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Le fusil de dame

Nous n’oserions nous flatter que des causeries placées sous l’invocation de la science cynégétique soient de celles qui intéressent la majorité des lectrices du Chasseur Français ; celles-ci leur préférant à bon droit d’autres pages que les nôtres. Nous allons cependant aujourd’hui consacrer quelques lignes à une question qui nous est parfois posée par les sportives de plus en plus nombreuses qui prennent part aux réunions de chasse. À défaut de leur audience directe, nous pensons avoir celle des chasseurs chargés de guider leurs premiers pas sur le terrain.

À ces aimables compagnes de nos déduits, quelle est l’arme qui convient le mieux ?

De tradition, il semble entendu que l’usage du calibre 20 soit pour les fusils de dame un dogme intangible : la plupart des arquebusiers s’empressent de proposer une arme de ce calibre dès qu’il est question de la destiner à une dame ou à une jeune fille. Léger et maniable, séduisant d’aspect si possible, comment un élégant calibre 20 n’emporterait-il pas les suffrages féminins ? S’il s’agit de compléter simplement un costume du bon faiseur, nous sommes d’accord ... S’il s’agit de chasser réellement, on peut discuter la question et conclure différemment.

Nous avons souvent fait remarquer que le calibre 20 était celui des très bons tireurs ; sans vouloir insinuer a priori que toutes les chasseresses tirent médiocrement, nous songeons aux débutantes et nous croyons qu’il convient avant tout de ne pas leur faire jouer la difficulté ; rien n’est encourageant comme les premières pièces qui tombent sans trop gâcher de cartouches, et nous ne voyons pas pourquoi le premier fusil d’une dame ne serait pas un calibre 16. La tradition nous oppose immédiatement le poids et le recul ...

Mais beaucoup de choses ont changé depuis les origines : l’arme s’est allégée, sa charge et par conséquent son recul ont diminué, et nous ne serons démenti par personne en affirmant que le bras et l’épaule des sportives actuelles sont autrement musclés que ceux de leurs grand-mères. D’ailleurs, la grande majorité des chasseresses ne pratiquent guère que la battue ; il ne s’agit pas de porter l’arme pendant de longues heures à travers la plaine, mais simplement d’en obtenir le meilleur résultat pendant quelques traques.

Dans ces conditions, les 28 grammes du calibre 16, distribués un peu largement par un canon cylindrique ou mieux un canon rayé spécialement pour le plomb, faciliteront grandement les essais de nos débutantes. Elles obtiendront ainsi plus rapidement des résultats encourageants et amélioreront plus vite leur tir. Une fois l’apprentissage terminé, elles pourront avoir recours à des groupements plus serrés et travailler les coups de longueur.

Au point de vue des munitions, il y a d’autres avantages ; si la chasseresse est accompagnée d’un porteur de calibre 16, il n’y a qu’à s’approvisionner d’une seule sorte de munitions : on évitera ainsi des complications trop fréquentes dans l’achat, le transport et la manipulation sur le terrain. Si le chasseur est partisan du calibre 12, nous n’arriverons évidemment pas à l’unification des munitions, mais nous éviterons à monsieur, ayant dans ses poches des munitions de madame, d’introduire dans son arme la fâcheuse cartouche calibre 20, qui, suivie d’une cartouche normale, donne lieu à l’accident classique malheureusement trop fréquent.

Bien entendu, l’arme sera du modèle sans chiens : on n’en fabrique plus d’autres et nous ne souhaitons pas à une dame ou à une jeune fille de débuter avec quelque vieux fusil démodé et peu commode. Évidemment on pourra, pour s’habituer au recul et à la visée, utiliser sur quelques pies ou geais une arme un peu désuète, mais, une fois ces premières gammes exécutées, il faudra, devant le vrai gibier, être armée en conséquence.

S’il n’était pas possible de trouver un fusil à canon droit cylindrique ou rayé pour le plomb, il conviendrait d’employer des cartouches dispersantes dans le demi-choke. Le meilleur exercice sera de tirer des lapins, en terrain découvert autant que possible, de manière à voir le coup arriver et à rectifier le tir en conséquence ; ultérieurement, travailler les grives au voisinage des haies. Le lapin avec du no 6 et les grives avec du no 8 donneront, en calibre 16, de très bons résultats si l’on ne cherche pas les coups de longueur.

Tout ceci mérite que l’on y réfléchisse avant de s’inspirer uniquement d’une tradition routinière. Le calibre ainsi déterminé, il nous restera à choisir une crosse un peu plus courte que les crosses pour hommes et souvent plus avantagée ; quelques essais d’épaulement, surveillés par un chasseur averti qui rectifiera la position, seront indispensables. Après quoi ...

Après quoi, il conviendra de fréquenter l’école de la prudence ; un fusil n’est pas un éventail ni un sac à main, ça ne se pose pas n’importe comment et ça part dangereusement lorsque c’est mal emmanché. Débutantes, ne vous formalisez pas d’un avertissement courtois de vos compagnons de chasse ; vous y gagnerez l’expérience, la précieuse expérience qui garantira la sécurité de vos voisins et la vôtre. Votre plaisir sera sans remords possible et vous donnerez à celui qui vous accompagne la très grands joie de voir son élève réussir sans être jamais la cause du moindre incident.

C’est la grâce que vous souhaite un vieux confrère en saint Hubert.

M. MARCHAND,

Ingénieur E. C. P.

Le Chasseur Français N°615 Août 1947 Page 513