Les troubles nerveux sont très variables et assez
fréquemment constatés dans l’espèce canine, si nous en jugeons par l’abondance
des demandes de renseignements que nous avons reçues à ce sujet. Tantôt
l’auteur de l’une de ces lettres nous exprime sa crainte de voir son chien
devenir enragé ; un autre se plaint que le sien ne peut supporter d’être
transporté en auto ; un autre que son compagnon souffre beaucoup et
prévoit plusieurs heures d’avance l’apparition d’un orage lointain.
Tous ces troubles expriment du délire, des hallucinations ou
de la peur qui se traduisent par des accès ou crises de durée variable, qui
surviennent chez un seul animal ou revêtent une allure contagieuse, épidémique,
pouvant se manifester sur les chiens de chasse de toute une région. Aussi
croyons-nous intéresser nos lecteurs en consacrant la présente causerie à
l’exposé des différents types de troubles nerveux que peuvent présenter les
chiens et aux moyens thérapeutiques à employer pour les combattre.
Mal d’auto.
— Beaucoup de chiens souffrent lorsqu’on les transporte
en auto. Comme pour le mal de mer des personnes, ils deviennent tristes
et sont pris de vomissements qui continuent à se manifester alors même que leur
estomac est complètement vide d’aliments. Aussi arrivent-ils au rendez-vous de
chasse dans un état facile à deviner et plus disposés à se coucher qu’à
chasser.
Beaucoup de moyens ont été préconisés comme préventifs. En
voici quelques-uns. Nourrir fortement la veille et peu le jour du départ.
Pendant le parcours, cacher le chien sous une couverture ou éviter qu’il
regarde défiler les arbres ou objets extérieurs (mal de mer). Donner dans un
peu de lait, au moment du départ, pendant le parcours et au retour, de trois à
six gouttes du mélange suivant : chloroforme et teinture d’iode, 5 grammes
de chaque médicament. Mais, comme ce mélange peut être irritant pour un estomac
un peu délicat, on pourra lui substituer une solution de citrate de soude à 2
p. 100, dont on donne3 à 4 cuillerées à café dans les conditions de
temps ci-dessus indiquées.
Enfin, on peut placer le chien dans un sac en toile tannée
et coulissée, ou un vulgaire sac à blé dont l’ouverture est coulissée pour
laisser passer la tête, et ainsi il se reposera pendant le long voyage.
Peur de l’orage.
— On sait que certains oiseaux migrateurs effectuent
leurs voyages comme s’ils avaient connaissance du temps qu’il va faire où ils
se trouvent, ou de celui qu’il fera dans le pays où ils se rendent. Telles sont
les hirondelles et les cigognes. D’autres animaux, doués d’un sens que nous
ignorons, rentrent sous bois à l’approche d’un orage : les serpents et les
lapins de garenne, par exemple. D’autre part, on sait que, parmi nous, les
rhumatisants, les blessés et mutilés de guerre, etc., n’ont pas besoin de consulter
le baromètre pour savoir, tant leur douleur augmente, qu’un changement dans
l’atmosphère se prépare ou qu’un orage éclatera dans un temps très court. Or le
chien d’un de mes correspondants, M. L ..., paraît rentrer dans une
même catégorie, à en juger par la lettre suivante : « Je possède une
chienne setter irlandaise, âgée de huit ans, qui a une peur terrible des
orages. Quand un orage est pour se déclencher, elle le sent d’avance, au point
qu’elle a tellement peur que je crains qu’elle en devienne enragée. Elle se met
dans les jambes, a le nez chaud et en perd le boire et le manger. Je lui passe
de l’eau sur la tête pour la calmer, mais rien n’y fait. Étant plus jeune, elle
n’avait pas peur : c’est depuis les bombardements ; elle n’a pas peur
du fusil, au contraire. Pourriez-vous m’indiquer quelque chose pour la
calmer ? Voici venir la saison chaude des orages, elle en devient
insociable. »
Voici les seules explications que l’on puisse donner de ce
cas particulier : sensibilité extrême du cerveau, qui conserve le souvenir
des bombardements qui ont eu lieu dans la localité, ou lésions cérébrales de
nature rhumatismale. Comme traitement, nous avons prescrit une potion au sirop
de bromure de potassium, une préparation à base de salicylate de soude contre
le rhumatisme, et des frictions d’alcool camphré à la nuque.
Crises épileptiformes.
— Voici d’autres manifestations de troubles nerveux
chez le chien : « Je venais de me mettre en chasse, écrit M. C ...,
dans des terrains de culture, en plaine, à proximité de marais, lorsque les
deux chiennes de chasse qui m’accompagnaient tombèrent, l’une après l’autre, à
cinq minutes d’intervalle, frappées d’un mal subit que je n’ai pu définir et
dont les symptômes remarqués furent, à peu de chose près, les suivants :
» Les bêtes firent plusieurs tours sur elles-mêmes,
puis tombèrent, les pattes repliées en cercle sous le corps, comme si les nerfs
s’étaient retirés, pour finalement, après s’être débattues, ne plus donner
signe de vie.
» Dans les deux cas, la crise dura de quinze à vingt
minutes, au bout desquelles elles se relevèrent en titubant, les yeux hagards,
donnant des signes de grande frayeur et de prostration, puis rentrèrent
péniblement au logis, distant de 500 mètres du lieu de l’accident.
» Intervention d’un vétérinaire, lequel constata 39° et
40° de fièvre, la pupille fortement dilatée, des tremblements nerveux. Après le
traitement appliqué (piqûre à l’huile camphrée, une seule), les bêtes furent
rétablies quatre à cinq heures après l’accident ; elles mangèrent, le soir,
leur soupe comme à l’ordinaire. S’agit-il d’un empoisonnement par un appât
altéré (strychnine ou arsenic), ou bien d’une piqûre venimeuse ? ou encore
de cette maladie inconnue constatée l’an dernier chez les chiens de chasse de
Saône-et-Loire et dont la presse a fait mention en son temps ? »
Les troubles dont nous venons de lire l’exposé si détaillé
se rapportent sans aucun doute à différentes affections, notamment à la
présence de nombreux vers intestinaux (helminthiase), ou à la gale de
l’oreille, dont nous avons entretenu nos lecteurs à plusieurs reprises dans nos
causeries sur les gales du chien. Ces manifestations s’observent souvent chez
les chiens auxquels on n’a pas donné assez fréquemment des vermifuges, ainsi
que chez ceux dont l’intérieur de l’oreille n’a pas reçu les soins d’hygiène
nécessaires. Ajoutons enfin qu’il convient de procéder à la désinfection de la
niche ou du chenil, si l’on veut éviter le retour de pareils accidents.
Maladie de la peur.
— C’est une maladie d’allure épidémique présentant les
symptômes réunis de l’otite parasitaire, du téniasis, de l’épilepsie, de
l’hystérie, etc., avec des types ambulatoire, vertigineux, hallucinatoire, dont
nous décrirons plus loin quelques-uns. La maladie a été signalée depuis
plusieurs années aux États-Unis, en Angleterre, en Hollande. À partir de 1930,
notre confrère Rossi a pu étudier, en Saône-et-Loire et dans le Rhône, une
épidémie absolument analogue à celles que l’on a décrites à l’étranger. La
maladie se traduit par l’apparition soudaine, au repos ou pendant l’exercice,
de crises nerveuses dont le caractère dominant est une émotivité intense, une
angoisse insurmontable : la peur. Sans aucun signe prémonitoire,
les incidents se déroulent selon des modalités différentes, dont voici quelques
types :
1° Type ambulatoire.
— Il est caractérisé par la brusquerie de
l’attaque : le chien, bien portant jusque-là, pousse un aboiement et part
comme un fou à toute allure ; il court droit devant lui, se heurte aux
obstacles qu’il semble ne pas voir, renverse tout sur son passage, ne répond
pas aux appels. Essoufflé, fatigué, la gueule pleine de bave, il s’arrête. Les
signes de la santé semblent revenir. Ces fugues peuvent se prolonger plusieurs
heures et même plusieurs jours.
2° Type mental.
— Il ressemble à de la folie passagère. Son aspect
clinique rappelle tout à fait l’accès de rage furieuse avec ses aboiements,
hurlements et grognements, et ses envies irrésistibles de mordre. Le chien a
perdu toute sensibilité et tout contrôle de ses actes ; il ne reconnaît
plus son maître.
3° Type épileptiforme.
Enfin, dans ce type, la crise classique d’épilepsie apparaît
au moment de la fugue. Elle dure quelques minutes.
L’âge, la race, le sexe ne semblent pas avoir d’influence
sur la maladie ; celle-ci débute le plus souvent en été, se prolonge
jusqu’au début de l’hiver, puis disparaît. La bénignité est la règle, la
mortalité n’ayant pas, jusqu’ici, dépassé 2,4 p. 100.
L’étiologie est des plus obscure : toutes les causes
connues de convulsion ou d’épilepsie ont été invoquées : dentition,
indigestion, parasitisme, carence en vitamines, etc. Mais, si elles peuvent
expliquer les crises individuelles, elles ne font pas comprendre l’allure
épidémique. On n’a pas pu trouver de virus capable de reproduire la maladie. Devant
notre ignorance des causes, il est impossible de parler de prophylaxie ou de
thérapeutique spécifique. On donnera des médicaments hypnotiques, des sédatifs,
des calmants, qui suffisent souvent, et on laissera le chien au repos prolongé,
au calme dans un local obscur, avec une alimentation légère.
MOREL,
Médecin vétérinaire.
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