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Les appâts

et le piégeage des mammifères carnassiers

En dehors du trop classique piégeage en coulée qui ne demande que de faibles qualités de la part du piégeur, le piégeage avec appât reste l’apanage du professionnel, je devrais dire du bon professionnel.

En Amérique du Nord, au Canada, pays par excellence du piégeage professionnel, l’emploi des appâts est presque la règle générale. Mais, pour un novice, il ne faudrait pas croire qu’il suffise de se servir d’un appât pour faire venir renards et autres nuisibles dans la cour de la maison. Même avec le meilleur appât, il faut avant toute chose connaître exactement l’animal qu’on se propose de capturer. Connaître un animal, c’est savoir son espèce, son sexe parfois, son âge (vieux, adulte, jeune), son repaire, ses coulées ou ses points de passage, ses habitudes, en un mot tout ce qui permet de déterminer l’emploi du temps et les parcours diurnes ou nocturnes de l’animal. C’est alors que, muni de ces renseignements, le piégeur pourra utilement se servir des appâts. La première condition est, en effet, de les placer à proximité du parcours suivi et non à des kilomètres de ce parcours où ils n’auront aucune chance de réussir.

Les sens d’un animal perçoivent un appât de deux façons :

Soit directement :

    — par la vue, par l’odeur ou par la combinaison des deux ;
    — par l’ouïe (beaucoup plus rarement), cris d’une proie en détresse par exemple.

Soit indirectement :

    — par l’ouïe, cas d’un nuisible attiré par les cris des becs droits assemblés autour d’une charogne ou d’un animal pris au piège ;
    — par l’odeur de ses congénères qui, par exemple, seront imprégnés de celle d’une charogne ;
    — par l’odeur d’une traînée intermédiaire exécutée par le piégeur pour l’amener de son passage au piège.

Le toucher et le goût ne jouent pas de rôle propre dans cette perception, ils ne font qu’exploiter ce que la vue ou l’odorat leur ont permis de découvrir.

Ceci nous amène donc à sérier le problème en appâts attractifs :

    — par la vue ;
    — par l’odeur ;
    — par combinaison de la vue et de l’odorat.

Appâts à vue.

— Ils s’adressent particulièrement aux nuisibles dont l’odorat sera moins développé (félidés : chat par exemple).

Ceci ne veut pas dire que les autres nuisibles ne seront pas également attirés ! La curiosité joue ici un gros rôle et double celui de l’attrait offert par une proie. On cherchera alors à faire ces appâts le plus voyant possible :

1° en les rendant mobiles (oiseaux morts pendus par exemple et agités par le vent) ;
2° en les choisissant d’une couleur tranchant sur le fond (blanc par exemple en temps normal, noir par neige).

Des leurres empaillés joueront pour beaucoup de nuisibles le même rôle que des appâts réels.

Appâts à Odeur.

— On pourra les diviser en appâts naturels et en appâts préparés.

— Parmi les premiers, nous trouverons pour les appâts naturels ceux que l’animal a coutume de trouver lui-même à l’état sauvage (gibier, fruits, poissons, etc.) ;

— Parmi les appâts préparés, nous trouverons tous les produits manufacturés fabriqués soit par le piégeur (graisses, croûtons, amorces), soit par des maisons spécialisées dans ce genre de fourniture.

Odeurs. — Nous devrons également faire entrer dans cette branche les odeurs (qui ne constituent pas un appât proprement dit en ce sens que l’animal ne peut les manger), elles ne servent qu’à faire croire à l’animal à la présence d’un appât ou d’une bonne fortune. Ces odeurs seront naturelles quand elles proviendront simplement de la décomposition d’une proie habituelle des nuisibles (viande de gibier, d’animal domestique, de poisson) ; ou préparées, quand elles proviendront de produits chimiques (parfums, huiles, essences, extraits, résines, etc.).

Il faudra placer également dans cette catégorie d’odeurs les produits naturels ou préparés se rapportant non plus à un attrait flattant la gourmandise, mais s’adressant au besoin de reproduction. Ces derniers seront rarement naturels et au contraire très souvent préparés. Ils ne seront valables que pendant la période très courte du rut (un mois maximum) et variables pour chaque espèce de carnassier.

Traînées. — Quant aux traînées, nous en trouverons à base d’appâts naturels (lapin étripé et traîné, etc.) ; préparées (chat rôti et miellé, croûtons frits, graisses, etc.) ; d’odeurs naturelles (huiles de poissons) ; préparées (huiles de poissons additionnées de parfums divers : civette, musc, etc.) ; d’odeurs sexuelles, naturelles ou préparées. Les traînées ne doivent être considérées que comme servant de trait d’union entre un point de passage de l’animal et l’emplacement réel de l’appât qui peut en être distant de 100 mètres et plus. Leur rôle est d’amener le nuisible au piège ; mais là, il faut distinguer parmi les nuisibles.

Si le renard chasse principalement comme un pointer nez au vent, les mustélidés chassent davantage à vue et à la voie. Le chat possède un odorat déficient, comparativement à ces animaux, et chasse surtout à vue et à l’affût. La loutre ne donne guère aux appâts, mais elle est curieuse comme tous les mustélidés. Enfin, il faut reconnaître que tous les nuisibles donnent beaucoup mieux à une proie vivante dont ils se sont emparés, c’est-à-dire à leur propre carnage, qu’à un appât présenté le mieux du monde. C’est ce qui explique le succès du piégeage à appât en temps de famine, époque où ces carnages leur sont rendus très difficiles.

On comprend tout de suite l’importance primordiale de la parfaite connaissance de ces particularités dans l’exploitation des appâts, odeurs et traînées pour la capture de ces animaux. Si un piégeur en coulée peut prendre des animaux, il est loin de posséder les qualités d’un confrère opérant avec l’emploi d’appâts.

Dans une réserve de chasse qui doit être piégée, le piégeage avec appât devra être le seul pratiqué en dehors des cas spéciaux tels que piégeage en gueule de terrier et autres procédés ne s’appliquant qu’à des cas très exactement définis et limités.

Autrement, on sera en droit de s’attendre aux pires catastrophes et de voir le piégeur prendre autant de gibier que de nuisibles, si ce n’est plus. Dans ce cas, le garde sera à coter dans la catégorie des nuisibles et, ma foi ..., devra être traité comme tel, c’est-à-dire éliminé de la chasse !

A. CHAIGNEAU.

Le Chasseur Français N°615 Août 1947 Page 520