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Petits coqs de bruyère

au printemps

C’est le fœhn, ce vent de mars chaud, qui nous apporte jusque dans la vallée les premiers roucoulements des petits coqs. À vrai dire, cet oiseau ne reste jamais complètement silencieux : par une claire journée de décembre ou un matin de juillet un peu frais, il lui arrive d’égrener quelques notes, simplement, sans doute, pour exprimer son bonheur et sa vitalité. Il chante aussi quand il se chamaille avec ses congénères, se poursuivant sans grande animosité d’un arbre à l’autre.

Mais il est deux époques dans l’année où la cérémonie du chant prend une importance capitale dans la vie du petit tétras. La première se situe aux alentours du 1er octobre, quand l’automne jette déjà sur la montagne ses brouillards froids et ses bises aiguës. De ces manifestations tardives, nous ne dirons rien aujourd’hui, sinon qu’elles permettent au chasseur de situer les emplacements où plusieurs coqs sont en général rassemblés.

Le chant de printemps s’exécute approximativement entre le 1er avril et le 1er juin. Il peut être avancé ou retardé suivant la plus ou moins grande précocité du printemps, et même suspendu si la neige et le froid font une réapparition un peu sérieuse. Certaines poules couvent déjà que les chants se prolongent encore.

L’intensité du chant est sujette à des variations dues aux conditions atmosphériques et à des raisons qui nous sont absolument inconnues. Ainsi, certaines années, les coqs sont prodigues ; on entend à l’aube des chuintements jaillir de toutes parts ; les places de danses sont nombreuses et peuplées. L’année suivante, sans que cela implique une plus faible densité des oiseaux pour un secteur donné, le silence est presque absolu. Dans le même ordre d’idées, à conditions atmosphériques identiques, l’intensité du chant varie d’un jour à l’autre dans des proportions considérables. Nous savons bien que les coqs sont des vagabonds qui, d’un coup d’aile, franchissent une vallée ; mais il nous est arrivé, certains jours de silence inexplicable, de lever des mâles silencieux, préoccupés, à la recherche de leur nourriture, à des heures extrêmement favorables aux chants. Explique qui pourra. D’une façon générale, l’humidité du matin prédispose les coqs aux exhibitions amoureuses et, certains jours de brouillard, ils arrivent à chanter presque toute la journée.

C’est un spectacle passionnant que les manifestations amoureuses du petit tétras. Une grande violence de sentiments, une impétuosité du besoin inspirent et possèdent véritablement les oiseaux. Ils choisissent pour exécuter leur pantomime une place bien découverte, très souvent dominante. C’est parfois une haute clairière, un mamelon découvert ; c’est souvent un névé ou même le centre d’une grande prairie. En tout cas, il faut retenir que, lorsqu’il s’agit d’un chant sérieux et prolongé, le petit tétras chante toujours à terre.

La nuit commence à peine à se diluer que déjà le premier chuintement se fait entendre. Ce n’est, la plupart du temps, qu’un souffle qui annonce le réveil. Les caquetages de la bartavelle, dans les parages favorables aux deux oiseaux, et parfois le chant du coucou précèdent pourtant celui du coq noir ; le chuintement se répète à des intervalles plus ou moins réguliers, en deux temps maintenant : le premier bref et le second prolongé. Il s’approche ou s’éloigne suivant la position de l’observateur : l’oiseau gagne à patte son point de chant.

Si, au cours de la saison, le petit coq n’est pas trop dérangé, cette place de danse restera, la même. D’une année à l’autre, en général, elle varie ; mais certaines places particulièrement affectionnées sont, pour ainsi dire, toujours occupées.

Dès qu’il arrive à l’endroit choisi, le coq noir commence sa pantomime. À nouveau, il multiplie ses chuintements, il saute d’un côté et de l’autre, puis, soudain, observe, la tête haute, il roucoule alors en égrenant doucement ses « ououou » sur un thème qui ne varie guère : c’est la partie tendre de son chant d’amour. Ce faisant, il gonfle les plumes du cou, écarte légèrement sa queue en forme de lyre dont l’envers ressemble à un bel éventail blanc ; il gratte la terre avec son bec, frotte ses ailes arquées, tourne en rond et tourne encore en prenant ses pattes comme pivot. C’est très beau, mais c’est aussi burlesque. Ne fait-il pas penser à quelque fêtard en habit pris de boisson qui cherche à s’exhiber ? Seulement, Son beau plastron blanc, il l’étale sous la queue, et non sur la poitrine.

Les poules ne sont pas en retard à ces appels amoureux. Elles y répondent spontanément et y accourent sans la moindre modestie. Aux premiers chuintements du coq, elles caquettent bruyamment depuis leur perchoir nocturne d’une manière assez analogue à celle d’une poule domestique. Ce langage stimule le coq qui redouble d’ardeur dans son chant et dans sa danse. Ces dames se décident ; elles arrivent au vol et souvent se branchent à proximité du maître chanteur. Parfois, elles se posent directement sur le sol ; en tout cas, c’est au sol qu’a lieu l’union.

Il est évident qu’un tel spectacle de la nature a tenté bien des observateurs, et un rassemblement de gibiers aussi défini bien des braconniers et même des chasseurs, puisque le tir des coqs fut autorisé au printemps de 1946. C’est une chasse de vieille origine dans les villages de montagne, où l’on ne tire guère le coq noir qu’à l’époque du chant, à terre. À l’automne, il faut le tirer au vol, et c’est un gros mangeur de plomb.

Quoi de plus facile, au premier aspect, que de tuer des coqs de bruyère dans de telles conditions ? Certains chroniqueurs, mal avertis de la chose, n’ont-ils pas vu là un braconnage honteux et d’une facilité déconcertante ? La réalité est tout autre : c’est une chasse passionnante, extrêmement difficile. Nous détruirons d’abord la légende selon laquelle le petit tétras est sourd et aveugle pendant une phase de son chant. Ce qui est en partie exact pour le grand tétras est sans relation avec l’oiseau qui nous concerne. Pour être vrai, nous affirmons qu’à aucun moment de l’année le coq noir ne fait preuve de plus de vigilance. Il n’est jamais ni sourd, ni aveugle, toujours prêt à fuir au moindre soupçon ; et n’oublions pas qu’il chante à découvert.

En plus, cette chasse demande une certaine assiduité. Il faut beaucoup de veine pour tuer un coq, en partant au petit bonheur. Il est indispensable de situer, la veille ou quelques jours avant, la place de danse du coq. Cette reconnaissance ne doit pas être approximative, mais extrêmement précise. Le chasseur ou l’observateur doit pouvoir venir de nuit occuper la bonne place d’où il pourra voir ou tirer sans révéler sa présence.

Il faut surtout, pour le même oiseau, s’arracher du lit à plusieurs reprises à deux heures du matin et pratiquer de longues marches d’approche. Il faut ramper pour approcher un oiseau qui a décalé sa place de chant, endurer la bise du petit matin ; se méfier des poules branchées qui nous voient, prêtes à donner l’alarme quand on pense que tout marche bien ; éviter le moindre bruit, user du rappel avec discrétion et, enfin, tirer sur un objectif presque invisible en cherchant avec difficulté le bout du canon : c’est un tir de nuit. Malgré tous ces efforts, les oiseaux parfois vous devinent, s’envolent ou disparaissent comme si la terre les avait absorbés. Parfois, pourtant, le coup de fusil atteint son but ; les poules s’envolent, effarouchées, muettes cette fois, et vous ramassez, plein d’orgueil, ce coq noir, encore tout vibrant de désir, caroncule d’écarlate, aux plumes du cou boursouflées : c’est un gibier royal ; c’est un trophée ! L’aube n’a pas encore pointé, vous vous sentez fort, incomparablement heureux, bien au-dessus de la vallée dont les lumières scintillent pour quelques instants encore.

Voici encore, au sujet de cette chasse, quelques détails à bâtons rompus.

À cette époque de l’année, les mâles se livrent entre eux à des combats sérieux. Nous n’avons jamais eu la chance d’assister à ce spectacle malgré de nombreuses observations.

Il est très aléatoire de tenter une approche dès que la grisaille du matin s’éclaircit ; l’action, pour être efficace, se déroule dans la quasi-obscurité.

L’occasion de tirer des femelles est relativement fréquente. La confusion est presque impossible. Dans le doute, il faut s’abstenir. Celui qui tire volontairement une femelle n’est qu’un imbécile ; il mérite les pires condamnations.

Pour donner une idée de la difficulté de cette chasse, nous ferons la comparaison suivante : il est évidemment banal de tuer à l’automne une dizaine de petits coqs. Si un lecteur sérieux a tué au rappel, durant le printemps 1946, dix coqs noirs, je le salue, plein de considération.

Précisons, à toutes fins utiles, que cette chasse, aujourd’hui interdite, ne sera vraisemblablement plus autorisée. L’époque à laquelle elle se déroule ne permet pas la moindre défaillance au point de vue de la loi. Et il semble que l’éducation du chasseur de France n’est pas suffisante pour garantir le respect d’autres espèces : couples de gelinottes, femelles de chamois et chevrettes en état de gestation avancé ou suitées. Contentons-nous donc dorénavant de contempler le spectacle du chant du tétras lyre.

Jean BOUVET.

Le Chasseur Français N°615 Août 1947 Page 518