
aliénés qui ingurgitent divers corps étrangers à l’alimentation, on sait qu’il
existait naguère certaines peuplades de géophages, ou mangeurs de terre.
Les habitants du haut Orénoque, de la Méta et du Rio-Negro, pendant les temps
de disette, ingéraient une terre comestible, argile mêlée d’oxyde de fer,
pétrie en boulettes ou en galettes que l’on faisait sécher au soleil. Aux dires
des explorateurs, cet aliment n’affectait pas d’une manière fâcheuse la santé
de ceux qui y étaient accoutumés, mais quelques-uns maigrissaient sensiblement
ou étaient sujets aux hydropisies et à la dysenterie. Nous constaterons de
semblables maladies chez nos animaux domestiques atteints de pica.
Les causes de cette dépravation du goût sont diverses,
Certains besoins nutritifs engendrent le pica ; l’animal, ressentant un
manque de sels de soude, de phosphore, de magnésium ou de vitamines, recherche
au hasard, autour de lui, ce qui manque à son organisme. Les sujets maigres,
débilités, malades, fournissent un gros pourcentage de lécheurs dépravés. Il
convient de songer, dans le pica, aux gastro-entérites chroniques, aux vers
intestinaux, à la cachexie osseuse et à la tuberculose.
Tout en conservant l’appétit, l’animal atteint de pica
cherche constamment à lécher les arbres, les murs, les plâtres ; parfois
il mange de la terre, du sable, de la boue, des excréments trouvés sur son
passage. On conçoit aisément que, chez les bovins notamment, la
présence, dans l’appareil digestif, de corps étrangers tels que chiffons,
objets pourris, morceaux de cuir, de caoutchouc, de bois, etc., aggravent
singulièrement l’état du malade. Aussi doit-on intervenir dès les
manifestations du pica, si l’on ne veut constater l’apparition d’obstructions
intestinales, d’abcès internes, de pleurésies, péritonites, etc. L’épreuve par
la tuberculine devra fréquemment être employée par le vétérinaire consulté.
Chez le mouton, il existe une forme spéciale de pica
qui consiste dans l’ingestion de la laine (mallophagie). Au début, on
voit quelques animaux d’un troupeau, surtout les agneaux, arracher des brins de
laine sur leurs voisins ou sur leur mère, et les manger. Plus tard, le nombre
des mangeurs de laine augmente, et le mal finit par gagner tout le troupeau.
Les moutons sont entièrement dépilés en certaines régions, surtout au ventre et
à l’aine.
La laine déglutie forme des masses feutrées qui peuvent
obstruer le tube digestif et causer ainsi des troubles graves. Aussi la
surveillance du berger doit-elle avoir pour but de dépister les mallophages le
plus tôt possible, de les séparer et de les soumettre à une alimentation de
choix, avec pierre de sel gemme dans les râteliers.
TRAITEMENT.
— En dehors des affections nettement caractérisées
(gastro-entérite, etc.), le pica, chez les herbivores, étant dû à la pauvreté
phosphatique minérale des aliments, il y a indication d’améliorer cette
alimentation. On s’efforcera d’enrichir les prairies par les engrais, notamment
les phosphates et superphosphates répandus sur le sol. On donnera des grains
cuits, des tourteaux, des légumineuses. Une pierre de sel gemme, que pourront
fournir les Salines de l’Est, sera toujours placée dans les auges et râteliers
des écuries, bergeries.
À défaut de sel gemme, on donnera du sel, dénaturé ou non,
qui, introduit dans la ration, non seulement augmentera la production laitière,
mais encore agira comme condiment en rendant les aliments plus savoureux et en
augmentant l’appétence.
D’après le professeur Dechambre, les doses quotidiennes
minima sont les suivantes : cheval, de 30 à 40 grammes ; bœuf à
l’engrais, de 50 à 100 grammes ; bœuf de travail, de 40 à 50 grammes ;
vaches laitières, de 50 à 60 grammes ; moutons, de 1gr,50
à 3 grammes ; porc, de 5 à 15 grammes.
Des distributions peu abondantes mais fréquentes de son,
farineux, tourteaux moulus, avoine, seront faites aux jeunes agneaux, qui
seront ensuite élevés au grand air. Enfin, chez les jeunes animaux, on
suralimentera les mères et on leur donnera une cuillerée à café par jour de
poudre de gentiane additionnée de phosphate de chaux et de sel marin.
Picage.
— C’est le pica spécial aux oiseaux
domestiques ; on l’observe presque uniquement sur les poules, plus
rarement chez les faisans, et exceptionnellement chez les dindons, pigeons,
oies et canards. C’est beaucoup plus une manie qu’une maladie. Le picage
est la plaie des poulaillers où les poules sont tenues dans un espace trop
restreint. Généralement, c’est par le coq que le picage commence ; comme
il se laisse faire avec une bêtise complaisante, les poules s’enhardissent à
cette manie et se déplument à leur tour les unes les autres ; elles
commencent par se dégarnir le croupion, puis le cou, la gorge jusqu’à la
poitrine. Parfois une goutte de sang apparaît au bout de la plume
arrachée ; les poules alors s’acharnent après la malheureuse, qui,
parfois, est déchiquetée par ses compagnes et succombe sous les coups de bec
répétés.
Cette affection est attribuée par les aviculteurs à un
régime alimentaire incomplet. En effet, les poules étant omnivores, si elles ne
trouvent à manger ni insectes, ni larves, ni vers de terre, elles recherchent
les corps étrangers, voire le sang de leurs voisines. Aussi Mégnin et
Voitellier conseillent-ils de donner, si possible, plus d’espace aux poules, de
changer de nourriture, et de recourir à la viande cuite hachée, au sang cuit ou
desséché mélangés aux grains, pâtées, etc. Des salades, des fragments de
betteraves suspendus à une ficelle à quelques centimètres du sol constituent
d’excellents dérivatifs à la manie du picage. Enfin un badigeonnage du
croupion, du cou et de la gorge des poules atteintes avec de la teinture
d’aloès, tout en éloignant les autres poules, favorisera la pousse de nouvelles
plumes.
MOREL,
Médecin vétérinaire.
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