Le voyage à bicyclette n’est pas pratiqué en France autant
qu’il devrait l’être ; car c’est bien une façon à la fois très agréable et
très utile d’employer ses vacances ; et pourtant, sur nos millions de
possesseurs de bicyclettes, il n’en est que quelques centaines à pérégriner
plusieurs semaines de suite à travers nos belles provinces aux sites si variés.
Le nombre est bien plus grand des cyclistes qui font des excursions, voire des
randonnées autour de leur point d’attache, domicile ou lieu de villégiature.
S’il en est si peu qui prêtent l’oreille à « l’appel de la route »,
n’est-ce pas par crainte de l’aventure, par l’idée erronée qu’ils se font des
difficultés qu’on peut avoir à trouver son chemin, à se nourrir et à coucher au
hasard des étapes !
Afin que ce ne soit pas l’angoisse de se perdre en route qui
empêche de voyager, il faut d’abord apprendre « à lire la carte ». Si
étrange que cela paraisse, il y a encore bien des gens qui ne se reconnaissent
guère dans les points cardinaux et les traits rouges, jaunes, verts et bleus
qui figurent topographiquement le sol et ses accidents. Bien de stériles leçons
de géographie seraient utilement remplacées à l’école par l’initiation directe
à la lecture des cartes ; car rien qu’à les bien lire, cela donne l’idée,
puis le goût de voyager.
Comme nous avons des cartes routières excellentes,
suggestives peut-on dire, il n’est que de les regarder pour se rendre compte
que notre vieux pays de France est sillonné d’un réseau extrêmement dense de
routes, chemins et sentiers, au point que les lieux habités, des villes aux
hameaux, ne sont presque jamais éloignés les uns des autres de plus de cinq à
six kilomètres. Voyager en France n’a donc rien de commun avec l’exploration du
grand Nord ou du désert africain. À une heure de marche, on trouve toujours
« âme qui vive ».
D’autre part, ce réseau routier, par sa qualité, se prête
particulièrement à l’usage de la bicyclette. Le goudronnage, qui s’étend de
plus en plus aux chemins secondaires, facilite le roulement de ses roues
légères et ménage les crevaisons à ses pneus.
Mais, pour voyager, il faut emporter des bagages, et, tenant
compte de tout ce qui pourrait être utile, on arrive à les concevoir d’un poids
et d’un encombrement qui rendent difficile et pénible leur transport à
bicyclette. Les vrais voyageurs ont toujours su réduire au minimum, au strict
nécessaire, des fardeaux que les Romains nommaient fort bien impedimenta :
ce qui gêne et retarde la marche. Le voyageur cycliste doit s’encombrer de peu de
bagages, les réduire à 5 ou 6 kilogrammes ; et c’est faisable.
L’heureuse évolution sportive de la mode permet de
simplifier à l’extrême la « tenue de route ». En été, un short, un
maillot, un béret, des chaussures — même sans chaussettes
— suffisent. Dans le sac de guidon et les sacoches du porte-bagages
arrière, il faut donc un costume complet, une chemise, un maillot, des bas, un
imperméable, un nécessaire de toilette, une serviette, des mouchoirs. En
choisissant ces vêtements et objets aussi légers que possible, on ne dépasse
pas 4 kilogrammes, et, bien pliés, ils ne tiennent pas grand’place.
Comptez un kilogramme de plus pour « le nécessaire de réparations »,
qui doit être bien compris dans sa composition, sans arriver à constituer un
petit atelier portatif !
On objectera que c’est bien peu de chose pour voyager
plusieurs semaines. Sans doute. Aussi faut-il joindre au bagage de route une
valise « itinérante » qui, garnie de vêtements et de victuailles,
s’expédie, en colis postal ou express, dans la ville que l’on pense atteindre
après trois ou quatre jours de route. On trouvera donc en cette ville les
rechanges de linge et de vêtements, en même temps qu’on y refera sa provision
d’aliments de route.
Cette question alimentaire reste à régler, et, en ce moment,
elle présente quelques difficultés. Je conseille de partir toujours de bonne
heure, à l’aube, après un petit déjeuner assez copieux ; puis de se
nourrir, pendant toute l’étape, avec des vivres emportés dans le sac, du pain,
du fromage, des œufs durs, des biscuits, du sucre, des fruits ; boire de
l’eau assez abondamment. L’étape terminée au début de l’après-midi, c’est à
l’auberge où l’on couche qu’on fera un repas du soir aussi substantiel que
possible ; et, en l’attendant, on s’occupera de faire le ravitaillement
pour la nourriture de route du lendemain. Ce ne sont là, d’ailleurs, que des
règles générales, que les circonstances doivent modifier ; car voyager,
c’est s’adapter aux circonstances pour en tirer le meilleur profit.
Une solution commode au problème de la nourriture et des
vêtements de rechange est fournie par les excursions en étoile autour de
centres touristiques successivement visités. Cela consiste à s’assurer dans une
ville ou gros bourg une chambre et le repas du soir pendant trois ou quatre
jours, puis à faire, chacun de ces jours, une excursion aux environs ;
après quoi l’on gagne, à quelque cent kilomètres, une autre ville autour de
laquelle on rayonne de la même façon. Bien entendu, les bagages sont expédiés
d’avance de ville en ville. Par exemple, pour un voyage à bicyclette dans les
Alpes, on choisirait, pour centres d’excursions en étoile, Annecy, Albertville,
Grenoble, Briançon, Castellane, tous lieux qui offrent en leurs environs au
moins cinq ou six itinéraires de 60 à 150 kilomètres du plus grand intérêt
touristique. Pour une première expérience de voyage à bicyclette, il est
recommandable de procéder de la sorte. Avec l’expérience, on deviendra de plus
en plus hardi, de plus en plus amoureux de l’aventure routière ; et l’on
ne concevra pas façon plus saine et plus agréable d’occuper ses vacances.
Dr RUFFIER.
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